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Mémoire du Kurdistan


Auteur : Multimedia
Éditeur : Findakly Date & Lieu : 1984-01-01, Paris
Préface : Multimedia | Pages : 224
Traduction : ISBN : 2-86805-002-6
Langue : FrançaisFormat : 140x215 mm
Code FIKP : Liv. Fra. 436Thème : Poésie

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Mémoire du Kurdistan

Mémoire du Kurdistan
recueil de textes kurdes

La littérature orale est prédominante chez les Kurdes. L'analphabétisme presque généralisé dans le Kurdistan a engendré ce phénomène. Cette situation dominante de la littérature orale est accompagnée de la prédominance de la poésie sur la prose. "Tout Kurde, homme et femme, est poète" remarquait déjà au siècle dernier l'écrivain et pédagogue arménien Katchatur Abovian. On est, en effet, frappé par l'abondance de la production littéraire féminine. Si la vigueur de l'expression et les sentiments patriotiques manifestés diffèrent peu de la poésie masculine, certains thèmes par contre sont particuliers aux femmes. Lisez "Kharabo", "Notre Maison", "Ritchko"... Hommes et femmes parlent de l'amour, des combats, de la vie pastorale... Le sentiment national est fréquemment marqué, de même qu'une référence constante à la terre kurde. Celle-ci est minutieusement décrite: les noms de montagnes, de rivières, de régions, des villes, ceux des tribus grandes et petites, abondent dans le texte.....

Malgré toutes ces limites, nous espérons que cette anthologie aidera à comprendre et à aimer le peuple kurde.

Joyce BLAU
Juin 1984

 


PRÉFACE

Ce livre veut introduire – modestement – à la connaissance de la littérature kurde. On ne voit pas beaucoup d'autres ouvrages à citer qui puissent concourir à un pareil objectif. Pourtant rien de plus louable que ce projet. La littérature kurde a ses beautés esthétiques et son intérêt humain. Elle mérite d'être connue mieux qu'elle ne l'est. Le peuple qui l'a produite, le peuple des Kurdes, est lui aussi peu connu dans sa profondeur. C'est qu'il a été peu heureux dans ses tentatives pour obtenir ce que d'autres peuples ont gagné avec plus ou moins de peine : un cadre institutionnel où il puisse jouir d'une autonomie de décision, ne plus être gouverné par d'autres. Il mérite pourtant, autant que ces peuples devenus indépendants, une telle maîtrise de son destin. Mais l'histoire n'est pas déterminée par les mérites et les démérites, les qualités et les défauts, la légitimité ou non des droits et des aspirations. Les rapports de force dominent la politique internationale aujourd'hui comme toujours. On a surtout perfectionné l'habillage des faux semblants.

Joyce Blau appartient à la lignée des Don Quichottes. Elle s'est prise d'amour pour les Kurdes, pour les causes kurdes, pour la langue kurde, pour les lettres kurdes. Les malheurs de ce peuple, son isolement politique, le peu de solidité des amitiés qui lui furent offertes et retirées selon l'opportunité ont été pour elle des raisons supplémentaires de s'attacher à tout ce qui touche aux Kurdes et à leur culture. Elle enseigne leur langue et leur histoire depuis quinze ans maintenant.

La langue et la littérature kurdes ont naturellement partagé l'effacement relatif du peuple kurde dans l'histoire devant les peuples voisins plus nombreux, plus puissants, favorisés par les conjonctures. C'est une illusion idéaliste que de croire qu'un homme ou un peuple ont, sur la grande scène du monde, une destinée correspondante à la valeur qu'ils recèlent en leur sein. Bien des facteurs interviennent qui n'ont rien à faire avec celle-ci.

Citons un grand linguiste qui, outre ses préoccupations générales, cultivait particulièrement le domaine des langues et littératures celtiques. « La portée d'une langue, écrivait en 1921 Joseph Vendryes, tient au nombre et au degré d'éducation de ceux qui la pratiquent. Voilà pourquoi les langues celtiques ont moins de valeur que les langues romanes ou germaniques. Cependant, pendant plusieurs siècles, l'irlandais et le gallois ont servi à traduire de fort belles pensées poétiques, les plus originales peut-être de tout le Moyen âge. Et l'on peut regretter que Dafydd ab Gwilym n'ait pas écrit en italien comme Dante, ou en allemand comme Wolfram von Eschenbach : plus de gens aujourd'hui pourraient goûter ses poésies. Mais quoi ! le jour où l'on n'apprendra plus le grec dans les écoles, sur quoi reposera la gloire d'Homère et de Platon ? La corneille est aussi mélodieuse que le rossignol quand il n'y a plus personne pour écouter» (1).

Il n'y a pas que le degré d'éducation et le nombre, ou plutôt ce dernier intervient surtout comme facteur (entre autres) de force politique. Les Kurdes se sont trouvés entre plusieurs peuples qui, tour à tour ou ensemble, ont pu se placer – par leur poids démographique et pour d'autres raisons – dans une position de force supérieure : les Turcs, les Persans du plateau iranien, les Arabes. La situation géographique a sans doute joué un grand rôle : les Kurdes ont été pris entre plusieurs centres de diffusion du pouvoir dont la disposition facilitait les conquêtes de ceux qui les occupaient.

Quand ils ont pu obtenir une certaine primauté, du temps de Saladin, de ses prédécesseurs et de sa dynastie, on était à une époque où l'appartenance ethnique s'effaçait au maximum devant l'affiliation communautaire religieuse. Les Ayyoubides formaient une dynastie musulmane d'origine kurde. Assurément, les souverains favorisaient l'implantation ici et là de leurs frères d'ethnie. Mais on ne pouvait parler d'un État kurde. Les Turcs avaient, eux, des réserves inépuisables de population qui pouvaient faire considérer – avec des limitations cependant – un Etat musulman dominé par une dynastie turque comme assurant un certain pouvoir collectif aux Turcs. Il en était encore ainsi plus ou moins des Iraniens. La masse des arabisés, jointe au prestige de l'Empire et de la communauté religieuse, autrefois fondés par le Prophète arabe, reproduisait, encore avec d'autres qualifications, cette situation. Quand le temps fut venu, au XIXe siècle, de l'éclosion des nationalismes de type moderne, la puissance (même en décadence) et l'étendue de l'Empire ottoman, la massive densité des peuples de langue arabe, la tradition millénaire et l'orgueil histo- rique de l'État persan donnaient des avantages incommensurables aux trois peuples incarnant ces facteurs. Les nationalismes sont tout sauf «partageux ». Entre les trois géants, les Kurdes avaient un handicap décisif.

Sur le plan culturel aussi, il n'y avait pas que le reflet du facteur politique. Si les littératures turques avaient peu de « répondant », la littérature arabe et la littérature persane jouissaient d'un capital culturel remontant au haut Moyen âge ou à l'Antiquité qu'il était difficile de concurrencer. Du côté arabe, le Coran pesait d'un poids qui rendait «impuissants» (on peut ici vraiment parler d'i`jâz dans un sens non théologique) les efforts des écrivains d'autres langues. Les Persans pourtant jouissaient d'un énorme avantage avec la gloire des Sassanides – même si la littérature d'époque pré-musulmane était en bonne partie oubliée ou bien discréditée par le zoroastrisme –, gloire relayée par l'épopée et par la tradition étatique qui s'en réclamait hautement. Encore sur ces points, les Kurdes ne pouvaient avancer rien de comparable.

De très nombreux individus d'origine kurde s'assimilaient, devenaient Arabes, Turcs, Persans (le processus se poursuit activement aujourd'hui). On comprend que beaucoup de ceux qu'un don littéraire taquinait aient choisi de rechercher en persan ou en arabe, voire en turc, cette gloire à laquelle, consciemment ou non, ouvertement ou non, tout écrivain aspire.

Et pourtant, il y eut et il y a une littérature kurde. Les conditions auxquelles on vient de faire allusion ont pendant longtemps limité son champ à quelques genres ou à des aspects donnés de ces genres. La masse a été une littérature populaire à plusieurs niveaux. Les connaisseurs y découvrent aisément de vrais joyaux avec cette touche de fraîcheur, de spontanéité qu'on ne repère que dans les oeuvres de ce type. Même la « littérature populaire des professionnels », comme dit Joyce Blau, participe de cette atmosphère, culminant dans l'épopée qui, de l'Iliade au Kalévala, a produit tant d'admirables chefs-d'œuvre. Le « Mame Alan » kurde n'est pas indigne de ces glorieux modèles.

La littérature écrite d'époque classique est une version régionale, locale, des littératures islamiques. Mise à part la glorification du peuple kurde (qui a ses parallèles ailleurs), on retrouve en kurde ce que d'autres (parfois des Kurdes) écrivaient en arabe, en persan, dans les diverses langues turques, en albanais, etc. Mais le talent fleurit aussi bien ici que là, sauvant de la banalité l'expression de thèmes universels. On peut sans doute en dire à peu près autant de la littérature moderne sur laquelle viennent refluer les grands courants de la littérature universelle.

Joyce Blau a cherché à faire connaître cette littérature – et le monde kurde qui la supporte – par le moyen de cette anthologie. Une anthologie ne remplace jamais la lecture directe et complète des oeuvres. C'est un substitut pour ceux (les plus nombreux toujours) à qui cette option est impossible. C'est donc un choix. Tout choix comporte un risque ; il est personnel, subjectif, il est fatal que s'y reflète la personnalité de celui qui choisit. Mais le moyen de faire autrement ? Une connaissance assez profonde de la littérature kurde me manque pour avancer, en face des choix faits par Joyce Blau, des alternatives valables. A parcourir ces morceaux choisis, il me semble que le lecteur se voit offrir un panorama substantiel, une lecture intéressante, un choix représentatif à sa manière. Espérons que ce ne sera pour lui qu'une introduction et qu'il y puisera le goût de connaître mieux, plus largement, cette littérature riche et variée.

Maxime Rodinson

(1) J. Vendryes, « Le langage, Introduction linguistique à l'histoire », Paris, la Renassance du Livre, 1921 (« L'Évolution de l'Humanité », 111), p. 407.




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