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Les porteurs de lumière : l'épopée de l'église de perse


Auteur :
Éditeur : Date & Lieu : 2008, Paris
Préface : Pages : 464
Traduction : ISBN : 978-2-226-18283-8
Langue : FrançaisFormat : 110x180 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Taj. Por. N° 2705Thème : Religion

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Les porteurs de lumière : l'épopée de l'église de perse

Les porteurs de lumière : l'épopée de l'église de perse

Nahal Tajadod

Albin Michel

Durant les siècles obscurs qui séparent le déclin de Rome du triomphe enflammé de l'Islam, s'épanouit en Perse une Eglise chrétienne aujourd'hui oubliée. Si ses membres s'appelaient entre eux « les porteurs de lumière », les ténèbres de l'époque n'épargnèrent pas son histoire troublée. Pleine de supplices et de prodiges, cette histoire de l'Eglise iranienne nous montre aussi comment naquirent des phénomènes appelés à une grande postérité : l'esprit missionnaire, la persécution pour la foi, l'effroi fascinant du martyre, et aussi cette alliance intime d'un Etat et d'une Eglise, berceau des fanatismes.

Ainsi que l'exprime Jean-Claude Carrière, « ce livre, à l'évidence, nous tend, discrètement mais opiniâtrement, un ancien miroir, parfois gratté et dépoli, où nous pouvons à chaque instant apercevoir, déjà, notre propre visage. »



PRÉSENTATION

Une histoire oubliée

L'Histoire laisse parfois des zones d'ombre le long du chemin, soit par ignorance, soit par dédain. Les chroniqueurs vainqueurs négligent les vaincus, et souvent les oublient. Quand ils les décrivent - comme Jules César l’a fait des Gaulois - c 'est pour en vanter la bravoure, ce qui rehausse la valeur du conquérant, et en rabaisser les modes de vie, qui méritaient d’être anéantis, parce que barbares.

Voici un livre qui s'aventure en terre inconnue. H nous raconte, en une douzaine de scènes choisies, la vie et les combats des chrétiens d’Iran sous la dynastie des Sassanides, en gros du II au VIIe siècle de notre ère, entre l'apogée de l’Empire romain et la conquête menée par les Arabes.

Première surprise : il y avait des chrétiens en Iran, ce dont on ne nous parle guère. Plus même: l’Empire sassanide faillit devenir chrétien, ce qui eût évidemment changé le cours des idées, et même des choses.

Deuxième remarque : ces chrétiens ont été négligés par les historiens chrétiens eux-mêmes, pour la raison qu 'ils étaient des hérétiques, des « nesto-riens ». Pour d’obscures vétilles dogmatiques, pour des querelles de vocabulaire dont l’importance, qui nous paraît aujourd’hui impénétrable, est habilement expliquée dans les pages qui suivent, des « chrétiens », qui croyaient en la divinité de Jésus proclamée dans les Évangiles, furent, par des historiens eux-mêmes chrétiens, condamnés et laissés à l’écart de l’histoire chrétienne officielle.

Laissés à l’écart : cela signifie que les documents qui les concernaient, traités par le mépris, étaient le plus souvent détruits, ou oubliés — comme ces milliers de manuscrits, tous antérieurs au Xe siècle, qui furent emmurés dans une grotte, à Dunhuang, à l’ouest de la Chine, sur la route des caravanes de la soie, et redécouverts mille ans plus tard.

Ces manuscrits, extrêmement précieux, ne sont pas encore tous traduits. A l’exception de quelques ouvrages savants, et d’articles spécialisés, aucun ouvrage n ’a jusqu 'ici tenté de présenter à un large public ces catéchismes oubliés - et en particulier ces documents, qui remettent en question, sur de nombreux points, l’histoire religieuse des premiers siècles de notre ère, de l’Asie Mineure à la Chine.

Ils ne sont pas les seuls, évidemment. L'archéologie et l’épigraphie continuent de faire parler le passé caché dans la terre. Un passé qui ressemble au roi des rois lui-même, lequel, en audience, ne recevait ses visiteurs que dissimulé derrière un voile.

Cette histoire, jusqu 'ici écrite par les vainqueurs, a été très profondément trafiquée, et même mutilée. Car les vainqueurs brûlent d’abord les livres des vaincus (nous le verrons en cours de route) et les accablent ensuite de diatribes, de mensonges. Ainsi, l’image des manichéens, pour la suite des siècles, et jusque dans le langage courant, a été maltraitée, retournée sens dessus dessous, alors que des manuscrits originaux, comme ceux de Dunhuang, nous mettent sous les yeux des textes authentiques, intacts, écrits par des fidèles pour des fidèles.

Comme nous pouvons nous en douter, il s'agit ici d’une histoire étonnante, traversée de personnages surprenants, d’épisodes frappés d’une lumière merveilleuse. L’auteur, Nahal Tajadod, est iranienne et sinologue. Elle a pu utiliser des sources écrites, ou gravées, en plusieurs langues. Utilisant les sources traditionnelles aussi bien que les manuscrits récemment découverts, elle nous entraîne, avec ce livre, dans l’aventure dangereuse, dans les « péripéties » de l’Église chrétienne de Perse — qui survit aujourd’hui encore. Dans un second volume, elle envisage de nous raconter les avancées, jusqu a la Chine, de ce christianisme iranien, de ces groupes d’hommes et de femmes animés d'une foi missionnaire, qui s’appelaient eux-mêmes « les porteurs de lumière ».

C’est peu de dire que cette aventure est mal connue. Avouons-le : nous l’ignorons entièrement. Même en Occident, les temps qui séparent la fin de Rome des siècles brillants du Moyen Âge sont maintenus dans une ombre prudente. Ils sont les siècles mal aimés, dédaignés, les siècles qui se sont glissés tant bien que mal entre les pages lumineuses de l’Histoire.

À plus forte raison quand il s’agit de l’Orient. La multiple splendeur de l’Empire perse des Sassanides, les guerres répétées contre Byzance, les cheminements hasardeux de la foi, l’établissement en Iran d’une Église chrétienne autonome, à caractère nes-torien, tout cela nous reste inconnu. A chaque page, ici, une découverte, un étonnement. Et davantage : car nous voyons naître sur une terre lointaine, dans ces époques peu fréquentées, plusieurs phénomènes nouveaux, singuliers, déjà redoutables et vivaces : l’esprit missionnaire, par exemple, la persécution pour la foi, le martyre (aussi terrifiant que fascinant et dont nous connaissons l’inlassable postérité), le déchirement dogmatique qui conduit au bûcher ceux qui sont reconnus « hérétiques » (comment peut-on être diophysite ?), et aussi cette alliance intime d’un État et d’une Église (en l’occurrence l’Église mazdéenne), fusion et confusion des pouvoirs, berceau des fanatismes.

Malgré les progrès de l’investigation historique, toute représentation exacte et vraisemblable du monde d’autrefois nous reste sans doute interdite, comme tout voyage dans le temps. Ce monde passé, pendant longtemps, nous ne l'avons vu que sous les masques et les couleurs du temps présent. En Occident au xilf siècle, les rois mages, qui pourtant venaient de la Perse, portent les cuirasses des chevaliers européens du Moyen Âge. Tout est d’ici et de maintenant. Le temps ne s'estpas encore distendu et les formes - des hommes comme des forteresses - ne changent pas. Ce n’est qu’à partir de 1500 que, petit à petit, se développe une tendance de représentation « historique », laquelle reste toujours soumise aux modes, à la vision contemporaine. Le XIXe siècle n’a voulu voir l’Antiquité qu'à travers la peinture qualifiée de « pompiériste » - mélange de théâtralité académique (tous les corps sont musclés et lisses, toutes les mains sont identiques, comme tous les nez), d’expression artistique codifiée, de décoration convenue et d’irréalisme touchant à l’absurde (les hommes sont nus, mais se coiffent tout de même, à la maison, d'un casque en cuivre).

Chez nous, au XXe siècle, la vision de l’antique s’est communiquée au cinéma, qui n’a montré les temps anciens qu 'au prisme du monumental, du saint-sulpicien, du solennel et du mélodrame. Sans doute, en bien des cas, en sommes-nous encore victimes. Nous voyons le passé, notre passé, à travers les films italiens ou américains. Non que cette vision soit toujours ridicule ou fausse : dans certains cas (Howard Hawks, Stanley Kubrick, Pasolini), elle peut même enrichir et préciser le travail de l'historien, le mettre en question en tout cas. Mais elle est toujours la nôtre, et nous la transportons à notre insu dans nos lectures. Elle se glisse malgré nous entre les lignes, ou les images.

Ainsi pour la Perse d’autrefois : comment l’Occident la voit-il ? Il ne peut connaître que les ruines des temps achéménides, celles de Persépolis par exemple, grandioses mais dénaturées par les siècles. Autrefois colorées, brillantes et sans doute bruyantes, elles n 'offrent aujourd’hui que des squelettes de pierres dénudées, rongées - et désertes. En plus, nous les confondons souvent avec d’autres ruines, plus récentes.

Beaucoup plus proches de nous, les miniatures dites persanes n 'offrent des époques sassanides que des visions mongoles, au demeurant aussi conventionnelles, quelles qu'en soient la délicatesse et la virtuosité d’exécution, que celles de nos pompiers européens.
Comment donc nous imaginer la Perse du nf au vif siècle ? Les qualificatifs qui reviennent en litanies dans les chroniques sont « somptueux, fastueux, pompeux, splendide ». Et sans doute ce goût iranien du luxe, qui surprenait souvent les autres peuples, perpétuait-il une tradition, une tendance profonde — qui se retrouve jusqu 'au XXe siècle. Mais il est toujours difficile de se représenter directement ce goût tenace, en évitant les images surchargées des productions hollywoodiennes, où les grandes salles des palais sont, de toute évidence, éclairées à l'électricité.

D'autre part, chacun peut avoir une idée particulière du luxe, de la richesse, d’autant plus que cette passion de l’apparat, souvent décriée par les poètes soufis, s’accompagne, au cœur du même peuple, d’un constant appel vers le dépouillement, le désert, une extrême simplicité de vie, à la recherche d’un autre monde, où le luxe n 'aurait plus de sens.

Toute tentative de représentation - par les mots, le pinceau, la caméra - est donc nécessairement dangereuse. Elle dépend de nos yeux d’aujourd’hui. Entre la Tour de Babel des peintres de la Renaissance, la Mort de Sardanapale de Delacroix et une Odalisque de Matisse, nous pouvons choisir un Orient à notre goût, ou à notre idée, mais en sachant bien que la réalité nous eût sans doute apparu tout autre, sans parler des bruits, des cris, de l’air chaud ou froid, de la lenteur des déplacements (les idées ne pouvaient pas aller plus vite que les chameaux) et des odeurs de la vie quotidienne, qui nous eussent sans doute paru insupportables.

Il est entendu, depuis déjà cinquante ans, que l’histoire la plus secrète, et par là même la plus intéressante, la plus inévitable, est sans doute celle des mentalités ; entreprise nécessaire mais elle aussi dangereuse, car c 'est toujours une mentalité qui en décrit, qui en raconte, qui en juge une autre.

À cela s'ajoute l’égocentrisme historique, particulièrement aggravé en Europe, depuis plus de deux siècles, par les « succès » récents de ce que nous appelons l'Occident - y compris dans le domaine des études historiques. Nous avons accaparé la connaissance du passé et nous ne le voyons d’habitude qu ’à travers notre présent, comme si les siècles ne se succédaient que pour conduire à notre suprématie, dont nous oublions qu 'elle est très probablement éphémère, comme les autres.

Un des grands mérites de ce livre est de déplacer radicalement notre point de vue. Soudain, l’Europe n ‘est plus au milieu de la carte. Nous avons glissé vers l’est de quelques milliers de kilomètres et le centre du monde s'établit au Proche-Orient. C’est là que tout se joue, le terrestre comme le surnaturel. Les deux énormes puissances qui se disputent l’empire suprême s'appellent Rome, laquelle devient Byzance, et la Perse, l'Iran. Toutes choses tournent autour de ce conflit constant, tantôt étouffé, tantôt redoublé. Du coup, l'Europe n ‘est encore qu ’un territoire brumeux, peu convoité et de toute façon barbare. Quant à la Gaule, on en parle à peine. Elle est en haut de la carte, dans le coin gauche, avec les îles de la Bretagne. Ce n 'estpas là que l’Histoire s'écrit. Pas encore.

Enfin, il est admis que si le présent adapte le passé à sa mesure, à ses critères, à ses croyances et à ses goûts, les événements et les sentiments d’autrefois ne s’éteignent jamais tout à fait. Ils survivent plus ou moins clairement dans telle ou telle partie de nous-mêmes, autrement dit : le présent invente en permanence ce passé dont il est pétri.

À ce titre, les clartés que ce livre risque d’apporter à notre début de millénaire ne sont malheureusement que trop évidentes. Le même tumulte des esprits, le même dépeçage de la prétendue vérité, la même certitude fanatique conduisent, là-bas et ici, aux mêmes tyrannies, exclusions, carnages.

Voilà donc, grâce à la transparence sensible de l'Histoire, qui est un calque à demi effacé de nous-mêmes, l’occasion de nous demander une fois de plus d’où nous venons, dans le triste domaine de la foi combattante, et comment sont nées, dans ces siècles perdus en route, des idées qui nous secouent si violemment aujourd’hui ; de nous demander aussi pourquoi des religions se sont attachées à des trônes, comme un lierre s’éprend d’un arbre supposé durable, mais qu ’il contribue à étouffer — tandis que d’autres croyances, à la même époque, s’affirmaient universelles, intemporelles, détachées du royaume de ce monde, et cependant entraient immédiatement en guerre avec les premières.

Mille questions se lèvent: comment invente-t-on une foi et comment se propage-t-elle ? Où trouver les signes certains du vrai Dieu, ou tout au moins de la vraie vie ? Pourquoi des affirmations métaphysiques, par définition invérifiables, s ’opposent-elles les armes à la main ? Pourquoi ces croyances vacillantes, et terriblement disputées, s’affirment-elles, aujourd’hui comme hier, supérieures au savoir, et même à la science ?

Et aussi : est-il possible de vivre en paix en pratiquant des cultes dissemblables ? D'où vient le pouvoir véritable ? À quoi le reconnaît-on ? Quel est le premier poison d’un État ?
Deux lectures de ce livre sont possibles. La première est de suivre un récit qui nous offre des « événements », très surprenants, souvent très pittoresques, et que nous ne connaissons pas. C’est une lecture lente, foisonnante, mais qui peut rester de surface. Sans doute ne faut-il pas s ’en laisser griser, et même aveugler ; car le livre nous propose une seconde approche, plus secrète, plus personnelle, à laquelle l'auteur nous convie de deux manières : d’abord en ménageant de place en place, et cela dès les premières pages, des rapports à notre temps qui harcèlent notre attention. Et puis, en aménageant, voire en inventant certaines scènes, des rencontres dans le palais du roi des rois, par exemple, ou dans la bibliothèque d’une église, ou dans la fraîche maison d’un chrétien d’Antioche, elle a su donner vie à ses connaissances, les dissimuler dans une action et nous transporter sans effort en terre inconnue, « comme si nous y étions ».

Récit historique ou roman ? Dans certains cas, cette distinction s’abolit d’elle-même, et la question ne se pose plus. Nous savons aussi que la fiction, quand elle n’est pas de fantaisie, peut aider l’histoire à s'exprimer, et même à prendre vie.

C’est pourquoi ce livre, à l’évidence, nous tend, discrètement mais opiniâtrement, un ancien miroir, parfois gratté et dépoli, où nous pouvons à chaque instant apercevoir, déjà, notre visage.

Dans ce récit tissé de supplices incroyables, de batailles idiotes, de controverses infiniment subtiles où la Terre décide du Ciel, de trahisons éclatantes ou imperceptibles, de déportations, d’horreurs, de prodiges, où se glissent aussi comme par effraction des moments d’harmonie, de courage, de vraie prière, et même quelques nuits chaudement amoureuses où le corps semble vouloir se venger de l ’âme qui dit le détester, voici un vieux chemin où nous continuons de marcher. Les désirs d’autrefois nous dirigent encore, et pour certains les mêmes rêves, conduisant aux mêmes charités et aux mêmes férocités, sinon à la même lumière.

Avec cette différence - la seule ? — que nous croyons savoir que le paradis n 'existe pas, en tout cas pas sur cette planète, et que ce Dieu universel que certains d’entre nous ne cessent de prier, d’autres le prient pour qu’il nous extermine.

Jean-Claude Carrière
Janvier 2008



Mani le vivant

Un long cortège de vaincus

Les visages brûlés, les pieds crevassés, dépouillés, misérables, ils marchent lentement. Des hommes pour la plupart, mais aussi quelques femmes jeunes, et des enfants. On a laissé là-bas les vieux, les bouches inutiles. Ils sont soixante-dix mille, butin de guerre, chair conquise, des Syriens et des Grecs surtout, naguère soumis et administrés par Rome. Derrière eux, vers le couchant, des parents massacrés, des maisons où d’autres s’installent déjà, des champs de bataille, des odeurs perdues.

Ils étaient les habitants de la ville d’Antioche, en Syrie. Maintenant, captifs des Perses, ils se dirigent vers l’est, vers le territoire iranien1. Déportation forcée…

1. L’Iran s’appelle d’abord, au temps des Achéménides (700-330 av. J.-C.) et des Parthes (250 av. J.-C.-224 ap. J.-C.), « le pays des Aryens ». Il ne devient concept politique qu’au IIIe siècle de notre ère, sous les Sassanides. Perse est le nom d’une tribu aryenne qui peupla la région méridionale du plateau iranien, la Perside. Les souverains achéménides, issus de cette province, y établirent leur capitale, à Persépolis. Aujourd’hui, nous utilisons indifféremment les deux termes, Perse et Iran (voir la carte, pp. 440-441)




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