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La Construction Visuelle des Identités Kurdes au Cinéma - I


Auteur :
Éditeur : Compte d'auteur Date & Lieu : 2013, Paris
Préface : Pages : 250
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 200x290 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Ozd. Con(1). N°2066Thème : Art

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La Construction Visuelle des Identités Kurdes au Cinéma - I


La Construction Visuelle des Identités Kurdes au Cinéma

Yilmaz Ozdil

Compte d’auteur


Dans les quatre pays dominant le Kurdistan, (Turquie, Iran, Irak et Syrie), la question kurde se traduit avant tout sous forme de visibilité / invisibilité, autour de la question de la reconnaissance des Kurdes en tant que Nation déniée. Notamment en Turquie, le premier des pays à avoir imposé aux Kurdes son modèle d’Etat-Nation, cette question renvoie aux politiques négationnistes étatiques menées contre la culture et l'identité kurdes, considérées dès 1924, comme des obstacles au processus de création d'une identité nationale turque. Dans ce rapport conflictuel entre le nationalisme turc et le nationalisme kurde, également fruit d'une mémorisation traumatique et d'une longue histoire de résistance kurde dans chaque partie du Kurdistan, l'imaginaire des Kurdes renvoie a une dimension historique devenue spontanément une référence essentielle du traitement cinématographique de la « kurdicité », sous forme d’interaction construite par les Kurdes eux-mêmes ou créée par leurs adversaires politiques. Notre thèse s'efforce de montrer cette influence durable du nationalisme sur le traitement cinématographique de la « kurdicité». Principalement dans le cinéma turc traitant les Kurdes sans les designer en tant que Kurdes, puis dans le cinéma kurde au service de la « cause kurde » après les années 1990.



The visual construction of Kurdish identities in cinema

In the four countries dominating Kurdistan (Turkey, Iran, Iraq and Syria) the Kurdish question translates first and foremost under the concept of visibility/invisibility, around the problem of the recognition of the Kurds as a denied nation. This is especially apparent in the case of Turkey. the first of the countries which imposed its own nation-state on the Kurds: this question is associated with the negationist State policies on Kurdish culture and identity, which. Since 1924, have been considered as obstacles on the path to the creation of a national Turkish identity. In this conflictual relation between Kurdish and Turkish nationalisms - the fruit, among others. of a traumatic memory and a long history of Kurdish résistance in respective sections of Kurdistan - the imagery of the Kurds refers to a historical dimension which has spontaneously become an essential reference of cinematographic treatment of «Kurdishness» under the form of interactions constructed by themselves or by their own political opponents. The present thesis aims at describing that permanent influence of nationalism on the cinematographic treatment of «Kurdishness» in the Turkish cinema which principally treats the Kurds without designating them as Kurds. then in the Kurdish cinema in the service of «Kurdish cause» following the 1990s.

 



INTRODUCTION


L’enjeu d’un objet non étudié

Le sujet de cette thèse révèle avant tout un choix personnel. C’est la raison pour laquelle je voudrais employer le je à la place du nous dans cette partie introductive. Au Kurdistan de Turquie, la génération à laquelle j’appartiens est née dans le contexte d’une véritable guerre lancée en 1984 par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partîya Karkerên Kurdistan, en kurde) contre l'Etat turc. Dans les années 1990, époque à laquelle le cinéma kurde est véritablement né, j'ai été marqué par quatre types de représentations des Kurdes :

a) L'émission radiophonique en langue kurde de la Radio d'Erévan diffusée quotidiennement depuis l'Arménie, de 18 h 45 à 19 h 15. que mes parents suivaient régulièrement dans notre village, dans la région de Hakkari à l'Est de la Turquie, eut un impact majeur sur moi et finalement ces représentations sonores ont précédé les figures visuelles. Grâce à cette émission, nous écoutions, non pas seulement des chansons kurdes chantées par des dengbêj (bardes) kurdes ou arméniens comme Gerabetê Xaço, Şeroyê Biro, Şibliyê Çaçan, Xana Zazê. Hovhannes Badalyan. Aram Dîkran. Feyzoyê Riza et Egîdê Cimo, mais aussi, de temps en temps, des pièces de théâtre radiophoniques et des extraits de poèmes kurdes.

b) J'ai aussi visualisé des vidéoclips en kurde, tournés le plus souvent en amateur au Kurdistan irakien au début des années 1990, époque pendant laquelle j'étais dans une école primaire turque (Yüksekova Yatili ilkögretim Bölge Okulu) où il était strictement interdit de parler en kurde. À l’aide d'un téléviseur ne captant aucune émission télévisée à cause de la situation géographique de notre village montagneux et d'un magnétoscope VHS de fortune, on organisait discrètement des projections auxquelles j'assistais avec ma famille pendant les vacances scolaires 1. Ces vidéoclips diffusaient le plus souvent des images de concerts donnés par des chanteurs comme Tahsin Taha, Erdewan Zaxoyi et Eyaz Zaxoyi pour les combattants kurdes luttant contre la dictature de Saddam Hussein au Kurdistan irakien. Les messages politiques dans ces « images kurdes » tournées de l'autre côté de la frontière n’étaient pas toujours bien visibles mais codés et cachés dans les paroles des chansons. Par exemple, dans un de ces vidéoclips, on voyait chanter Tahsin Taha habillé d'une tenue traditionnelle kurde, la chanson de « Bihêre destar bihêre ». Cette chanson dans laquelle le chanteur s’adressait à un moulin à main (destar) parlait en réalité du leader nationaliste de la révolte kurde en Irak, Molla Mustafa Barzani. Voici un extrait de cette chanson 2 :

Bihêre destar bihêre / Mouds le moulin mouds !
Xemên me gelek giran in / Nos douleurs sont très lourdes
(...)

Destaro danî tu hurke / Ecrase (les) le moulin !
Bibêje bila bizanin / Parle qu’ils sachent
Bihêre destar bihêre / Mouds le moulin mouds
Pixas û birsî û hejarin / (Nous sommes) Aux pieds nus, affamés et pauvres

Des Kurdes irakiens s'étant réfugiés quelques années auparavant, notamment à la fin des années 1980, dans ma région natale au Kurdistan de Turquie. Hakkari, située à la frontière de l’Irak et de l'Iran, ont joué un rôle important dans la circulation de ces vidéoclips. Mais ces vidéos ont été aussi importées par des Kurdes de Turquie faisant de la contrebande ou ayant participé à la résistance kurde en Irak. Jusqu'en 1995, date à laquelle la première chaîne de télévision kurde. MED TV’, a été créée à Londres par le PKK. Ces vidéoclips et l’émission radiophonique diffusée par la Radio d'Erevan ont été les principaux media de représentation des Kurdes en langue kurde pour ma génération. Nous ne connaissions pas les émissions en kurde diffusées quelques années auparavant par certaines radios étatiques comme La Radio de Bagdad et par celles des partis politiques kurdes comme La Voix du Kurdistan du Parti Démocrate du Kurdistan irakien (PDK) 4. Devant cette absence d'images des Kurdes, ces vidéoclips se transformaient en corps des chansons kurdes via la Radio d'Erevan représentant déjà la voix, c’est-à-dire l'esprit de notre « kurdicité ».

c) Le troisième type de représentation des Kurdes qui m'a marqué est constitué de l’ensemble de films turcs mettant en scène des personnages Kurdes. J'ai connus ces films vers la fin des années 1990 grâce aux chaînes de télévision turques et aux salons de vidéos (video salonu) venant d’ouvrir dans la ville de Yüksekova (Gever, en kurde) où nous nous sommes installés après avoir été déportés de notre village. En réalité, j’avais déjà vu certains films turcs parlant des Kurdes avant d’être déporté de ce village. Cependant ceux-ci étaient uniquement tournés avec des chanteurs d’origine kurde. Ibrahim Tatlises et Izzet Altınmeşe dans Nazey (1979) d’Osman Fevzi Seden et Ayaginda Kundura / Ceylan (1978) de Oksal Pekmezoglu, auxquels on s’identifiait facilement grâce aux chansons kurdes traduites en turc qu’on entendait dans ces films. Contrairement à l’émission de la Radio d’Erevan et aux vidéoclips destinés à une population kurde sachant parler le kurde, les films turcs projetés dans les salons de vidéos à Yüksekova n’étaient pas particulièrement destinés aux populations kurdes puisqu'aucun d'entre eux n'était tourné en kurde. De plus, je ne me souviens pas avoir jamais vu de films politiques de Yilmaz Güney alors emprisonné avant de s’exiler, comme le Troupeau (1978) ou l’Inquiétude (1974) tandis qu’on y projetait facilement des films pornographiques à des mineurs. En effet, cette politique de projection des salons de vidéos à Yüksekova comme Lale vidéo Salonu, peut être considérée comme une conséquence du contrôle militaire sur la région kurde de Turquie, devenue le théâtre de la guerre entre le PKK et l'Etat turc. Selon le témoignage d'Emin San, dans l’unique salle de cinéma de Yüksekova qui avait été fermée vers la fin des années 1980, certains films engagés de Yilmaz Güney comme Seyithan (1968) avaient été projetés à la même période que des films religieux 5. La rue où se trouvait cette ancienne salle de cinéma s’appelle aujourd'hui Eski Sinema Sokagi (littéralement. Rue de l'ancien cinéma).

d) Le traitement des Kurdes autour de la guerre dans les médias internationaux, turcs et kurdes est le quatrième type de représentation des Kurdes qui m'a marqué. En Turquie, la mise en relation des populations kurdes avec les médias turcs, notamment avec les chaînes de télévision diffusant en langue turque s'est renforcée au fur et à mesure de la montée de la violence politique due à la guerre entre l'Etat turc et le PKK, dont une des conséquences tragiques fut l’évacuation forcée de près de 4 000 villages kurdes 6, dont notre village, dans la première moitié des années 1990. Suite à cette vague de violence, selon les rapports des organisations de droits de l’Homme 7, plus de quatre millions de Kurdes se sont installés, soit dans les villes kurdes de la Turquie, elles aussi touchées par la guerre, soit dans des grandes villes turques comme Istanbul, Adana, Antalya, Mersin, Izmir ou Ankara.

La quasi-absence des Kurdes dans l’image de cette guerre, présentée par les médias turcs ainsi que l’ouverture de la première chaîne de télévision kurde MED TV, ont joué un rôle important dans ma décision de faire des études de journalisme à l’Université d’Ankara, où j’ai eu l'opportunité de participer aux tournages de deux films documentaires proposés comme projet d’école. Ribat (2001) le premier film documentaire sur le tournage duquel j’ai travaillé comme assistant de production et interprète parlait de la disparition de la culture orale à cause de la guerre et de l'urbanisation forcée des populations rurales au Kurdistan de Turquie. Dans le second film. Le jeu (Oyun, 2002) auquel j’ai participé comme producteur et interprète, on racontait cette terrible guerre à travers la biographie d'un combattant du PKK (Aziz Turhalli) tué par l'armée turque en 1991 et celle d'un militaire turc (Umut Kahya) tué par le PKK en 1998.

Après m’être rendu compte de l'importance de cette question de la visibilité/invisibilité des Kurdes dans les médias audiovisuels en Turquie grâce à ces deux projets de films documentaires, je me suis rapidement orienté vers le cinéma. Deux ans plus tard, en 2003, avant de commencer à travailler en tant que chercheur à la Faculté des Beaux-arts, dans la section de Cinéma-Télévision de l'Université de Van au Kurdistan de Turquie, j’ai eu l’occasion de travailler en tant qu'assistant-réalisateur sur le tournage du film Vizontele Tuuba (2003) de Yilmaz Erdogan, dont le sujet porte sur le coup d'Etat de 1980. Grâce à ce film, j’ai pu suivre le processus du tournage d'un film commercial parlant de la question kurde, tourné entièrement en langue turque, par un réalisateur d'origine kurde. En effet, ce film (Vizontele Tuuba) était la suite du film Vizontele (2001) qui parle de l’arrivée de la télévision dans la région de Hakkari et qui avait attiré près de 4 millions de spectateurs en Turquie 8.

Un an plus tard, en 2004, j’ai travaillé cette fois-ci sur le tournage du film Kilomètre Zéro d’Hiner Saleem au Kurdistan irakien. Le sujet de ce film sélectionné pour la Compétition du Festival de Cannes en 2005, porte sur l’histoire d’un soldat irakien d’origine kurde, Ako (Nazmi Kirik) voulant quitter son pays natal pour échapper à la guerre d’Irak et d’Iran.

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