MINORITES ET CONSTRUCTION NATIONALE EN TURQUIE
Françoise Rollan*
«Türkiye'de yetmișiki buçuk millet var»** «En Turquie, il y a 72,5 nationalités»
La Turquie moderne a été créée au lendemain de l’effondrement de l’Empire ottoman, à la suite de la reconquête de l’Anatolie menée par Mustafa Kemal (dit Atatürk) contre les Alliés qui, au Traité de Sèvres (1920), s’étaient partagés les restes de l’Empire. Sa victoire lui a permis de renégocier le Traité de Sèvres et d’imposer aux Alliés, au traité de Lausanne en 1923, les limites de la Turquie actuelle. L’Anatolie avait accueilli, au cours des cinq siècles de l’Empire, une multitude de populations turcophones et non turcophones, musulmanes et non musulmanes. D’autres populations comme les Kurdes (musulmans sunnites ou alevi) ou les Assyro-chaldéens (chrétiens) étaient des autochtones qui vivaient au sud-est de l’Anatolie. Entre 1771 et 1989, on estime qu’environ 7850000 immigrés, originaires de Crimée, du Caucase Nord, d’Azerbaïdjan, de Grèce, Bulgarie, Roumanie, Yougoslavie, Chypre, du Turkestan oriental et d’Afghanistan, se sont fixés en Turquie. Ce sont ces populations qui ont constitué, avec les Turcs, la République Turque. S’agissait-il de minorités? Sans aucun doute, mais pour les Ottomans, au moins jusqu’au XVIIIe siècle, le mot «minorité», ekalliyyet, n’avait alors aucun sens***. Ce n’est qu’au traité de Lausanne (1923) que le terme prit le sens qu’il a aujourd’hui. À la fin du XIXe siècle, Osman Nuri Pasa, vali (gouverneur) ...
*Françoise Rollan, UMR 6588 MITI, équipe TIDE, CNRS, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 10 Esplanade des Antilles, Domaine Universitaire, 33607 Pessac cedex, France ; Tél. : +33 556 84 68 27; Fax : +33 556 84 45 61 ; e-mail : Françoise. Rollan@msha.fr **Peter Alford Andrews (ed.), 1989, p. 18. ***Selim Deringil, 1998, p. 217. Aujourd’hui, le terme employé est azınlık.
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