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Le Rêve brisé des Assyro-Chaldéens


Auteur :
Éditeur : Cerf Date & Lieu : 2011, Paris
Préface : Pages : 320
Traduction : ISBN : 978-2-204-09182-4
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Wei. Rev. N°4694Thème : Général

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Le Rêve brisé des Assyro-Chaldéens

Le Rêve brisé des Assyro-Chaldéens

Claire Weibel Yacoub

Cerf


Mésopotamiens, chrétiens depuis deux mille ans, les Assyro-Chaldéens furent remplis d’espoir au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ils ne sont pas des inconnus pour l’Occident. Les premiers contacts remontent au XIIIe siècle. Au XVIIe siècle, la France passe même pour être leur protectrice. Pourtant, au XXe siècle, leur destin bascule. Durant la Grande Guerre, tout comme les
Arméniens, ils sont victimes d’un terrible génocide en 1915.

Dès l’armistice, les Assyro-Chaldéens s’enthousiasment pour les idées de liberté et d’autodétermination. Le rêve d’une patrie les saisit. Lors de la conférence de la Paix à Paris, ils soumettent pas moins de onze mémorandums aux grandes puissances, tandis que sept délégations sont présentes à Paris. L’historien Arnold Joseph Toynbee en fournit un éclairage inédit. La France et la Grande- Bretagne sont en rivalité pour l’hégémonie sur les territoires de l’ex-Empire ottoman. La question assyro- chaldéenne sera-t-elle abordée dans ce grand jeu d’échecs que se livrent ces deux Grands? Ces pages d’histoire insuffisamment connues sont ici décryptées à travers différentes sources dont certaines sont inédites. Les épreuves vécues par les Assyro-Chaldéens durant la Grande Guerre sont à méditer pour comprendre leur présent.

Aujourd’hui seront-ils, une nouvelle fois, les grands oubliés de cette tragédie collective qui se déroule sous nos yeux en Irak? Succédant à la SDN, que fait l'ONU pour protéger ces minorités autochtones? Pour y répondre, il est indispensable de savoir ce qui s’est joué lors de la conférence de la Paix, entre 1919 et 1925. Cet ouvrage y contribue.

Sensible à la question des chrétiens d’Orient, proche des Assyro-Chaldéens, Claire Weibel Yacoub, laborantine, diplômée en Droits de l’Homme, a rédigé cet ouvrage au terme de multiples recherches, rencontres et investigations auprès de différentes sources britanniques et françaises.



INTRODUCTION


«Chose incroyable, les Alliés ont remporté la victoire, mais tous les Assyro-Chaldéens qui ont pu échapper au massacre sont encore à présent dispersés dans tout l’univers.»
Malek Cambar, 1926.

Bien souvent, l’actualité dominante occulte celle d’un petit peuple, dont l’histoire est pourtant mouvementée. Il s’agit des Assyro-Chaldéens, des Orientaux, chrétiens depuis deux mille ans, qui parlent l’araméen, la langue du Christ. Implantés en Mésopotamie, leur terre natale, vivant sous le joug de l’Empire ottoman, ils furent remplis d’espoir au lendemain de la Première Guerre mondiale, persuadés d’obtenir un foyer national. Aujourd’hui, en Irak, après l’invasion américaine d’avril 2003, leur situation est à nouveau incertaine. Alors que l’unité du pays est secouée, que les violences perdurent, l’écho du passé résonne dans leurs mémoires.

Les nouvelles sont alarmantes1. Human Rights Watch n’a de cesse d’interpeller les autorités irakiennes et kurdes sur le sort des minorités. Dans son rapport publié en novembre 2009, cette organisation demande la protection des minorités, qui sont prises pour cible dans le nord de l’Irak: «Fin 2008, une campagne orchestrée et systématique de meurtres et de violences ciblés a fait quarante morts parmi les Chaldo-Assyriens et a entraîné le déplacement de plus de douze mille d’entre eux qui vivaient à Mossoul.» Son directeur adjoint pour le Moyen-Orient, Joe Stork, ajoute: «Les chrétiens irakiens, les Yézidis et les Shabaks souffrent énormément depuis 2003. Les autorités irakiennes, tant arabes que kurdes, doivent discipliner les forces de sécurité, les extrémistes et les groupes de milices afin de faire passer le message que les minorités ne peuvent pas être attaquées impunément2.»

En outre, comme par le passé, il est à nouveau question d’autonomie territoriale pour les Assyro-Chaldéens, d’un safe heaven dans la province de Ninive, tandis que la bataille du nom national et du leadership fait une fois de plus rage3. Les divisions d’autrefois resurgissent. Une nouvelle Constitution irakienne a été adoptée en 2005, dans laquelle les Assyriens et les Chaldéens sont mentionnés. Le pas est vite franchi pour les considérer comme deux ethnies différentes. Le risque de marginalisation s’en trouve amplifié, surtout que les départs ne tarissent point depuis avril 2003. Début 2010, la communauté chrétienne de Mossoul est, une fois de plus, la cible de nombreuses intimidations et d’assassinats ciblés. Les familles fuient la ville ou se cloîtrent chez elles. «C’est un nouvel exode qui commence», dénonce Mgr Sleiman, archevêque de Bagdad des Latins, dans l’indifférence quasi générale4. Les derniers événements du 31 octobre 2010 où, en pleine messe, une prise d’otage dans la cathédrale syriaque catholique de Bagdad s’est achevée dans un bain de sang, ne freineront guère cette saignée5 Le pays est à reconstruire, alors qu’il n’est plus vraiment en guerre, mais pas encore en paix. Estimé à plus de 400 milliards de dollars, ce marché suscite déjà les convoitises, sans parler du pétrole6.

Les Assyro-Chaldéens ne sont pas des inconnus pour l’Occident. Loin de là, même si l’impression commune est de les découvrir pour la première fois. Or, les premiers contacts remontent au XIIIe siècle, par les voyageurs, les États, le Saint-Siège et les ordres religieux tels les Dominicains. Lorsque le déclin de l'Empire ottoman s’est amorcé, les puissances européennes ont reconsidéré leurs intérêts dans cette partie du monde. En effet, à partir du XVIIe siècle, la France se rapproche des chrétiens d’Orient, passant même pour leur protectrice. La Grande-Bretagne ne tarde pas à réagir. Au cours du XIXe siècle, les missionnaires catholiques sillonnent l’Empire et fondent de nombreuses écoles. A leurs efforts s’ajoutent ceux des anglicans et des protestants.

Au début du XXe siècle, l’Empire ottoman connaît de graves soubresauts. Il entre en guerre aux côtés de l’Allemagne contre la France et la Grande-Bretagne. Durant ce conflit, les Assyro-Chaldéens, tout comme les Arméniens, subirent les assauts des troupes turques et des irréguliers kurdes, et furent victimes d’un génocide en 1915. Entre 1915 et 1916, les horreurs des massacres en Perse, au Hakkari et dans l’ensemble de la Turquie sont révélées au monde. Le 15 décembre 1915, l’archevêque de Canterbury, Randall Thomas Davidson, s’en est ému dans le quotidien londonien Times: «Le massacre des chrétiens arméniens et assyriens au sein de l’Empire turc est un crime qui, en horreur et en échelle, n’a probablement pas de parallèle dans l’histoire du monde...»

Dès l’armistice, confortés par les discours du président américain Thomas Woodrow Wilson, les peuples s’enthousiasment aux idées de liberté et d’autodétermination. Le rêve d’une patrie indépendante prend place dans la conscience des Assyro-Chaldéens. Ils croient aux principes libérateurs et humanitaires prônés par les puissances. Alors que, le 18 janvier 1919, la conférence de la paix s’ouvre à Paris, à Istanbul, le choix d’une identité nationale sous la dénomination d’«Assyro-Chaldéen» s’affirme. Les archives britanniques nous en révèlent des pages inédites. Ainsi, un document officiel, daté du 15 février 1919, fait état de la fusion des catholiques et des jacobites d’Istanbul:

Nous avons l’honneur de porter à votre connaissance que les anciens Syriens, ainsi que les Chaldéens et les Syriens catholiques, reconnaissant qu’ils sont issus de la même race et ayant une même origine, se sont fusionnés et ont proclamé leur unité politique et nationale primordiale sous la dénomination d’Assyro-Chaldéens. Il va s’en dire qu’ils restent libres, comme par le passé, à professer les dogmes religieux de leurs Églises respectives.

Toutefois, cette union est éphémère. Les Assyro-Chaldéens se présentent à Paris en ordre dispersé allant jusqu’à remettre leur nom national en cause.

Entre 1919 et 1920, ils soumettent pas moins de onze mémorandums, et sept délégations sont présentes à Paris. Deux tendances majeures se dégagent, celle du patriarche nestorien proche des Anglais, et celle soutenue par la hiérarchie chaldéenne et syriaque catholique proche de la France. Les documents britanniques de première source, annotés parfois par l’historien Arnold Joseph Toynbee, alors conseiller auprès du Foreign Office, fournissent un éclairage inédit.

Alors que les Assyro-Chaldéens transmettent leurs pétitions à la conférence de la paix, les grandes puissances sont à la manœuvre sur la scène orientale. Il faut dire que la France et la Grande-Bretagne sont en rivalité d’hégémonie sur les territoires de l’ex-Empire ottoman. Aux opérations militaires, s’ajoutent les tractations diplomatiques sur les tracés des nouvelles frontières (turco-irakienne, turco-syrienne ou turco-persane), l’exercice des mandats et le partage du pétrole. De jeunes Etats-nations émergeront. La question assyro-chaldéenne sera-t-elle abordée dans ce grand jeu d’échecs qui s’engage? Une fois de plus, les archives diplomatiques apportent des réponses. La France comme la Grande-Bretagne entendent les pétitions des Assyro-Chaldéens et leur font miroiter une large autonomie. Le 8 septembre 1919, le Foreign Office affirme que: «Le gouvernement de Sa Majesté reconnaît le patriarche Mar Shimoun, qui est à présent à Bakouba, comme chef de sa communauté. Mar Shimoun a confié ses intérêts à la délégation britannique de la paix, qui est complètement attentive aux aspirations et souffrances des nestoriens.» Quant à Henri Froidevaux, directeur de l’hebdomadaire l'Asie française, il écrit en mars 1920: «Il appartient à la France de soutenir cette opinion, de se constituer l’avocate des Assyro-Chaldéens et de faire triompher leurs revendications.
Tout l’y autorise et tout l’y convie.»

Mais ces deux puissances finiront par les instrumentaliser. Pour leur malheur, le foyer national des Assyro-Chaldéens finira par se disloquer en quatre pays: Turquie, Iran, Irak et Syrie.

Aussi, le constat se veut plutôt amer. Le rêve d’indépendance des Assyro-Chaldéens s’est brisé sur la Realpolitik des États, malgré la création de la Société des Nations (SDN), qui fut, après tout, le reflet politique des États membres. De traité en traité, l’espérance d’autonomie s’est éclipsée au fur et à mesure que les intérêts des États-nations s’affirmaient. Le problème du droit à l’autodétermination s’est transformé en un problème d’installation de réfugiés, la question politique devenant un problème humanitaire. D’ailleurs, le souci humanitaire n’empêchera pas de nouveaux massacres à Simélé en août 1933.

En septembre 1937, le Conseil de la SDN exprime «son regret» pour n’avoir pas réussi à réinstaller les Assyriens désireux de quitter l’Irak. Pouvait-il faire autrement ? C’est sur cet aveu d’échec que la question assyro-chaldéenne a été classée par les instances internationales.

Aujourd’hui, les Assyro-Chaldéens seront-ils, une nouvelle fois, les grands oubliés de cette tragédie collective qui se déroule sous nos yeux en Irak ? Succédant à la SDN, que fait l’ONU ?

Pour y répondre, il est opportun de découvrir ce qui s’est joué lors de la conférence de la paix à Paris entre 1919 et 1925.

1. Sur la situation des chrétiens en Irak, voir Joseph Yacoub, «La Marginalisation des chrétiens d’Irak», dans Chrétiens d’Orient, sous la direction de Pierre Blanc, Les Cahiers de Confluences, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 79-94 ; Proche-Orient chrétien (POC), revue d’études et d’information, trimestrielle, Jérusalem, Pères Blancs de Sainte-Anne, voir tout particulièrement les «Chroniques des Eglises et des pays» (Irak), 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009.

2. Pour ce rapport de Human Rights Watch (HRW), basé sur des recherches menées en février et en mars 2009, voir son site : www.hrw.org. On vulnérable ground: violence against minority communities in Nineveh province’s disputed territories («En terrain vulnérable: violences contre les communautés minoritaires des territoires convoités de la province de Nineveh»), 51 pages, ainsi qu’un article de son correspondant à Erbil (10 novembre 2009): «Iraq : Protect besieged minorities» («Irak: les autorités doivent protéger les minorités enclavées»). Toutes les citations sont traduites par l’auteur.

3. Voir Louis Sako, «The plains of Niniveh, a trap for Iraqi Christians!», Asia News, 6 juillet 2007. Pour ces débats consulter le site: www.ankawa.com.

4. Voir le site: www.zenit.org (et notamment les informations sur l’Irak de janvier, février, mars et mai 2010). Guillaume Perrier, «L’exode des chrétiens de Mossoul, en proie à des violences quotidiennes», Le Monde, 4 mars 2010.

5. Voir Claire Les chrétiens, «Les chrétiens de Bagdad frappés en pleine messe», et l’éditorial de Dominique Quinio, «Solidarité», La Croix, mardi 2 novembre 2010, p. 1 et 2.

6. Voir Yves Mamou, «Les Français veulent leur part», Le Monde, 7 novembre 2009; Jean-Michel Bezat, «Total veut retourner en Irak, un eldorado à haut risque», Le Monde, 11 décembre 2009.



Première partie
Les Assyro-Chaldéens n’étaient pas des Inconnus

I
L’Occident avait des liens historiques avec les Assyro-Chaldéens avant 1919


«Ne leur refusons pas la protection que nous accordons si largement à nos clients orientaux et, en le faisant, nous aurons accompli une œuvre digne de nous et digne de nos principes.»
Léon Krajewski, diplomate français, 1903.


À l’aube du deuxième millénaire

Un intérêt croissant

Les liens historiques de l’Occident avec les Assyro-Chaldéens, «ces habitants de Mésopotamie 1», témoins de la Pentecôte, ne datent pas d’aujourd’hui. Les premiers contacts remontent au XIIIe siècle à travers les voyageurs et les ordres religieux. Ces liens se sont amplifiés et renforcés au cours du xixc siècle.

Non seulement les grands voyageurs et les commerçants sillonnent les territoires de ces chrétiens d’Orient, mais ...

1. Bible de Jérusalem, Actes des apôtres, 2, 9.

 




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