NOTE LIMINAIRE
En écrivant, en 1958, L’Islam et les Musulmans d’aujourd’hui, nous souhaitions offrir au public de langue française une vue d’ensemble, simplifiée parfois pour être plus accessible, réduite à l’essentiel. Le choix des données retenues, nous l’avons indiqué, comportait une part d’arbitraire; il pouvait faire l’objet de justes critiques; il était principalement guidé par le souci de faire comprendre et sentir l’actualité et « d’accrocher la connaissance de l’Islam à quelque chose de vivant ».
En dépit de ses imperfections, dont nous sommes plus conscient que quiconque, cet ouvrage a cependant trouvé un accueil bienveillant. Nous avons donc pensé que sa réédition pouvait, sans trop d’inconvénients, comporter d’abord la reproduction, avec un petit nombre de retouches de détail, du texte originel : tel est le contenu du tome I de la présente édition. D’importants compléments paraissaient cependant souhaitables; ils ont été groupés dans ce tome II. Pour l’établissement de ces compléments, nous avons été grandement aidé par les aimables avis de lecteurs attentifs et compétents, auxquels nous sommes vivement reconnaissant. Les indications et conseils que nous avons ainsi reçus des RR. PP. Bouchaud, C.S.Sp.; Dejeux, P.B.; Demeerseman, P.B.; Paréja, S.J.; des professeurs M. Colombe et G. Wiet; et de MM, J. Chelhod, K Monteil, F.M. Prause, J. Vashitz, nous ont été particulièrement précieux. Nous avons largement utilisé, entre autres, leurs travaux et contributions, ainsi que ceux des RR. PP. J. Jomier, O.P., et Abd el Jalil, O.F.M., de Mme H. Carrère d’Encausse, de Mlle Ch. Quélquejay, des professeurs R. Arnaldez, J. Berque, R. Blachère, R. Brunscbvig, Cl. Cahen, H. Corbin, H. Laoust, R. Le Tourneau, B. Lewis, Th. Monod, Ch. Pellat, J. Schacht, J. van der Kroef, etc., du regretté commandant M. Cardaire; de MM. P. Alexandre, A. Bennigsen, T. Burckhardt, J. Carret, M. Chailley, L. Fauque, R. Perry, J.C. Froelich, L. Gardet, R. Jammes, J. Lapanne-Joinville, A. Le Grip, etc., et enfin les œuvres des maîtres éminents cités dans le tome 1.
Notre premier travail, délibérément centré sur l’aspect communautaire, et donc unitaire, de l’Islam, faisait à l’Orient, son foyer traditionnel, une place capitale. Phénomène périphérique, l’Islam noir était l’objet de quelques indications sommaires. L’intérêt très vif qui s’attache aujourd’hui au destin de l’Afrique, en particulier conditionné par son islamisation, rendait souhaitable un sérieux complément; en tentant de le fournir ici, nous avons conscience de répondre au vœu de bien des lecteurs. En revanche, une autre forme périphérique de l’Islam, celle du monde malais, ne semble susciter en France que très peu d’attention. En y consacrant quelques développements, nous n’accédons pas à une demande; nous allons au contraire, délibérément, à contre-courant; mais cela ne nous paraît pas moins necessaire. Cette Septième Partie consacrée à « l’Islam périphérique : de Dakar à Djakarta », concerne près d’un tiers des Musulmans du globe; ce double « cas particulier » n’est donc pas négligeable; il est d’ailleurs, comme on pourra le voir, symptomatique.
Il nous a cependant paru que ce n’était point le seul complément nécessaire. Si nous avions entrepris notre travail initial, non au printemps 1957, mais à l’automne 1959, il eût en effet été différent, et à coup sûr plus nourri : des lectures plus étendues, la participation a de nouveaux enseignements, des contacts multipliés, des voyages en Afrique occidentale, en Iran, au Liban, dans le Moghreb, enfin la considération de trente mois d’une actualité très chargée, auraient accru notre expérience et perfectionné notre vision des choses. Faute d’avoir pu réécrire ce livre, entreprise peut-être fallacieuse d’ailleurs, et incorporer dans le texte primitif ce nouvel acquit, nous avons tenu du moins à faire état de celui-ci dans quelques chapitres supplémentaires.
Une Huitième Partie, « L’Islam en devenir », rassemblera donc ces données. Elle se présente à la fois comme un complément du texte originel et comme une mise à four. Elle ne prend cependant, pas la forme d’une simple série d’additifs; nous nous sommes efforce de la rendre, malgré son caractère composite, aussi cohérente que possible.
Le présent volume apparaîtra donc, dans son ensemble, p as développé, plus détaillé que le précédent; mais non pas, nous le souhaitons du moins, sensiblement plus complexe. Nous nous sommes efforcé de lui conserver le même esprit, voire le même ton. Il s’agit toujours, nous le répétons, d’un simple manuel d'initiation, destiné à donner le goût des sources originales, des ouvrages fondamentaux et des contacts personnels, en vue d’une compréhension plus large et plus humaine du monde musulman d’aujourd’hui.
Septième Partie A la périphérie de l’Islam : de Dakar à Djakarta
Quarante millions de Musulmans en Afrique Noire, quatre-vingts en pays malais : ces régions périphériques de l’Islam rassemblent donc près d’un tiers du peuplement musulman du monde. En Europe l’opinion se préoccupe grandement, et à juste titre, des premiers; mais presque pas des seconds, et bien à tort. Des masses humaines aussi considérables, de pareilles puissances potentielles ne sauraient être négligées.
La situation géographique, également excentrique, de ces deux groupes musulmans, suggère d’aborder simultanément leur étude. A cette première raison s’en ajoutent d’ailleurs beaucoup d’autres. C’est un même type d’Islam, « l’Islam de l’animisme », qui apparaît entre le haut Nil et l’Atlantique comme dans l’archipel indonésien. En ces confins du monde musulman, l’Islam a eu à s’adapter à de vigoureuses réalités religieuses locales, païennes et panthéistes; le réformisme, tout en formulant de plus sévères exigences, est venu lui offrir des ressources nouvelles; de délicates questions politiques et sociales se posent, très variables dans le détail selon les lieux, que séparent de vastes distances, mais cependant analogues dans l’ensemble. C’est, pour une part, le destin de l’Islam moderne qui se joue dans ces régions lointaines. L’Islam se montrera-t-il capable, dans ces conditions difficiles, de procurer le ressort politique et social dont ont besoin les nouveaux États qui se forment là-bas; lais-sera-t-il, au contraire, ceux-ci recourir à d’autres formules d’organisation et de vie, et consacrera-t-il ses ressources, de préférence, au prosélytisme et à l’expansion, dans le cadre relativement limité des îlots païens juxtaposés au monde malais, ou dans le vaste domaine que lui offrent encore les étendues de l’Afrique ? En un mot, à quelle phase de son histoire en est l’Islam de la périphérie ? Il se peut que ce soient là quelques-unes des questions majeures de la seconde moitié de notre siècle. Nous allons nous efforcer de les éclairer, en examinant successivement l’évolution des pays malais, plus tôt parvenus à l’indépendance, puis celle des pays noirs.
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