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Babylone chrétienne


Auteur :
Éditeur : Desclée de Brouwer Date & Lieu : 1996, Paris
Préface : Pages : 336
Traduction : ISBN : 1159-9652
Langue : FrançaisFormat : 140x215 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Rhe. Yac. Bab. 3666Thème : Religion

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Babylone chrétienne

Babylone chrétienne

Joseph Yacoub

Desclée de Brouwer

Il est des guerres qui détruisent mais qui accélèrent le cours de l’histoire. Ainsi la guerre du Golfe a révélé au grand jour l’existence d’une chrétienté trop ignorée, pourtant fille des apôtres : l’Église de Mésopotamie.

Mais qui sont ces chrétiens et quel est leur pays réel?

Dans ce livre de géopolitique religieuse, Joseph Yacoub, membre de cette Eglise et fils de son peuple, examine son implantation et sa répartition au Moyen-Orient et en diaspora, son statut actuel, ses rapports avec l’Orient arabe, l’aire turcopersane, l’Islam, l’Occident chrétien, et son avenir.

L’Eglise d’Orient connut des persécutions tout au long de son histoire, qui furent autant de préludes au déclin de son influence. Pourtant des signes de résurgence commencent à apparaître aujourd’hui. Communauté réveillée et Église dynamique, reprendra-t-elle sa place sur la scène internationale?

Une redécouverte de la Mésopotamie, l’un des berceaux de la genèse du monde civilisé et du christianisme.



Connu pour ses travaux universitaires, traduits en plusieurs langues, sur la question assyro-chaldéenne et sur les minorités, Joseph Yacoub est né en Syrie en 1944 d’une famille de rescapés du génocide assyro-chaldéen de 1915. Docteur en histoire, docteur ès lettres, il est professeur de Sciences politiques et de Relations internationales à l’Université Catholique de Lyon.

Il a publié, chez le même éditeur, Les minorités. Quelle protection? (1995).

 



INTRODUCTION

Le retour sur scène de l’Orient chrétien mésopotamien

«L’attention de l’Europe est toujours fixée sur la Palestine, qui contient le tombeau de notre sauveur. La Chaldée, où fut placé le berceau de l’humanité, ne mérite-t-elle pas aussi d’inspirer quelque intérêt? La Chaldée! Ce nom réveille-t-il, dans l’esprit des Européens, d’autres images que celles de ses évocateurs d’Esprits infernaux, si souvent anathématisés dans la Bible ? Pourtant avec nous, on se trouvera en pays chrétien. Que dis-je ? dans le pays, qui le premier sans doute adora le Christ rédempteur ! N est-ce pas en effet, sur son horizon, que vint luire l’étoile miraculeuse a la naissance du Sauveur ? Ne sont-ce pas ses mages et ses rois qu’elle guida vers l’humble Bethléem ? »

Abbé Paulin Martin, La Chaldée, 1867

La Mésopotamie est la genèse du monde civilisé.
Il est des guerres qui détruisent mais qui accélèrent le cours de l’histoire. Tel a été l’impact de la guerre du Golfe sur l’Église de Mésopotamie et sur son peuple.

Subitement, la guerre du Golfe a révélé au grand jour l’existence d’üne chrétienté trop ignorée, pourtant fille des apôtres, celle d’Irak. Le regard focalisé sur elle, on a découvert à la grande surprise générale que le ministre des Affaires étrangères irakien, Tarek Aziz, était chrétien. Dépassés par ces événements, on le présentait tantôt comme nestorien, tantôt comme chaldéen, termes au demeurant creux qui ne signifiaient presque rien, non seulement pour l’opinion publique mais aussi pour les agents de l’information. Que n’a-t-on pas dit d’erronné durant cette guerre! Dans ce livre, nous consignons un grand nombre d’articles parus en France et à l’étranger sur les chrétiens d’Irak lors de ce conflit.

Amalgame aidant, comme Saddam Hussein se présentait en tant que nouveau Nabuchodonosor, la civilisation mésopotamienne était ainsi caricaturée à 1 extrême et largement dépréciée, et comme si les 150 ans d assyriologie et de l’École biblique de Jérusalem n’avaient pas existé.
Aussi, cette civilisation riche mais très méconnue, et ce christianisme mésopotamien prospère jadis mais quasi totalement ignoré, ont-ils été médiocrement traités.
Mais qui sont-ils ces chrétiens et quel est leur pays réel ?

Au terme de plus de deux millénaires d existence et de protection stato-nationales dans l’Antiquité, l’identité de la communauté et sa conscience ethnique se sont trouvées largement consolidées et promues par un pouvoir politique puissant, le corps de la nation, exerçant une hégémonie sans partage sur un territoire bien défendu et dépassant largement ses bordures nationales. C’est 1 avantage de l’État-nation.
Mais après la chute des Empires assyro-chaldéens, la déperdition de leur État et 1 avènement du christianisme, ce fut l’Église comme institution qui, à la place de 1 État, devint le protecteur de l’ethnie et le ciment de sa cohésion : une Église-nation.

Sans État défenseur et sécurisant, sans dynasties et sans leaders politiques, vivant sous la menace constante de l’assimilation, voire de la dilution dans les nations environnantes, les Assyro-Chaldéens se sont regroupés autour de leur institution ecclésiastique, la patriarchie. Le patriarche sera pour eux le représentant du pouvoir spirituel et temporel, un prêtre-roi. Disons clairement que sans l’Église de Mésopotamie, qui a été la dépositaire des traditions et de la culture, la communauté assyro-chaldéenne n’aurait pas survécu aux avanies et aux outrages de l’Histoire et à tant d’épreuves et d’obstacles. La religion ôtée, les Assyro-Chaldéens seraient assimilables et rayés depuis longtemps du nombre des peuples.

Religieusement, ces chrétiens appartiennent à des Églises dites d’Orient avec des dogmes et des rites différents, mais ethniquement ils sont tous assyro-chaldéens. On les désigne sous des vocables différents: Nestoriens, Chaldéens, Syriaques, Suriyani, Syriens, Jacobites, Araméens, Assyriens, ou tout simplement sous le nom vague de chrétiens d’Orient. Remarquons que ces termes sont en usage depuis très longtemps. Ils soulèvent néanmoins un certain nombre de problèmes d’ordre religieux, ethnographique, linguistique et historique.
Examinons d’abord les termes religieux.

Les vocables de nestoriens et de jacobites sont faux. Ces Églises sont bien antérieures aux controverses et aux schismes du vr siecle. Elles sont apostoliques. Par ailleurs, leur christologie et leur théologie sont beaucoup plus complexes qu’une simple réduction à la doctrine de Nestorius et à celle de Jacques de Baradé.
Se désignent-ils eux-mêmes sous ces appellations ? Non, ils ne se donnent pas eux-mêmes ces dénominations. Ils n’acceptent pas ces noms qu’on leur a donné et sont mécontents quand on les leur applique. Mais il n en reste pas moins vrai qu’ils sont universellement connus sous les noms de nestoriens et de jacobites. Ces vocables sont entrés dans l’usage courant et seront utilisés ici pour aider à la compréhension.

Qu’en dire par rapport aux termes de Syriaques et de Syriens?
La dénomination de Syriaque est confuse, sans assise historique et artificielle. Étymologiquement, le terme « Syriaque » dérive de Syrie, appellation donnée par les Grecs au pays situé à l’est de l’Euphrate et qui provient d’«Assyrie». Or, ces chrétiens n’ont aucune relation d’origine et de nationalité avec ce pays et vivaient à l’ouest de l’Euphrate. Pourquoi alors ont-ils été désignés par ce terme ? Parce que c’est à Antioche, capitale de la Syrie et siège important de la chrétienté que les fidèles du Christ reçurent pour la première fois le nom de chrétiens. A l’époque, pour se démarquer de leurs concitoyens « païens », les chrétiens de Mésopotamie ont rejeté les termes d’Araméens et d’Assyro-Babyloniens qui rappelaient, à leurs yeux, trop ce passé.

En outre, le terme de « Syriaque » est hybride, car il n’existe pas de peuple syriaque, pas plus qu il n existe de langue syriaque. Cette dénomination n a aucune racine, ni linguistique, ni historique.
Quant au terme de « Syriens », il désigne les habitants de la Syrie, pays avec lequel, ces chrétiens n’ont, encore une fois, pas de parenté ethnique.

Les vocables de « Syriaque » et de « Syrien » sont simultanément utilisés pour signifier la même chose. Plus tard, pour mieux s’y retrouver après les schismes du V' siècle et les conflits qui les ont divisés, on prit le soin de bien distinguer les Syriaques (ou Syriens) occidentaux et les Syriaques (ou Syriens) orientaux, qualifiant les adeptes respectifs des deux Églises, syriaque orientale et syriaque occidentale.

Cette confusion a empreint jusqu’aux pores de l’histoire à telle enseigne qu’elle a dominé toute la littérature de ce peuple. Toutefois, au sens religieux du terme, le vocable de « Syriaque » ne s’applique qu’à une seule Église : l’Église syriaque, dite « jacobite. » Il est vrai aussi que certains Syriaques attribuent aujourd’hui à ce terme un sens ethnique et parlent de nation syriaque et de peuple syriaque.

En ce qui concerne l’appellation de «chrétiens d’Orient», est-il utile de dire qu’elle est très floue. Chrétiens d’Orient, ils le sont à l’évidence. Néanmoins, ce terme ne dit rien sur leur filiation ethnique. L’adhésion à la chrétienté ne présuppose une appartenance d’aucune sorte à un peuple et à une langue. Il n’existe pas de peuple chrétien, à moins qu’on veuille toujours faire l’amalgame entre religion et nationalité, dès lors qu’il s’agit des peuples d’Orient.
On a aussi utilisé les termes impropres d’«Eglise de Perse» et d’«École de Perse», pour désigner cette Église et ses universités, comme si on voulait ainsi légitimer la domination coloniale et ôter à ce peuple toute capacité de singularité.
Au Caucase, ils sont désignés sous les noms d’«Aïs-sores» et d’«Assoris», qui leur viennent des Arméniens, qui signifient d’ailleurs Assyriens.

Tous ces termes sont aussi inexacts par rapport à la réalité historique et ethnique.
Sous quelles appellations religieuses se désignent-ils eux-mêmes ?

Les Nestoriens et les Chaldéens se désignent plutôt sous le nom de «Souraya» (au pluriel Sourayé) et leur langue le «soureth». Quant aux Syriaques, ils s’appellent «Sour-yoyo» (au pluriel Souryoyé) et leur langue le «sour-yoyo». Et quelle que soit la branche de leur Église, tous se disent appartenir à l’Église d’Orient. Termes complexes à déchiffrer, ils signifient à première vue, chrétiens et «Syriaques». Mais en creusant, on remarquera une singularité dans la transcription araméenne de ces termes. En effet, les mots de « Souraya » et de «Souryoyo» sont précédés de la lettre «A» surmontée d’un trait occultant qui les ferait écrire «Assouraya» et «Assouryoyo». N’est-ce pas un lien d’origine avec le terme d’«Assyrien» ? D’ailleurs, depuis le début de ce siècle, le terme de «Athou-rayé» (qui provient de Athour qui veut dire Assyrie), est venu peu à peu supplanter celui de «Sourayé».

Pour ce qui en est des vocables d’Araméens, Chaldéens, Assyriens et Assyro-Chaldéens, disons dès le départ qu’ils sont plus scientifiques.
Le terme d’Araméen est en usage depuis les temps immémoriaux et qualifie un peuple. Il en est de même de la dénomination : Assyrien (Athouraya), de plus en plus usitée au sein de la communauté. Les noms de Chaldéen et de Babylonien s’expliquent également par 1 histoire et la filiation à une origine ethnique. Les patriarches de 1 Église d’Orient prenaient le titre de « patriarche de Babylone des Chaldéens » et parfois « d’Assyrie ». Même si le terme de Chaldéen ne s’applique aujourd’hui qu’à l’Église unie à Rome, il n’en reste pas moins qu’il se réfère et signifie l’appartenance à une nation, la Chaldée. Pour ce qui est du vocable « Assyro-Chaldéen », il a l’avantage de rassembler et d’éviter les dissensions confessionnelles.

Ici, nous employons pour la clarté de l’exposé tous ces termes considérés comme synonymes et utilisés indistinctement selon les époques.
Contrairement à une opinion généralement répandue, les chrétiens de Mésopotamie ne se désignent pas seulement par leur religion. Ils ont écrit dans toutes les branches et disciplines et développé considérablement la science historique. Ils sont certes un peuple animé d’une forte religiosité à caractère ethnique, mais aussi un peuple profane et historique. Leur zèle et leur enthousiasme religieux si ardents ne leur ont pas fait oublier leur temporalité. Si l’appartenance à la religion fut largement dominante dans le passé, elle ne supprima pas pour autant leur souci des contingences et de l’identité nationale qui, même en sommeillant, continua à hanter les esprits. Depuis 1850, la filiation ethnique et territoriale à la Mésopotamie s’est définitivement rétablie, et est désormais constamment présente dans la littérature, l’esprit et les activités du peuple et de ses Églises.
Livre de géopolitique religieuse, nous partons plus directement de la situation présente de cette Église et de son peuple. Nous nous tournons ensuite vers le passé pour un éclairage historico-religieux, et concluons sur sa tragédie contemporaine.

La guerre du Golfe a attiré l’attention sur les chrétiens
de Mésopotamie. Dans ce travail composé de quatre parties, nous examinons l’implantation et la répartition de l’Église d’Orient en Irak, en Turquie, en Iran et dans la diaspora, son statut actuel, ses rapports avec l’Orient arabe, l’aire turco-persane, l’Islam et l’Occident chrétien, et son avenir. Comme conséquence de la guerre, cette chrétienté meurtrie connaît un exode des plus douloureux de son histoire.
En situant la Mésopotamie dans son contexte historique, on découvre que ce pays a été durement traité par la Bible, non sans laisser des traces fâcheuses dans l’univers mental de ce peuple. Par voie de conséquence, sa lecture des Écritures s’en est ressentie, alors que son histoire y figure largement.

Église apostolique, le passé nous éclaire aussi sur sa grandeur et sa capacité d’expansion et de rayonnement. Autonome et autocéphale dès 1 origine, très attachée au siège patriarcal de Babylone, elle fut naguère dominante sur le continent asiatique. Babylone était une des métropoles du monde et le centre de cette Église dès le IIe siècle.
Mais son histoire fut en permanence jalonnée de persécutions qui furent autant de préludes à son déclin, amorcé au XIII' siècle et accentué au XX' siècle. Notre siècle est sa tragédie et son ultime espoir.

Son éclipse n’est toutefois pas irréversible. Des signes prémonitoires de sa réapparition commencent, en effet, à se faire jour, confortée par le réveil ethnique de son peuple et par un mouvement religieux et politique de reconnaissance internationale. Cet éveil national fut précédé d une renaissance linguistique. Est-ce le début de son retour sur la scène de l’histoire ? Par souci de pérennité, l’espoir à présent revient.
Ce livre, centré sur l’Église nestorienne et chaldéenne, est appareillé de plus de cinq cent cinquante références qui figurent dans le corps du texte. Six cents mots-cles y facilitent l’entrée, suivis de deux cents sources bibliographiques.


1

La guerre du Golfe et ses conséquences.
Une chrétienté meurtrie.
Les chrétiens d’Irak


«Les Nestoriens, cette communauté dont le nom, tiré de sa religion, n’indique en rien à quel peuple elle doit son origine, descend des Assyriens.
[...] Les Nestoriens descendent, ainsi qu’ils le disent, des anciens peuples de l’Assyrie et de la Chaldée.»
Vital Cuinet1, 1891

«L’Assyro-Chaldée n’est point comme on le pense communément, un simple souvenir poussiéreux et lointain perdu dans la nuit des âges, mais une nation encore vivante, une race avec sa langue, sa religion et son histoire, un peuple dont les membres épars gémissent depuis des siècles sous le joug des Turcs et des Persans et qui a tressailli d’espérance en entendant nos canons tonner au nom du droit à la liberté.
[...] Puisse le vœu des Assyro-Chaldéens être exaucé et, dans le ciel où les premiers aux temps bibliques ils ont suivi le cours des astres, puissent les “Pâtres de Chaldée , voir briller enfin une étoile messagère d’espérance et blanchir l’aurore de temps nouveaux.»

Paul Caujole2, 1920
.....

1. Cf. Vital Cuinet, La Turquie d’Asie, t. II, Paris, Éd. Ernest Leroux, 1891, p. 648.
2. Cf. Paul Caujole, Les Tribulations d'une ambulance française en Perse, Paris, Chez Gémeaux, 1922, p. 173-174.




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