«Chère maman, j’envoie ces photos pour toi. Tu en donnes une à heval Altun aussi. Je parlerai plus sur moi- même dans la note que j’enverrai.»
À ma mère, qui a un cœur d’enfant. Farachine
PROLOGUE
Kurdistan. Irak. Juillet 2004 Je relis mes notes. Cette rencontre avec Farachine. Qu’est-ce qui a poussé cette jeune femme kurde dans les montagnes dangereuses de Qandil, au nord de l’Irak? Comment est-elle arrivée là? Où est sa famille? Pourquoi n’est-elle pas restée en France?
Je n’ai pas encore vu les images que je viens de réaliser durant ces trois semaines de la guérilla du PKK. Je sens juste que cette rencontre va avoir un impact sur mon avenir proche. Je viens d’ouvrir une porte, et ce que j’entrevois est passionnant.
On m’appelle Farachine. Je suis née en 1987 à Bingôl, en Turquie. Je suis arrivée en France onze ans, dans la région parisienne. J’ai deux frères, un grand et un petit. A quinze ans, je suis partie cinq mois avec le PKK - quatre mois en Hollande, puis un mois en Allemagne. C’est en Hollande que j'ai décidé définitivement d’aller en Turquie pour m’y battre et rejoindre YJA-Star. Mais je suis arrivée en Irak. C’est là, au bout de sept mois, que j’ai appelé mes parents. Ils ne savaient pas où j’étais. J’ai suivi une formation idéologique et militaire de trois mois ainsi qu’une formation théorique et pratique pour les armes. J’ai choisi le BKC, le fusil-mitrailleur. Il n’y en a qu’un pour dix guérilleros. Les autres ont des kalachnikovs. Je vis depuis deux ans une vie de garnison dans l’unité de Sehid Serif, au cœur de la vallée de Zargalé, sous le commandement de Ruquen, une femme courageuse. Avec les garçons les relations sont différentes qu’en Europe. À Paris j’avais un petit ami, Shiar. Ici nous vivons à la fois ensemble et séparés. Nous pratiquons l’autogestion dans la vie quotidienne selon les préceptes d’Apo. Je fume depuis cinq ans, mais mes parents ne le savent pas. J’aime les chansons romantiques, la danse. J’apprécie la sincérité des relations entre nous, la vie de tous les jours dans la montagne. Mais le côté égoïste de chacun a encore du mal à s’effacer. Mes motivations sont: la défense du peuple kurde, la défense des femmes, la défense d’Apo. Le cessez-le-feu décrété en 1999 par Apo n’a pas porté ses fruits et il a donc décidé qu’il fallait recommencer la lutte armée.
Nous sommes en 2004. Je ne me suis pas encore battue. Je suis venue pour me battre. J’en ai marre d’attendre. Je veux partir en Turquie et me battre.
Première Partie
De la Turquie à la France
L’aurore n’est qu’un prélude ; ensuite, le soleil doit briller Proverbe kurde
Kanires, 11 janvier 1977
La petite bourgade est encore endormie. Le muezzin vient de lancer son appel. En face de la gendarmerie, les croyants affluent, leurs pas étouffés par la neige. Depuis plusieurs mois déjà la situation est intenable. Complètement oubliée par Ankara, la province est gravement sous-développée. Déjà les discussions vont bon train. Les jeunes ont encore fait le coup de poing hier. Des dizaines, paraît-il. Des socialistes. Contre des fascistes. Il y a eu des blessés. Les gendarmas 1 sont intervenus et ont arrêté les plus agités. Ils sont en garde à vue.
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1. Gendarmes en Turquie.
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