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La turquie dans l'impasse


Auteur :
Éditeur : Anthropos Date & Lieu : 1974, Paris
Préface : Pages : 346
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 135x215mm
Code FIKP : Liv. Fre. Har. Tur. N° 838Thème : Général

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La turquie dans l'impasse

La turquie dans l'impasse

Kamuran Bekir Harputlu

Anthropos

La république de Turquie est l’un des seize Etats créés au lendemain de l’effondrement de l'Empire ottoman à la fin de la Première Guerre Mondiale. Il en est un des moins connus. D’abord au centre de l’actualité avec la révolution nationale et laïque de Mustapha Kemal — favorablement accueillie par le parti bolchevik, au début des années vingt, la Turquie va bientôt cesser d'attirer l'attention publique, tant en Occident qu’ailleurs. Entourée de voisins plus ou moins hostiles, pour des raisons historiques et parfois politiques, la Turquie, d’une façon générale, constitue un sujet « froid ».
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la Turquie se range dans le camp occidental, adhère bientôt à l’OTAN et, compte tenu de son importance stratégique, reçoit une aide substantielle des Etats-Unis. Mais le développement du pays, par ailleurs très inégal, demeure lent et les crises politiques, parfois ponctuées de coups d'Etat militaires, se succèdent.
Le présent ouvrage analyse, dans une perspective marxiste, l’héritage ottoman ; la nature du régime kémaliste, le rôle de la Turquie en tant qu'alliée de l’impérialisme américain au Proche-Orient ; la vie politique et sociale du pays de la fin de la Seconde Guerre Mondiale au coup d’Etat de 1971. « La Turquie dans l’Impasse » constitue un apport original à la définition de la société turque, de la fin de l’Empire ottoman à nos jours et remet en question la plupart des interprétations de la Turquie moderne.


Kamuran Bekir Harputlu est né en 1940. Militant marxiste, il participe d'abord à des recherches sur le terrain auprès des paysans d'Anatolie et dans des exploitations minières, puis aux tâches d’organisation locale des travailleurs ainsi qu’aux occupations de terre de la paysannerie. Conjointement à son action militante, il fonde les Editions « SER », à Ankara, qu’il anime de 1961 à 1971, années au cours desquelles ses publications provoquent une trentaine de procès. Au lendemain du coup d’Etat de mars 1971, sa maison d’édition a été interdite, puis saccagée et Kâmuran Bekir Harputlu a été condamné, par contumace, en tant qu’auteur et éditeur, à deux fois sept ans et demi de prison, mais il est libéré en 1974.



INTRODUCTION

1) Depuis la seconde guerre mondiale, l’exploitation intensive des matières premières dans les pays du Tiers-monde par les pays capitalistes arrivés au stade de l'impérialisme, et le sous-développement qui en résulte, a entraîné une lutte généralisée entre ceux-ci. Conflits, tensions sociales et politiques caractérisent le Tiers-monde de l’Amérique à l’Asie.

Si nous nous penchons plus particulièrement sur les pays du Moyen-Orient, nous voyons que la lutte contre l’impérialisme est similaire à celles menées dans d’autres régions. Particulièrement après 1946 les événements se poursuivent au Moyen-Orient, des révoltes et des guerres éclatent.

A l’impérialisme français et anglais qui a dominé la région jusqu’en 1954, a succédé l’impérialisme américain. Alors qu’une force impérialiste avance et qu’une autre se retire, les Etats-Unis trouvent dans la région des gouvernements prêts à collaborer avec eux, en facilitant ainsi l’expansion de leur influence. Aujourd’hui les alliés les plus sûrs des Etats-Unis sont la Grèce, la Turquie et Israël.

Notre sujet, la Turquie, est, parmi les pays de cette région, celui qui intéresse le plus les monopoles, en raison de sa force pour protéger leurs intérêts, de sa position stratégique provenant de son emplacement géographique, de ses ressources en matières premières et de sa position de marché.

La République de Turquie à la fin de la première guerre mondiale est l’un des seize pays résultant du morcellement de l’Empire ottoman. Cet Etat s'est créé en luttant contre Une invasion armée. Toutefois à la fin de la guerre de Libération, en raison de sa structure sociale et du caractère même de cette guerre, il se rangea aux côtés de l’Occident capitaliste ; après une période de gestation, il abandonna les richesses de sa terre, ses ressources minérales et sa force de travail à l’exploitation des monopoles européen et américain. L'indépendance économique et politique du pays fut anéantie par les classes dominantes et les cadres politiques.

C'est aujourd’hui parmi les pays de l’O.C.D.E. l’un des Etats les moins industrialisés et celui dont le revenu national par individu est le plus faible. La plus grande partie de sa force de travail est employée dans l’agriculture. Ces conditions font de la Turquie un pays sous-développé. Le régime en place depuis 1923 a toujours considéré le problème du développement comme celui de l’enrichissement des classes dominantes, ne reconnaissant aucun droit et aucune liberté démocratique à la population. Dans cette situation, des contradictions sont apparues, et ces dernières années, la lutte de classe et la lutte anti-impérialiste sont devenues plus violentes. Crises politiques et coups d’Etat militaires se sont succédés. L’importance que les monopoles accordent au pays leur font soutenir le front contre-révolutionnaire ; dans ces conditions, le régime politique ne peut que reposer sur la violence et sur la force. L'armée est en constant état d’alerte contre le peuple de Turquie et contre les peuples du Moyen-Orient.

2) La structure sociale de la Turquie d’aujourd’hui ne résulte pas de révolutions. Son origine repose sur la société ottomane, sur la formation de ses classes, sur les relations entre elles, sur la domination des pays capitalistes européens, sur leur contrôle de la vie économique et politique et sur les transformations dépendantes.

De ce point de vue nous pensons qu’il est nécessaire de parler de la société ottomane et de nous pencher sur l’héritage laissé par l’Empire Ottoman à la République de Turquie. La guerre de Libération constitue en quelque sorte une période de transition vers le nouvel Etat.

L'année même de la création de la République, les classes dominantes ont déterminé leurs objectifs et ont commencé à mettre en place un système économique et politique capable de les réaliser entre 1939 et 1946. Cette période fut caractérisée par la nature de l’économie et du régime politique. 1946-1960 constitue la période d’entrée de l’impérialisme américain et européen dans le pays. Toutefois les fondements de cette domination remontent à l'année 1923. Avec le coup d’Etat de 1960, l’impérialisme consolide sa domination. Jusqu’en 1971 le régime est démocratique par sa Constitution et anti-démocratique par l’application qu'il en fait.
Nous sommes témoins pour la première fois dans la société de Turquie de la formation d’une classe révolutionnaire et de l’importance politique croissante de la classe ouvrière. Sous la pression des conditions intérieures et extérieures, le coup d'Etat de 1971 a lieu résolvant ainsi la contradiction existant entre la Constitution démocratique de 1961 et le gouvernement réel en mettant en place une Constitution en accord avec le gouvernement antidémocratique.
Par notre travail nous voulons mettre l’accent sur le développement et la transformation sociale de la Turquie, les éléments déterminants et montrer ainsi les contradictions révélées par les événements, tenter en outre de montrer de quelle façon ils se sont résolus. L’influence de facteurs tels que la religion, des mœurs et les coutumes resteront en dehors de notre propos.

Dans les chapitres de notre ouvrage relatif à la période républicaine, nous avons pris en considération les paroles des responsables du gouvernement en les confrontant aux applications qui en étaient faites. Les discours prononcés d'un point de vue subjectif, politique ou dans quelque but que ce soit, n'ont aucune importance si l’on ne s’attache à leur mise en pratique.

Dès que l’on s’intéresse aux discours prononcés par les dirigeants de la République de Turquie, il est possible de déceler une multitude de contradictions entre ceux-ci et la pratique. Les exemples sont innombrables : au moment où la politique économique qui rendra dépendant le pays est déterminée, lorsqu’il est question de libération totale ou d’antiimpérialisme, lorsqu’on dit que le peuple de Turquie est un peuple malheureux travaillant avec sa propre force de travail, nous pouvons constater en même temps comment on empêche les masses laborieuses de s’organiser et quelles pressions s'exercent sur elles.

D’autre part, nous n’analysons pas dans notre ouvrage la lutte de la classe ouvrière en Turquie ainsi que le mouvement socialiste. Mais il est impossible d’en faire abstraction complète.

Dans la perspective de notre ouvrage, si l’on considère l'évolution historique de la Turquie et particulièrement son développement et sa transformation depuis 1960, nous ne pensons pas que cet élément soit déterminant. Nous considérons « le mouvement de gauche » et le mouvement de la classe ouvrière que nous avons évoqué de temps en temps, comme un tout.
Nous allons tenter de montrer dans leurs grandes lignes les luttes de plus en plus violentes qui les opposent aux forces qu’ils ont devant eux ainsi que les contradictions de plus en plus fortes qui en résultent. Nous n’évoquerons pas les contradictions internes du « mouvement de gauche », ses discussions de stratégie, ses problèmes et ses déviations.

Nous préparons un autre ouvrage avec nos propositions, dont le sujet sera « le mouvement de la classe ouvrière et la lutte révolutionnaire en Turquie après 1960 ».

Dans une telle perspective, en tenant compte de la nécessité de s’appuyer sur le développement historique, ce premier ouvrage peut être considéré comme une base pour le second.

3) Compte tenu de notre place, de la formation et de l’expérience acquises au sein du mouvement révolutionnaire de Turquie, nous sommes en mesure d'apporter une analyse de la Turquie que nous croyons nouvelle, du moins de confirmer certaines thèses connues mais que l'on hésite à avancer. Certaines de nos thèses sont semblables à d'autres élaborées auparavant. Nous ne craignons pas de répéter ces idées pour plus de clarté.

a) Jusqu’à nos jours en Turquie, « la guerre de libération » a été considérée comme anti-impérialiste. Les forces qui luttèrent furent considérées animées d'une conscience anti-impérialiste. Nous ne partageons pas ce point de vue. Pour nous la « guerre de Libération de Turquie » est « une guerre de Libération » dans le sens étroit du terme, menée contre l'invasion armée dans la perspective de créer un nouvel Etat. On ne trouve pas dans ce mouvement un fond et une conscience anti-impérialistes.

b) Les mouvements menés depuis les Ottomans par l’armée et les intellectuels petits-bourgeois ont toujours été considérés comme des révolutions, et on a parlé de la tradition révolutionnaire de l’armée. Malgré le développement apporté par ces mouvements en raison même du caractère de ceux-ci, nous ne pouvons les qualifier de révolutionnaires. Il est impossible de partager ce point de vue. Ces mouvements qu’on a voulu faire passer pour des révolutions étaient toujours ambivalents ; nous sommes obligés de dire que si d’un côté ils furent progressistes, leur fond fut conservateur et réactionnaire. Il n'y a jamais eu de Révolution en Turquie.

Si nous sommes obligés de les considérer en tant que révolution et de les définir comme révolutionnaires, nous pouvons dire par ailleurs que l’annonce de la Mesrutiyet en 1908 est une révolution bourgeoise.

c) Tout en considérant parfois le problème sous cet angle, on oublie que les classes dominantes ottomanes s’inscrivaient déjà dans un processus de transformation et qu'elles ont pris place dans la République de Turquie dans le but d’accomplir leur transformation. Le caractère de « transformation » des classes dominantes est le facteur déterminant dans la collaboration avec les pays capitalistes avancés du monde. La guerre de Libération a facilité à ces classes dominantes leur collaboration, l’acquisition de propriété privée, c’est-à-dire leur transformation.

d) Avec la fondation de la République de Turquie, y compris la suppression du sultanat, les réformes entreprises ne sont pas l'œuvre des intentions subjectives et des dirigeants, mais résultent du dénouement des relations entre les classes, et des contradictions existant au sein des classes dominantes.

e) C’est presque une évidence aujourd'hui qu'une bourgeoisie nationale n’a pu se former chez les Ottomans. Toutefois certains affirment que durant la période de la République, entre les années 1923 et 1939, une bourgeoisie nationale s’est formée. Nous devons préciser néanmoins que seize ans, voir même plus, sont insuffisants pour la formation d'une « classe sociale ».
Ceux qui, dès 1946, passeront à la collaboration avec le capital étranger constituent déjà les classes dominantes dont le pouvoir s'est accru durant cette période.

L’orientation des classes dominantes est connue par les documents. Nous savons que l’Etat et le pouvoir politique se trouvent entre les mains de ces classes et qu’elles sont donc en position de modifier les conditions intérieures en fonction de leur orientation pour atteindre leurs objectifs. Ceux-ci se résument à la collaboration avec le capital étranger. Dans ces conditions, la formation de la bourgeoisie nationale est dénuée de sens. Les réalités sont en contradiction avec les intentions subjectives.

Une bourgeoisie nationale ne s’est jamais formée en Turquie.

f) La Turquie a vécu entre la période allant de 1923 à 1946 sa première période fasciste sous prétexte de favoriser la naissance de capitalistes locaux, d’élever à un niveau suffisant le riche indigène pour qu’il soit en mesure de collaborer avec le capital étranger, et cela grâce à la pression exercée sur la classe ouvrière et sur les peuples par le parti unique et l’idéologie des classes dominantes ; après 1946, elle vécut sa seconde période fasciste, passant à la collaboration avec le capital étranger et protégeant les intérêts communs des classes dominantes et des monopoles mondiaux.

g) Le changement de la structure sociale dans les régions rurales de la Turquie et le passage de la production semi-féodale et de la petite production à la domination de la production capitaliste, réalise le désir des monopoles européens et américains avec le concours des classes dominantes. Le caractère des transformations auxquelles nous allons assister dans un proche avenir est clair.

La réforme agraire qui sera entreprise ne répondra pas entièrement aux problèmes vitaux des grandes masses qui vivent dans les secteurs de l’agriculture ; quoique cela entraînera des problèmes sociaux, il ne sera plus possible de parler dans l’agriculture de structure semi-féodale ou d'exploitation semi-féodale. Pour nous la réalisation de cette transformation ne fera que retarder l’éclatement de la contradiction existant dans l’agriculture.

A partir de maintenant, c’est la production capitaliste qui dominera dans l’agriculture et on ne pourra plus dire de la Turquie qu’elle est « pays semi-féodal ».

h) Evidemment les résultats naturels découlant de la transformation dépendante des monopoles mondiaux, l’augmentation du chômage, sans compter le chômage d’une grande partie de la force de travail non apparente dans l’agriculture, apportent avec eux de nouveaux problèmes. Les forces révolutionnaires capables de résoudre ces problèmes dans l’intérêt de la population, ne sont pas organisées et sont opprimées. Alors que d’un côté l’installation de la production capitaliste entraîne une augmentation de la production dans le secteur agricole, d’un autre côté les problèmes sociaux résultant de l’armée grandissante des chômeurs ne cesseront d’augmenter. Il serait trop optimiste de croire que les pays capitalistes européens absorberont cette force de travail au chômage.

Il est nécessaire de prévenir les éclatements sociaux et politiques, assurer la pérennité de l'exploitation capitaliste intensive et des pouvoirs politiques dépendants des monopoles mondiaux. Ceci n’a qu’une seule signification. Le régime fasciste existant en Turquie doit s’appuyer sur une répression de plus en plus violente. Les classes dominantes collaboratrices et les monopoles mondiaux sont obligés de refuser au peuple de Turquie les droits et les libertés démocratiques qui menacent leurs intérêts.


I

LA SOCIETE OTTOMANE


La société ottomane a toujours été une société de classe, avec cette particularité par rapport à l'Occident que le mode de production et la formation de la structure sociale dépendent étroitement de l'autorité de l’Etat.

Dans l’Empire ottoman, l'armée, l’Etat ne font qu’un et jouent un rôle important dans le développement des forces productives. L’Etat, l’armée et la répartition des terres constituent trois points d'approche dont l'analyse est indispensable pour comprendre l’Empire.

A) La structure de l’Etat et de l’armée au temps de l’Empire ottoman

Grâce à ses conquêtes et à sa force armée, l’Empire parvient à s’étendre d’Asie en Afrique. Tous les pouvoirs sont aux mains du sultan, en même temps chef de tous les musulmans et commandant en chef des armées. Il dirige les guerres, participant en personne aux combats.

La direction de l'Etat est assurée par une commission composée de chefs militaires ; quant aux provinces, elles sont elles aussi administrées militairement. Grâce à cette organisation militaire, l’autorité centrale s’étend jusqu’aux régions …




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