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Sociologie politique du Moyen-Orient


Auteur :
Éditeur : La découverte Date & Lieu : 2011, Paris
Préface : Pages : 128
Traduction : ISBN : 978-2-7071-6704-0
Langue : FrançaisFormat : 120x190 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Boz. Soc. N°4659Thème : Général

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Sociologie politique du Moyen-Orient

Sociologie politique du Moyen-Orient

Hamit Bozarslan

La Découverte


Le Moyen-Orient est souvent associé à une modernité avortée, à l’islamisme ou encore au tribalisme. Au-delà de ces grilles de lecture qu’il revisite, cet ouvrage définit le Moyen-Orient contemporain comme le produit d’une histoire mouvementée. Il analyse notamment la question de l’autoritarisme, trait commun à l’ensemble de la région qui surdétermine le fait politique, en partant du double concept d’hégémonie et d’ingénierie sociale. Il insiste sur la reproduction des États autant par la coercition que par une série de ressources de durabilité, parmi lesquelles un complexe jeu de cooptation.

Prenant acte d’une fatigue sociale généralisée qui se traduit par une démobilisation ancrée dans la durée, il souligne l’importance de nouveaux modes de résilience et de contestation observés dans de nombreux pays de la région.
Enfin, il accorde une attention particulière aux faits communautaires et minoritaires, produits de processus historiques complexes, aux rapports intergénérationnels et aux représentations du corps comme autant de déterminants de l’action politique et dans certains cas du radicalisme, islamiste ou non, dans l’ensemble du Moyen-Orient.



Docteur en histoire et en science politique, Hamit Bozarslan est directeur d'études à l’EHESS. Il est " notamment l'auteur de Conflit kurde (Autrement 2009), Une histoire de la violence au Moyen-Orient. De la fin de l'Empire ottoman à Al-Qaïda (La Découverte, 2008), 100 mots pour dire la violence dans le monde musulman (Maisonneuve & Larose, 2005) et Histoire de la Turquie contemporaine (La Découverte, « Repères », 2007, nouv. éd.). Ses travaux actuels portent sur la sociologie historique et politique du Moyen-Orient.

 



INTRODUCTION


Le présent livre propose plusieurs entrées pour introduire ses lecteurs à la « sociologie politique » du « Moyen-Orient », deux notions nécessitant d'emblée une brève explication.

La sociologie politique a pour ambition d'analyser le « fait politique » par le recours à des outils sociologiques quantitatifs et qualitatifs, sans pour autant s’interdire une approche interdisciplinaire. Elle s’intéresse, par définition, aux institutions politiques et à leurs modes de légitimation, à la vie partisane et aux compétitions électorales, aux formes de domination et de contestation, aux dynamiques inscrites dans la durée et aux transformations, parfois radicales, que connaît un espace politique donné.

Le « Moyen-Orient », quant à lui, est entendu ici comme un concept macro spatial désignant une zone à géométrie variable et à l'avenir incertain, mais qui s'étale désormais du Maghreb à l'ouest à l'Afghanistan et au Pakistan à l’est [Anderson et Anderson, 2010, p. 3-10]*. J'insisterai plus loin sur les phases décisives de la construction de cette « aire » qui est marquée par des ruptures radicales fréquentes comme la division des provinces arabes de l'Empire ottoman entre la France et la Grande-Bretagne au lendemain de la Première Guerre mondiale, la création de l'État d'Israël en 1948, la révolution iranienne et l'occupation de l'Afghanistan par l'Union soviétique en 1979, les guerres régionales des années 1980-1990 et, enfin, la « guerre contre la terreur » qui commence après les attentats du 11 septembre 2001. Je me contenterai ici de deux précisions. En premier lieu, si l’ouvrage privilégie par ce choix les dynamiques transversales en œuvre dans cet espace, on ne doit pas pour autant négliger l'historicité propre de chaque pays ou de chaque zone transfrontalière. Les pages qui suivent ne sauraient donc nullement se substituer à des études effectuées à partir d’échelles plus fines, les seules à même de rendre intelligibles les différences observées entre ces sociétés complexes, linguistiquement et confessionnellement plurielles. En second lieu, dans l'usage fait ici, le concept « Moyen-Orient » n'a nulle connotation géopolitique ou géostratégique. Fruit de processus historiques complexes, cette « aire culturelle » est analysée à partir d'un ensemble de facteurs et tensions convergents qui la construisent tout en la condamnant à un avenir indéterminé. D’où mon pari de prendre en compte l'histoire longue, remontant parfois loin dans le temps, et d'être, en même temps, sensible aux discontinuités historiques, pacifiques ou violentes, mais toujours de portée heuristique, dont le Moyen-Orient est le théâtre depuis maintenant près d'un siècle. Ainsi définie, la « sociologie politique » proposée s’adosse résolument à une « sociologie historique » du Moyen-Orient.

Travailler sur cette région, comme sur toute autre région ou tout autre objet des sciences sociales, revient à accepter les contraintes de deux impératifs complémentaires, dont le premier consiste à s’inscrire dans une tradition scientifique cumulative déjà bien assise. Force est en effet de prendre acte de la mise en garde d'Andrew Abbott contre des postures scientifiques ayant la faiblesse de se croire « révolutionnaires » pour, en réalité, ne faire que redécouvrir la roue [Abbott, in Boutier, Passeron et Revel, 2006, p. 49]. Le second impératif, quant à lui, est lié à l'exigence de charger les apories et les complexités que présente un « objet » d'étude d'un sens heuristique pour interroger non seulement l'objet lui-même, mais aussi les limites de nos savoirs sur lui et la pertinence de nos modes de production des connaissances scientifiques. Il apparaît dès lors nécessaire de penser et critiquer l'« objet » avec des outils conceptuels et analytiques sans cesse renouvelés et des enquêtes de terrain réalisées notamment, mais pas exclusivement, par toute une jeune génération de chercheurs.

Aussi, le lecteur lira les lignes qui suivent comme une tentative de synthèse de nos savoirs sur le « Moyen-Orient politique » (et, partant, comme un hommage aux générations successives de chercheurs qui les ont forgés), mais aussi comme un livre « à thèses » qui ne cesse de les interroger.

Quelques mots enfin du plan. L'ouvrage insiste dans un premier chapitre sur la formation du Moyen-Orient à la faveur de plusieurs cycles historiques. Cette entrée en matière explique pourquoi certains repères, du partage des provinces arabes de l'Empire ottoman au lendemain de la Grande Guerre à l'Intifada palestinienne ou à l'occupation de l'Irak des années 2000, déclenchent des dynamiques politiques au-delà de leurs théâtres originels. Le chapitre II, dont je reconnais volontiers la nature quelque peu « ardue », est consacré aux « paradigmes » dominants dans les études sur le Moyen-Orient, qui dissolvent cet « objet » dans une téléologie moderniste universelle ou, au contraire, le singularisent en partant de l’islam ou de l'islamisme, d'une conception propre du pouvoir ou du fait tribal. Je n’insisterai pas ici sur les usages abusifs faits du concept de paradigme, qui occupe une place centrale dans l'œuvre de Thomas Kuhn [1962] ; il me semble cependant plus que jamais nécessaire de faire le choix de la complexité méthodologique contre toute prétention « paradigmatique » pour analyser le fait politique au Moyen-Orient et lever ainsi les hypothèques qui pèsent sur ce champ d'études sensible.

Le chapitre III analyse l'autoritarisme au Moyen-Orient à partir du double concept d'hégémonie et d'ingénierie politique, et insiste sur la reproduction des États autant par la coercition que par une série de ressources de durabilité, parmi lesquelles un complexe jeu de cooptation. Consacré aux contestations politiques dans la durée, le chapitre IV prend acte d'une fatigue sociale généralisée qui va cependant de pair avec de nouveaux modes de résilience et de résistance. Le chapitre V, qui propose une lecture historique des faits communautaires et minoritaires, souligne aussi la nécessité de les prendre en considération comme cadres pertinents de l'analyse du fait politique. Enfin, les transmissions et ruptures intergénérationnelles et les représentations du corps, surdéterminant l'action politique en contexte de radicalisme, sont analysées dans le dernier chapitre. Tout en proposant une lecture transversale du fait politique dans l'ensemble de la région, ces chapitres gardent cependant en vue la pluralité des configurations que l’on observe dans différents pays du Moyen-Orient.

* Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'ouvrage.



I / La formation du Moyen-Orient


Certains concepts utilisés dans les sciences sociales sont des « chausse-trapes », qu'on ne peut ni cerner ni évacuer. Le « Moyen-Orient », défini parfois aussi comme une « aire culturelle », relève définitivement de cette catégorie. Il est en effet très aisé de montrer qu'il est le produit d'un imaginaire « géopolitique ». On peut également démontrer que si l'islam joue indéniablement un rôle majeur dans la formation de cette aire culturelle, celle-ci ne se prête pas pour autant à une lecture historique « islamo-centrée ». Durant des siècles, une série de faits et dynamiques communs, de la lingua franca [Dakhlia, 2008] aux déplacements des hommes, des idées et des biens, a lié les deux rives, musulmane et chrétienne, de la Méditerranée par des alliances et des discordes irréductibles à la donne religieuse. Aucune terre « islamique » n'a d'ailleurs été exclusivement musulmane, tant les communautés chrétiennes, mais aussi juives, pourtant subordonnées, ont joui d'une présence massive et joué un rôle économique, culturel et parfois politique décisif. De même, l’Empire ottoman, qui a si lourdement et si longuement marqué les territoires arabes de sa présence, ne s'est jamais contenté d'une légitimation religieuse « islamique » puisqu'il se projetait, notamment après la conquête de Constantinople (1453), comme la troisième Rome, place qu’il disputait à Moscou. S'il est indéniable qu'on assiste à la « réislamisation » du Moyen-Orient au xix° siècle, comme en témoigne l'intégration de la religion dans la définition même des « nations » musulmanes, celle-ci constitue en réalité le pendant d'un second processus, dit d'occidentalisation. C'est dans un contexte où les échanges avec l'Europe sont denses mais très inégalitaires, où l'expansion impérialiste prend dans nombre de pays de l'islam …




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