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Les Noces Noires de Gulizar


Auteur :
Éditeur : Éditions Parenthèses Date & Lieu : 2005, Marseille
Préface : Pages : 186
Traduction : ISBN : 2-86364-138-7
Langue : FrançaisFormat : 165x230 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Kev. Nos. 1242Thème : Littérature

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Les Noces Noires de Gulizar

Les Noces Noires de Gulizar

Arménouhie Kévonian

Éditions Parenthèses


Au printemps 1889, le chef d’une puissante tribu kurde, Moussa bek, lançait ses hommes à l’assaut du village de Khartz, dans la plaine de Mouch, au coeur de l’Arménie historique.
Une adolescente, Gulizar, est enlevée, séquestrée dans un harem et convertie à l’islam.

Cet épisode banal dans une province orientale de l’Empire ottoman deviendra une «affaire» jusque dans les rapports diplomatiques occidentaux lorsque Gulizar, surmontant ses peurs et sa honte, viendra à Constantinople accuser Moussa bek et affirmer devant les tribunaux ottomans son identité arménienne. A terme, ce procès servira de détonateur pour les mouvements d’émancipation des minorités chrétiennes de l’Empire.

Si le témoignage transcrit par Arménouhie Kévonian de la bouche de Gulizar, sa mère, appartient plus à l’histoire qu’à la littérature, le texte est surtout marqué par la vivacité et la sensibilité du souvenir. Ces mémoires mêlées ont retenu avec une exactitude et une précision étonnantes les faits, les lieux, les dates, les noms, les situations, malgré les drames, l’exil et les tribulations, malgré des vies brisées par le regret torturant de l’enfance, de la famille et de la patrie perdues. Ou, peut-être, à cause même de cela.

Récit traduit de l’arménien par Jacques Mouradian



Arménouhie Kévonian (1902-2002) est née à Mouch au cœur du pays arménien. Elle vient étudier à Istanbul, quand son père devient député du Parlement ottoman. Après la disparition d’une grande partie de sa famille au cours du génocide, elle enseigne et, en 1925, s’installe à Paris où elle tiendra des chroniques régulières dans la presse quotidienne arménienne et poursuivra ses recherches musicales, restituant les chants traditionnels de son pays.
C’est en 1946 que paraîtra le témoignage sur Gulizar, sa mère.



PREFACE DE L’ÉDITION ORIGINALE (l946)


Qui aurait pu s’imaginer que la fille de l’écrivain Kéram, à son tour... s’approprierait les lauriers de l’écrivain en rédigeant les mémoires de sa mère, avec autant de saveur et de vie, de couleur et de force, qu’on en trouve dans l’œuvre si spécifique du chantre du Daron.

Pour moi, ce fut une surprise de découvrir à la lecture de ces mémoires :
— d’abord une femme, Gulizar, l’épouse de Kéram Der Garabédian, dotée d’une mémoire à ce point vive et fidèle qu’elle est en mesure de raconter dans tous ses détails — songez que cinquante ans ont passé depuis — l’enlèvement dont elle fut victime ;
— une autre femme, Arménouhie Kévonian, la fille de Kéram Der Garabédian, avantagée par toutes les facultés d’imagination et d’observation, toutes les qualités narratives nécessaires pour doter de vivacité, de ferveur et de sensibilité les souvenirs dépouillés de sa mère.

La mère, Gulizar, privée désormais de la vue, ayant clos les fenêtres qui s’ouvraient sur la vie, a simplement fourni le thème de l’enlèvement. Mais la fille l’a enrichi par son don d’écrire — ce qu’elle rend est une histoire vraie bien sûr, la consignation authentique des faits. Pourtant, elle a donné à la matière brute une facture originale, grâce à son imagination et à sa plume agile, rehaussant ainsi le récit par une expression plus forte, plus vive, plus animée.
Maintenant, passez au récit.

Quel destin ! En ces journées historiques du procès de Moussa bek, c’est son propre portrait que Gulizar allait vendre dans Constantinople, pour couvrir, à l’aide de ce revenu, les frais de déplacement de ses compatriotes venus l’accompagner.
Aujourd’hui qu’elle a clos ses fenêtres à toute lumière, ce sont ses mémoires qu’elle publie pour combattre la dureté des temps.
Evidemment, la publication de ces mémoires ne revêt pas que ce seul sens : l’écrivain nous y fait découvrir un tableau des moeurs et des coutumes, en même temps que le zpuloum, ce thème du malheur et de la désolation qui fit son entrée dans notre littérature sous la plume d’Aharonian. La jeunesse d’aujourd’hui ne sait rien, pour ainsi dire, de ce que fut la vie vécue par nos pères ; or voici un martyrium où frémissent encore les cœurs des jeunes Arméniennes enlevées à leur famille, où fument encore les cendres des maisons arméniennes incendiées, où retentissent encore les cris des adolescents massacrés par le fer.
Ce livre, qui contient les mémoires de Gulizar, est une lecture quotidienne à recommander à tout Arménien aimant à méditer sur le passé de son peuple, et à tout écrivain arménien qui voudra chercher dans notre tragédie l’inspiration.

Ce livre a été écrit avec cœur, dans le double culte de la vie et de la liberté, et avec toute la fraîcheur émanant d’un talent spontané. A la détentrice de ce talent, l’auteur de ces lignes demande qu'elle ne dépose point sa plume, pour sauver de l’oubli tant de traditions et d’images conservées en son âme depuis les jours de son enfance et reçues de sa famille en héritage.

Chavarche Nartouni 1
Paris 1946
(traduit de l’arménien par Kéram Kévonian)

1. Chavarche Ayvazian, dit Chavarche Nartouni (1898-1968).
Né le 13 février 1898 à Armache dont il n’oubliera jamais le moulin et la rivière. Fait ses études secondaires au collège arménien Guétronagan à Adabazar (à l’ouest de l’Anatolie). En juillet 1915» il échappe à la déportation générale qui frappe les Arméniens et, après l’armistice de 1918, il commence ses études de médecine à la faculté de Constantinople. Après la victoire du kémalisme, en 1923 il émigre à Paris où il achève sa médecine et découvre avec ivresse la bibliothèque Sainte-Geneviève, le Louvre, l’Opéra, la Comédie française et les théâtres d’avant-garde. Durant un an, il travaille à l’hôpital psychiatrique d’Amiens, mais il n’exercera jamais la médecine en France. A partir de 1928, il collabore régulièrement au quotidien Haratch, fondé à Paris par Chavarche Missakian en 1925.
En 1929 il fonde Yergounk [Gésine], la revue de l’Association des orphelins majeurs qu’il présida. Si l’association rassemblait les orphelins rescapés du génocide, la revue qui paraît jusqu’en 1936 cherche surtout à réaliser une synthèse entre la culture arménienne du passé et la modernité.
En 1934. U crée Hay Pouj [Médecine arménienne]. Publiée tous les deux mois, Hay Pouj est une revue de médecine populaire où l’on trouve des études consacrées à l’histoire de la médecine depuis l’Antiquité, des essais sur la médecine traditionnelle et enfin des conseils d’hygiène qui s'adressaient à une population de réfugiés où la morbidité était élevée. Ses «conseils aux mères arméniennes» ont contribué à les prévenir et les ont aidées à soigner les maladies qui emportaient leurs enfants. Hormis une interruption due à la guerre de 1939 à 1946, Hay Pouj paraîtra jusqu’en 1967.
Journaliste, essayiste, conteur, Chavarche Nartouni joignait à son talent d’écrivain, l’admiration du linguiste pour la perfection de la langue arménienne et une érudition dans des domaines aussi variés que les sciences, les lettres et les arts. Très tôt il a publié, sous forme de recueils, ses articles dispersés dans Haratch, Hay Pouj et dans de multiples revues arméniennes. On lui doit plus d’une quinzaine d’ouvrages, une oeuvre qui fait de lui un des écrivains importants de la diaspora arménienne.
Celui qui fut probablement le critique littéraire et politique arménien le plus exigeant de son temps, était un homme discret, modeste et même timide. Il est mort à Marseille où il avait été invité en 1968.



Gulizar

En 1889, le district de Tchekhour-Boulanek de la province du Daron vivait des jours d’épouvante. Les chefs de bandes kurdes, stimulés par le gouvernement turc, s’adonnaient à la mise à sac des villages arméniens à leur portée. Tout particulièrement les populations arméniennes des villages de Khartz1, Ardkhonk, Varténis et Argavank, réduites à un désespoir extrême, cherchaient un moyen d’échapper à l’emprise de leur voisin Moussa bek, le chef kurde. Nombre de ces villageois en furent alors réduits à envisager de quitter les lieux et d’émigrer dans des régions lointaines afin de sauver leur vie et leur honneur. Ainsi, un soir, une première caravane se mit en route ; mais tout juste parvenue au village d’Irizag, le gouvernement lui interdit d’aller plus loin, obligeant les émigrants à regagner leurs villages d'origine.

Moussa bek2 était le fils du fameux brigand Mirza bek qui en son temps avait répandu la terreur chez les villageois kurdes et arméniens de son district. Il bataillait sans cesse contre les tribus kurdes de son voisinage et surtout contre les Belleks, ses ennemis les plus acharnés. Finalement, Mirza bek brûla le village kurde de Nok où périrent plus de quatre-vingts personnes. Mais, en 1885. il fut lui-même tué en représailles par Khoursoun Khalil Fakhi Akhoup.

Comparé à son effroyable rejeton, Mirza bek ne s’était pas mal comporté à l’égard des Arméniens du district. Il parlait l’arménien et honorait avec ardeur les saints arméniens. On raconte même qu’une fois, Mirza bek avait visité le monastère de Saint-Aghpérig de Mouch en compagnie de son fils Khalil âgé de douze ans. Après le repas, Khalil se rendit aux écuries du monastère et, voyant un beau cheval, il voulut le monter pour sa promenade. Les valets du monastère le mirent en garde : ce cheval était rétif, de plus il appartenait au supérieur du monastère. Le gamin kurde fit la ...

1. Sur les cartes de la fin du XIXe siècle, Khartz est souvent transcrit sous la forme «Khars» ou «Ghars».
2. On a conservé la forme utilisée par les Arméniens et les Kurdes de Moussa bek et non celle de Moussa bey que l’on trouve dans les archives françaises et britanniques.




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