UN AUTRE REGARD SUR UN MONDE EN GUERRE
Pierre Rigoulot Michel Taubmann
C’était il y a un an. Le 20 mars 2003. Les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne, soutenus notamment par l’Australie, la Pologne, l’Italie et l’Espagne, déclenchaient une guerre qui en moins de trois semaines allait mettre à bas l’un des régimes les plus criminels de notre époque. Saddam Hussein n’était pas un dictateur ordinaire. Il s’inscrivait dans la lignée des dictateurs totalitaires - Hitler, Staline ou Pol Pot -, de ceux qui ne pratiquent pas seulement la répression contre leurs opposants politiques mais commettent aussi à grande échelle les pires atrocités contre des civils coupables seulement d’appartenir à des catégories ethniques ou religieuses jugées suspectes. Saddam Hussein est ainsi le seul chef d’État contemporain à avoir utilisé des armes chimiques contre sa propre population, en l’occurrence les Kurdes.
Criminel de guerre, criminel contre l’humanité, Saddam Hussein fut aussi un criminel contre la paix. De 1980 à 1988, il entraîna son pays dans une guerre terriblement meurtrière contre son voisin iranien. Ce conflit à peine achevé, il commit en 1990 un acte de brigandage international en annexant du jour au lendemain un pays souverain : le Koweït. En vingt-quatre ans de pouvoir absolu, Saddam Hussein et son régime ont ainsi provoqué la mort violente d’environ deux millions de personnes. C’est à cette aune-là, d’abord, qu’il faut juger l’opération déclenchée par les Américains et les Britanniques. On ne connaît pas encore précisément le bilan humain de cette guerre. Mais ses horreurs ne sont en rien comparables à celles qu’engendra le régime de Saddam Hussein dont, jusqu’aux derniers jours et même après la chute de Bagdad, les hommes de main ont continué de torturer et de massacrer des Irakiens dans les conditions les plus atroces. On ne peut donc soutenir qu’avant l’intervention des coalisés, l’Irak vivait en paix. Ce n’est pas à la paix mais à une ignominie qu’a mis fin la guerre déclenchée le 20 mars 2003.
Pourtant, c’est la guerre et non la tyrannie qui, dans une grande partie du monde et particulièrement en France, fut considérée comme ignominieuse. Même l’emploi presque généralisé de bombes guidées au laser ne put convaincre les protestataires pacifistes que la vie des populations irakiennes comptait davantage pour les militaires de la coalition que pour le dictateur encore en place. Décidés à décapiter le régime afin de mieux épargner les civils, les Américains avaient inauguré leurs frappes par un raid extrêmement ciblé sur un palais où Saddam Hussein était censé se trouver. Ce coup d’essai, transformé en coup de maître, eût peut-être évité non seulement la guerre mais aussi l’occupation de l’Irak car il aurait pu ouvrir la voie à un coup d’Etat contre le régime baasiste. Au lieu d’en analyser le sens, révélateur d’une guerre menée contre un régime et non contre un peuple, certains soulignèrent dédaigneusement que le premier coup porté à Saddam Hussein n’avait été qu’un coup d’épée dans l’eau, et servirent à ses auteurs les quolibets les plus stupides : un journaliste parla même sur les ondes françaises d’un « pet foireux » !
Le déroulement ultérieur des opérations militaires suscita des réactions exemptes de réelle compassion à l’égard des Irakiens mais pleines de condescendance envers les Anglo-Américains.
Il faut dire que cette guerre, bien avant son déclenchement, avait suscité un rejet sans précédent dans le monde entier. Nous ne parlons pas là des manifestations organisées dans les pays arabes et musulmans. Elles furent limitées et elles étaient si encadrées, favorisées, voire organisées par des pouvoirs dictatoriaux qu’elles ne constituent guère une indication fiable sur l’état d’esprit de la mythique « rue arabe » qui, malheureusement, sauf depuis avril 2003 en Irak, ne peut quasiment nulle part s’exprimer librement.
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