REMERCIEMENTS
Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans le climat stimulant du Centre d’études et de recherches internationales (aux travaux duquel tous les collaborateurs de cet ouvrage ont souvent participé) de la Fondation nationale des sciences politiques. Nous tenons à remercier son directeur Christophe Jaffrelot ainsi qu’Olivier Bétourné des éditions Fayard, qui nous ont accordé leur confiance et ont même fait de la Turquie l’une de leurs priorités pour la nouvelle collection, sans doute aussi dans l’objectif de contribuer à dissiper quelques malentendus et fantasmes dont ce pays fait tant l’objet, dans le contexte de pré-adhésion à l’Union européenne. Camille Marchaut et Elodie Rigal ont suivi pas à pas la genèse du travail parfois dans la chaleur des mois de juillet et d’août.
Notre gratitude va avant tout à Pierre-Yves Péchoux qui a eu la bienveillance de relire tous les textes. Samim Akgönül, Tugrul Artunkal, Aziza Boucherit, Marie-Christine Granjon, Christian Lequesne, Andrew Mango, Karoline Postel-Vinay, Juliette Sargnon, Alain Servantie, Irvin C. Schick, Lèvent Ünsaldı, nous ont fait l’amitié de relire certaines des contributions. Nous avons bénéficié de leurs remarques pertinentes. Nos jeunes amis, Gül Çiraplı, Ibrahim Öztürk, Ozan Yigitkeskin ont contribué à l’établissement des index et des tableaux. Roberto Gimeno est l’auteur de certaines cartes.
Tout le mérite appartient aux auteurs qui ont fait montre de rigueur, d’exigence et de sens de coopération amicale, pour le grand confort du modérateur qui, lui, est responsable des imperfections. Il va sans dire que chaque auteur assume sa propre responsabilité quant au fond.
La turcologie française et notre équipe de rédaction, entre autres, ont été durement frappées, juste à la veille de la publication de cet ouvrage, par la perte cruelle de l’un des leurs. Stéphane Yerasimos, le Grand « Rum » (c’est ainsi que les Turcs appellent les Grecs d’Istanbul, les « Romains d’Orient »), nous a quitté brusquement le 19 juillet 2005. O cosmos inépseftis, o haros iné kleftis, disent les Crétois.
Introduction
La Turquie évoque en nous, pêle-mêle, l’incomparable ville-monde, Constantinople-Istanbul que Jean Cocteau comparait à « une vieille main couverte de bagues tendue vers l’Europe », L’Enlèvement au Sérail de Mozart, Bajazet de Racine, Aziyadé de Pierre Loti, les poèmes et les lettres de Nâzim Hikmet écrits durant sa longue détention dans la prison de Bursa, les romans de Yaşar Kemal et les films de Yilmaz Güney, les derviches tourneurs, les églises rupestres de la Cappadoce et les plages d’Antalya, Mid-night Express, teinté de racisme, les petits restaurants un peu artisanaux de Munich, de Lyon ou de Bruxelles qui proposent la « pizza turque », les performances des sportifs en lutte, en haltérophilie et en football. Plus récemment, on se souvient des assertions géographiques de Valéry Giscard d’Estaing dissimulant mal une réticence culturelle dont le débat français sur la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a révélé l’étendue. Les auteurs du présent ouvrage abordent tous ces thèmes, mais ils vont évidemment plus loin.
Face à tous ces clichés, on peut se demander si la Turquie ne fait pas exception dans le monde musulman. Si la démocratie représentative est rare dans ce dernier, pour ne pas dire introuvable, la Turquie constitue un cas à part, rarement reconnu à sa juste valeur. Certes, au regard du monde occidental, cette notion est tardivement entrée dans le lexique politique de ce pays et par conséquent dans sa vie pratique. Mais d’autres principes qui en sont proches, à savoir la liberté, la république, la laïcité, le sécularisme, le progrès et la civilisation, ont constitué les pierres angulaires de la pensée et de l’action de plusieurs générations d’hommes politiques, de cadres militaires et d’intellectuels. Nous scruterons ici, à l’aide de ces différentes notions, les formes turques de la modernité et de la modernisation, préoccupation et objectif prioritaires des élites de ce pays, depuis les Jeunes Ottomans, les Jeunes Turcs et surtout Mustafa Kemal, et encore aujourd’hui, dans une société confrontée à un changement social et culturel profond, monté des diverses forces sociales, politiques, ethniques et confessionnelles. Sur le plan économique, la Turquie se distingue également de beaucoup de pays de la région qui s’appuient sur la rente pétrolière, du fait de son effort d’industrialisation mené dès les années 1930, sur la base d’un étatisme d’inspiration soviétique d’abord, d’une économie mixte ensuite, du libéralisme enfin. A tout cela s’ajoute sa position stratégique sur l’échiquier régional, voire international, avec un souci constant de surveiller l’évolution dans les Balkans, la Méditerranée orientale, le Moyen-Orient et, singulièrement depuis la chute du mur de Berlin, le Caucase méridional et l’Asie centrale. Sa candidature à l’Union européenne interpelle l’« identité européenne » et semble lui poser, plus qu’aucune autre candidature, la difficile question de ses « frontières ». Son émigration, solidement cohérente du fait de la pratique de la langue turque occupe de plus en plus de terrain, notamment en Europe occidentale.
De l’Empire à la République1
Pays carrefour, ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs, nulle part et partout à la fois, la Turquie moderne est marquée par un héritage lourd à assumer, qui combine une forte tradition étatique et les restes d’un empire multi-ethnique et multi-confessionnel réduit à une peau de chagrin. Ce pays s’est appuyé, depuis l’installation de son fondateur, Mustafa Kemal, un militaire qui s’est révélé un véritable homme d’Etat, sur le modèle de l’État-nation …
1. Le présent ouvrage devrait être lu à la suite de celui que Robert Mantran a coordonné, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989, et en particulier des chapitres suivants : Gilles Veinstein, « L’empire dans sa grandeur (xvie siècle) », pp. 159-226 ; Robert Mantran, « L’État ottoman au xviie siècle : stabilisation ou déclin », pp. 227-264 ; Paul Dumont, « La période des Tanzîmât (1839-1878) », pp. 459-522; François Georgeon, « Le dernier sursaut (1878-1908) » pp. 523-576; Paul Dumont et François Georgeon, « La mort d’un empire (1908-1923) », pp. 577-647.
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