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Être Kurde, un Délit?


Auteur :
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 1995, Paris
Préface : Pages : 304
Traduction : ISBN : 2-7-7384-3772-9
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Sam. Etr. 3547Thème : Général

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Être Kurde, un Délit?

Être Kurde, un Délit?

Jacqueline Sammali

L’Harmattan

Dans les hameaux comme dans les villes du Kurdistan, la langue kurde est toujours bien vivante. Pourtant la Turquie pratique un déni culturel digne des pires méthodes coloniales. Comment se fait-il que, malgré les moyens mis en œuvre, elle ne soit pas parvenue à ses fins? Comment se fait-il que, malgré toutes les pressions des Etats occupant le Kurdistan, les Kurdes, sans Etat et sans droits, n'aient pas été assimilés?

Cet ouvrage, issu d'une recherche universitaire, brosse le portrait d'un peuple réduit au silence. Il a été écrit au terme d'une longue enquête menée discrètement en Turquie, dans la partie du Kurdistan déchirée par la guerre entre les forces armées et la guérilla indépendantiste du PKK. Mais c'est une autre résistance que celle des armes qui est présentée ici. On y découvre le combat méconnu mené par des femmes, des hommes, des enfants, pour préserver leur culture, pour garder leur dignité.

Au fil des témoignages, le lecteur pourra comprendre les effets de l'interdit qui frappe la population kurde, la souffrance, la révolte qui en découlent. Il découvrira aussi quelles stratégies sont mises en œuvre par les Kurdes pour y faire face.

Jacqueline Sammali est enseignante. Engagée depuis de nombreuses années pour la cause des immigrés, elle a effectué plusieurs voyages au Kurdistan.



PRÉFACE


Ma fille est rentrée en pleurant,
Ma fille est rentrée en pleurant.
La maîtresse ne sait donc rien,
La maîtresse ne sait donc rien.
J’ai voulu voir sur la carte,
J’ai voulu voir sur la carte.
Mais elle m’a dit :
“Il n’y a pas de Kurdistan’’.
Ma fille est rentrée en pleurant.
Poème anonyme

Le peuple kurde, trop mal connu, est actuellement dispersé sur quatre Etats: la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie. Sa présence sur la scène internationale coïncide régulièrement avec la répression sanglante qu’il subit dans l’un ou l’autre de ces pays ou intervient lorsque ses exilés s’expriment dans les capitales européennes. Il a d’ailleurs fallu attendre l’exil de Kurdes arrivant de Turquie, surtout dans les années 1980, pour que l’Europe réveille sa mémoire et se souvienne de ce peuple toujours en recherche de liberté.

Dès cette époque également, la mobilité des populations, les mouvements régionalistes, indépendantistes ou nationalistes ont relancé la recherche sur les problématiques liées aux questions d’identités, individuelles et collectives. Dans le cadre du politique, l’héritage de la Révolution française a instauré la nécessité d’éradiquer toute appartenance qui puisse concurrencer l’adhésion au concept d'Etat-Nation. Ce dernier ne peut, en effet, se concevoir qu’unique, qu’il s’agisse de la référence territoriale, linguistique ou culturelle. Toute autre appartenance relève de la subversivité et du déni de la conception même du fait national. Par analogie sans doute, on a pensé et on pense parfois encore l’identité individuelle comme un tout exclusif, toujours singulier et ne pouvant être, finalement, que réduite par le changement d’environnement ou de références. Seule l’assimilation, par l’abandon de l’identité ancienne, permettrait d’adhérer loyalement à un nouveau groupe social, à une nouvelle culture et à une nouvelle nationalité.

Mais faut-il parler au passé de cette volonté de dénier aux individus et aux communautés des appartenances diverses qui légitimement devraient pouvoir s’exprimer à l’intérieur d'un ensemble national? L’actualité nous informe quotidiennement des conflits et des guerres qui naissent de l’intolérance à d’autres formes d’expression identitaire que celle admise par le pouvoir. Les identités multiples nées des migrations ont également beaucoup de peine à se faire reconnaître dans la sphère sociale comme dans la sphère éducative. Interroger ces concepts identitaires comme s’ils ne pouvaient se vivre qu’au singulier, c’est toujours se reposer les questions de trahison et de loyauté envers des communautés et leurs membres. Nous sommes là au cœur de la problématique développée par Jacqueline Sammali.
Enseignante, familière des questions de migrations, elle s’est intéressée depuis longtemps à leurs causes et à la scolarisation des enfants issus de familles migrantes. A ce titre, elle a découvert la question kurde en rencontrant des exilés, confondus souvent dans les années 80 avec les migrants turcs. C’est ainsi qu’elle a découvert l’existence de ce peuple, fort de 25 à 30 millions d’habitants, qui constitue la plus grande nation sans Etat du monde. Cette rencontre a déterminé ses intérêts ultérieurs. Voici plus de dix ans que, tout en poursuivant son travail d’enseignante, elle contribue à mieux faire connaître les spécificités de la migration kurde, tant celle des enfants dans l’institution scolaire que celle des familles dans l’espace social suisse. Elle anime un vaste travail d’information, en tant que responsable de l’Association Suisse-Kurdistan, sur la situation des Kurdes, sur la répression dont ils souffrent et sur leurs espoirs.

Non contente de parler d’une situation ou de la connaître à travers sa littérature et ses exilés, Jacqueline Sammali a décidé de se rendre elle-même au Kurdistan de Turquie afin d’enquêter et de mener des entretiens pour comprendre de l’intérieur les aspirations du peuple kurde; étudier ses stratégies identitaires influencées à la fois par le déni culturel et linguistique dont il souffre et par la phase historique actuelle où il est en rébellion ouverte contre l’Etat central.
Au cours de ses voyages, dans des lieux inaccessibles aux touristes baladins, au fil des rencontres au coeur secret des villages. dans les arrières cours et les anières boutiques de Diyarbakir, de Van ou de Cizre, dans les cars indiscrets, elle a interrogé, dialogué, appris la vraie vie des Kurdes de Turquie; ceux de la région de Marash qui, acculturés par leur immersion dans la société turque, ont intériorisé souvent une représentation négative de leur groupe et d’eux-mêmes: jouer au passe-muraille en avouant le moins souvent possible une identité sulfureuse, parler turc, revêtir les comportements du dominateur. Ailleurs, au Sud-Est de la Turquie, là où le Kurdistan turc rejoint le Kurdistan irakien et iranien, on revendique son appartenance kurde, on parle kurde une fois la porte fermée sur les oreilles indiscrètes, on vit kurde sauf quand arrive un émissaire gouvernemental ou le maître d’école. Alors on s’habille rapidement d’une fine couche de savoir turc. Bien difficile dans ces conditions de sortir les instruments de sciences humaines et de mener les entretiens tels que le voudrait la méthodologie classique.

Pourtant, toutes les informations recueillies sur les longs chemins du Kurdistan, grâce à la confiance accordée à Jacqueline Sammali par la population, revêtent par nécessité absolue un anonymat sans faille. Ne pas mettre en danger les amis de rencontre, ne pas donner des indices repérables. Malgré cette discrétion, beaucoup d’interlocuteurs et d’interlocutrices ont disparu, ont été assassinés ou vivent dans l’ombre des prisons turques; non pas que la rencontre avec leur amie suisse les aient trahis mais parce que leur engagement dans des associations de défense des droits de l’homme, leur fierté à se présenter comme Kurde, leurs liens avec des partis politiques les ont condamnés.
Tout dans cet ouvrage respire la précarité d’une situation constamment au bord de l’explosion. Le dialogue mené est interrompu par un regard qui passe derrière le pli d’un rideau; une rencontre se négocie par un morceau de papier glissé dans la main; le soupçon amène à débusquer l’habile mouchard. Les conditions dans lesquelles l'auteur a mené ses entretiens donne un sens nouveau et plus fort aux informations des médias. Il ressort très clairement que les stratégies identitaires collectives du peuple kurde - la revalorisation de sa singularité et de ses particularités dévalorisées et interdites par le pouvoir central -donne aux partis autonomistes ou indépendantistes une nouvelle légitimité pour affronter le pouvoir répressif. Par contre, les stratégies identitaires individuelles semblent plus ambivalentes selon que l’on appartienne à une famille politisée ou non. Des constantes traversent pourtant tous les entretiens: l’image du mépris de leur appartenance que l’école turque a renvoyé aux élèves kurdes; l’interdiction de parler la langue kurde malgré un discours plus tolérant; la nécessité de jouer à renier sa culture pour obtenir la possibilité d'étudier ou d’apprendre un métier, la peur de se faire découvrir comme Kurde et comme Kurde subversif. Il ressort cependant des analyses de l’auteure que la fermeté et la volonté de pouvoir vivre publiquement son appartenance kurde domine de plus en plus chez les hommes et les femmes qu’elle a rencontrés. Les mouvements politiques ont redonné à la population plus de force pour assumer leurs appartenances kurdes; ce qui les amène également à vivre souvent des situations de répression plus violente.

Le jeu subtil des mêmes stratégies identitaires, elle l’a retrouvé chez les exilés et leurs enfants scolarisés en Suisse. Cette correspondance de processus selon que sa communauté est reconnue ou niée, selon que l’on se sent d’un groupe socialement valorisé ou dévalorisé, selon que l’on intériorise une image positive ou négative de ses appartenances, se retrouve aussi bien dans l’étude des peuples colonisés, des peuples réprimés que dans les populations migrantes en Europe occidentale. C’est pour cette raison que l'auteure a pu prendre comme grille d’analyse les définitions des stratégies identitaires telles que Camilleri et al. (1990) les décrivent dans leurs observations de jeunes migrants.

L’originalité de l’ouvrage tient avant tout au fait que Jacqueline Sammali a voulu comprendre ce qui se cachait derrière les mouvements actuels du peuple kurde. Loin d’elle le désir de nous promener sur les crêtes d’une idéologie trop simple. Elle nous emmène dans les familles, elle nous fait rencontrer des enfants, elle nous raconte des femmes qu’elle laisse se raconter, elle donne la parole à des jeunes, souvent en plein désarroi et en pleine recherche identitaire. Le peuple kurde est alors plus que légendaire, il nous devient familier. On cherche à comprendre, à vouloir en savoir plus. Et l’on se retrouve une nouvelle fois face à cette vérité: l’oppression culturelle, le déni de langue, la répression physique, l’absence de droits, entre autres, construisent une nouvelle identité collective, qui ne trouve trop souvent que la violence pour s’exprimer, pour survivre.

Christiane Perregaux
Pierre Dasen
Université de Genève




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