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Kurde, torture, quelles séquelles?


Auteur :
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 2005-01-01, Paris
Préface : Pages : 126
Traduction : ISBN : 2-7475-9589-7
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fre. 135Thème : Général

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Kurde, torture, quelles séquelles?

Kurde, torture, quelles déqueules ?

Ali Ekber Gurgoz

L'Harmattan

L’auteur de ce témoignage est né en 1961 dans la partie du Kurdistan située à l’extrême est de la Turquie. Dès l’âge de 14 ans, il milita dans une organisation clandestine pour la libération du Kurdistan, fondée par ses deux frères aînés.
Le coup d’Etat du 12 septembre 1980, qui porta l’armée au pouvoir, marqua le début d’une répression brutale contre les mouvements indépendantistes. Arrêté par la police turque, il fut torturé jour et nuit, les yeux bandés, pendant onze jours. Il avait 18 ans, il savait tout du mouvement organisé par ses frères. Il n’avoua rien.
Envoyé à la tristement célèbre prison N°5 de Diyarbakir, il subit encore 15 mois de tortures. La liberté provisoire lui fut accordée et il reprit ses études de Droit à Ankara. Mais en 1985, condamné à la prison ferme, il décida de s’enfuir de Turquie et, muni d’un faux passeport, arriva à Genève.
Les séquelles de la torture le poursuivaient et son état de santé allait en empirant. Sa forte volonté et son espoir lui ont toutefois permis de tenir, même si les quelque 24 ans écoulés n’ont pas effacé les stigmates de la torture, qui reste une souffrance chaque jour présente.
« J’ai des flash-backs et des blocages qui peuvent survenir n’importe où, chez moi ou dans la rue. J’entends les voix des torturés. Je vois devant moi les martyrs de la prison de Diyarbakir. Je vois leurs têtes coupées. Ils me parlent, m'appellent au secours. Et moi je parle avec eux, comme si je me trouvais dans la réalité. Tout cela me fige sur place ; je peux rester plus d’une heure sans bouger. »

 



PREFACE

Danielle Mitterrand

Qui pourrait prétendre que la Turquie est un Etat démocratique ? Depuis les années 1970, des rapports des organisations turques et internationales mais aussi des témoignages de victimes cruellement éprouvées ne cessent d’interpeller nos consciences sur ses pratiques inhumaines. Des films comme Midnight Express et Le Mur de Yilmaz Güney ont pu informer un large public sur les atrocités commises dans les commissariats et les prisons turcs. Selon tous les témoignages qui nous parviennent des prisons du Kurdistan, la cruauté de l’appareil répressif turc atteint son apogée de sadisme. Là, les bourreaux n’ont plus affaire à des dissidents turcs plus ou moins mal pensants qu’il faut ramener dans le droit chemin de l’idéologie nationaliste et militariste turque. Il s’agit pour eux d’ennemis, des Kurdes séparatistes, « traîtres à la patrie turque », qu’il faut humilier, déshumaniser et anéantir, sinon physiquement, du moins psychologiquement et moralement.

Il y a des années, j’avais été alertée par le cynisme d’un simulacre de procès dont le parti pris n’avait d'égal que l’injustice et l’insolence. L’ancien maire de Diyarbakir, Mehdi Zana, aurait sans doute été condamné à mort, si la présence d’un observateur français n’avait déstabilisé un tribunal peu soucieux de la vie d’un Kurde. Mehdi passa plus de quatorze ans dans les geôles turques, et, dans son livre intitulé La Prison n° 5, nous donna un témoignage bouleversant sur le martyre des militants kurdes dans la sinistre prison de Diyarbakir où plus d’une centaine d’entre eux périrent suppliciés. De son côté, dans La Nuit de Diyarbakir, l’auteur du présent récit a apporté une foule d’informations précises sur cette barbarie sévissant à nos portes, au vu et au su des dirigeants européens.

Nous ne pouvons donc pas dire que nous ne savions pas, et le laxisme de nos gouvernements en a révolté plus d’un. La Turquie, pays allié de l’OTAN, classé dans le camp des démocraties, peut aussi être vue dans sa totale réalité, celle relatée par son peuple. Qu’elle soit aussi un marché important pour nos exportations, y compris des armements, nous en sommes convaincus. Cela répond à la logique économique libérale de notre temps qui fait fi des valeurs fondamentales de dignité et de solidarité humaine.

Cette logique nous révolte et nous sommes nombreux à refuser cette fatalité.
L’humanité n’a pas de frontières, écrit l’auteur, et la barbarie est du domaine d’une certaine humanité. C’est chez soi, partout et tous les jours, qu’il faut la dénoncer. Ici au Kurdistan, l’affrontement nous oppose à un pouvoir politico-militaire sans respect pour ceux auxquels il a déjà dénié les droits fondamentaux des peuples. Mais combien d’hommes, de femmes et d’enfants dans le monde souffrent de l’injustice d’être pauvres, du fait d’une politique économique qui les broie. Hélas ! la barbarie n’est pas l’exclusivité d’un régime ou d’un autre
En somme, la lutte contre la torture et contre toutes les cruautés inhumaines nous concerne tous. Ce combat pour le respect de l’intégrité et de la dignité de l’homme est à mener partout et à toutes les générations. C’est grâce à un effort constant et résolu que l’on peut espérer que des vies comme celle de l’auteur de ce récit ne soient plus brisées, que l’usage de la force et de la violence contre des détenus et des civils désarmés soit banni et sévèrement réprimé.

Je suis de celles et de ceux qui considèrent que l’injustice faite à un homme est une injustice faite à toute l’humanité et qu’il faut la combattre. Le cas des Kurdes qui nous mobilise est affaire d’injustice massive contre tout un peuple dénié dans son identité, dans sa langue, dans sa culture, dans sa dignité. Ceux qui, comme Leyla Zana, comme l’écrivain Musa Anter ou comme tant d’autres intellectuels, artistes, enseignants moins connus à l’étranger, dénoncent cette injustice et cherchent à éveiller nos consciences sur la condition faite à leur peuple sont embastillés, broyés ou forcés à l’exil, quand ils ne sont pas tout simplement assassinés.

Jeune étudiant idéaliste bouillonnant de projets généreux pour son pays, Ali Ekber Gurgöz a été à son tour happé par cette machine infernale turque. Les quelques mois passés dans la Prison n° 5 ont marqué à jamais le restant de ses jours. Son récit qui retrace ce passé douloureux qui ne s’efface pas de sa mémoire, et qui continue de le hanter, est un témoignage poignant sur la condition humaine dans ce monde qui se flatte de bons sentiments, de démocratie et qui ne répugne pas à former des hommes afin de torturer savamment leurs frères.

Danielle Mitterrand



Première partie: en Turquie

Sorti de Prison

Le 23 décembre 1981, je sors de la prison militaire de Diyarbakir.
C’est huit jours après le coup d’Etat du 12 septembre 1980 que l’on m’avait arrêté, car on me reprochait d’appartenir à l’organisation kurde clandestine fondée par mes deux frères aînés. En même temps que moi, ma sœur Fidan avait été arrêtée. Onze jours et onze nuits, les yeux bandés, j’ai été torturé. Mais je n’ai rien avoué. Puis j’ai été envoyé à la prison militaire n° 5 de Diyarbakir; j’y suis resté quinze mois, torturé à toute heure du jour ou de la nuit.* On m’a ensuite accordé la liberté provisoire pendant que mon procès continuait et que mon avocat m’y représentait.

A ma sortie, tout a changé. Je n’ai plus ni frères, ni camarades : la peur règne. On trouve des soldats partout et je n’arrive plus à faire confiance à qui que ce soit. La peur ne me quitte pas. Lorsque j’étais en prison, il m’était impossible de surmonter cette angoisse car j’étais détenu dans une prison militaire où la peur était tout le temps réactivée par de nouveaux sévices. Habituellement, après un certain temps, les prisonniers sont transférés dans des prisons civiles. Leurs conditions de détention s’améliorant, ils ont l’occasion d’évacuer ces peurs. Ce n’est pas la perspective de mourir qui me terrifiait et m’emplissait de tristesse mais celle de voir mes camarades sombrer dans la folie, subir des mutilations, hurler sous la torture.

* cf. « La Nuit de Diyarbakir », du même auteur, L’Harmattan, 1997.

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