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Paroles mélodisées


Auteur :
Éditeur : Garnier Date & Lieu : 2013, Paris
Préface : Pages : 232
Traduction : ISBN : 978-2-8124-0787-1
Langue : FrançaisFormat : 150x220 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Bre. Par. N° 2231Thème : Général

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Paroles mélodisées

Paroles mélodisées

Estelle Amy de la Bretèque


Garnier


Cet ouvrage porte sur un mode dénonciation dans lequel l’intonation normale de la parole se voit remplacée par des contours mélodiques. Chez les kurdophones d’Arménie — en particulier les Yézidis — la parole ainsi mélodisée est toujours liée à l’évocation de la nostalgie, de l’exil, du sacrifice de soi et de l’héroïsme. Elle apparaît dans certains contextes rituels, dans les chants épiques, ou simplement au détour d’une phrase dans les conversations quotidiennes. S’appuyant sur des documents de terrain inédits consultables en ligne sur le site de la Société française d’ethnomusicologie, l’auteur montre que la parole mélodisée joue pour les Yézidis un rôle central dans la construction d’un idéal de vie reliant les vivants aux absents et aux défunts.


Estelle Amy de la Bretèque est anthropologue et ethnomusicologue. Elle est l’auteur de nombreux articles sur les traditions vocales du Caucase et du Moyen-Orient, où elle effectue des recherches depuis 2001. Grâce à une bourse de la Fondation pour la science et la technologie (Portugal), elle mène actuellement des recherches au sein de l’institut d'ethnomusicologie de Lisbonne (INET/MD-FCSH/UNL).





AVANT-PROPOS

Cet ouvrage porte sur les mécanismes de construction des figures mémorables et exemplaires de la communauté yézidie d’Arménie. Il montre comment une modalité particulière de la narration les constitue. Analysant le rôle de cette manière spécifique d’utiliser le langage, ce livre s’attache à décrire, dans les interactions rituelles et quotidiennes, les usages de la parole mélodisée. Cette dernière est en effet à la fois constitutive de ces grandes figures et enracinée dans un quotidien pragmatique. Ce que j’appelle parole mélodisée est une manière d’utiliser la voix où l’intonation normale de la parole se voit remplacée par des contours mélodiques. Les mots énoncés y prennent une allure beaucoup plus poétique et métaphorique (mais ne se plient pas pour autant à un mètre ou à des schémas rythmiques précis). Pour une oreille européenne, cette manière d’utiliser la voix ressemble à s’y méprendre à du chant. Mais pour les Yezidis, elle est avant tout de la parole et ne participe pas de ce qu’eux-mêmes nomment du chant. En suivant ce type d’énonciation (la parole mélodisée), le livre révèle des modalités culturelles de gestion des émotions, en particulier des émotions liées au deuil, au sacrifice de soi, à l’exil et à la nostalgie.

Les Yézidis sont un groupe kurdophone partageant une religion commune, le Yézidisme. Ils vivent aujourd’hui majoritairement en Irak, en Géorgie et en Arménie. Mon premier séjour dans la communauté yézidie d’Arménie remonte au mois d’avril de l’année 2006. Ma rencontre fortuite avec Cemile Avdalyan, infirmière du village d’Alagyaz, a déterminé mon choix pour une étude centrée sur les villages de sa région : Aparan. Entre 2006 et 2010 j’effectuais des séjours répétés dans ces villages (et plus occasionnellement dans les villages de la région d’Hoktemberian et Talin) représentant au total près d’un an et demi de terrain. Dès le premier séjour, je pus me rendre compte que la parole mélodisée était très présente dans le quotidien yézidi. Toujours liée à des sentiments tristes, la parole mélodisée est énoncée non seulement en contexte rituel, mais aussi au détour d’une phrase dans les conversations quotidiennes. Elle est le fait des femmes, mais aussi des hommes. Certains parmi ces derniers deviennent des spécialistes, occasionnellement rémunérés pour dire des lamentations dans les enterrements ou les enregistrer dans les studios d’Érévan. En kurde, la parole mélodisée est appelée kilamè ser, c’est-à-dire, littéralement : « parole sur... ». Il y a ainsi des « paroles sur le mort », des « paroles sur l’exil », des « paroles sur le héros »...

Le Yézidisme est une religion syncrétique qui dérive probablement d’un ancien culte iranien proche du zoroastrisme et qui comporte de nombreux points communs notamment avec l’islam, la chrétienté et le gnosticisme. Contrairement aux cultes aujourd’hui majoritaires dans la région, le Yézidisme n’a pas de texte saint. Les Yézidis croient en un Dieu unique, secondé par sept anges principaux qui se réincarnent périodiquement. La communauté yézidie est organisée en trois groupes héréditaires et endogames : deux groupes de religieux (les $êx et les pîr) et un groupe de disciples (les mirîd). Par leurs convictions religieuses comme par leur organisation sociale, les Yézidis forment une communauté bien distincte dans la région. Dans les villages où j’ai travaillé en Arménie, les Yézidis se sentaient liés aux Kurdes (de Turquie, d’Iran ou d’Irak) par le fait qu’ils étaient eux-mêmes kurdophones, mais aussi aux Arméniens, par l’idée d’un destin partagé puisqu’ils gardaient la mémoire encore présente d’un exil d’Anatolie dont la dernière vague remonte à la première guerre mondiale.

Ce livre est une version remaniée de ma thèse de doctorat (Amy de la Bretèque 2010). Je n’aurais sans doute pas pu mener à bien cette recherche sans l’aide de Christine Allison. Je lui dois les premiers contacts sur le terrain. Nous eûmes par la suite de fréquentes discussions, très enrichissantes, sur les Yézidis d’Arménie ainsi que sur leur tradition orale. Les longs débats écrits et oraux que j’eus avec Alexandra Pillen m’ont également été précieux. Plusieurs des arguments théoriques que j’ai développés dans cet ouvrage ont pris forme, de manière dialectique, dans ces échanges. Je dois une partie de ma motivation à la réalisation de ce travail à l’attention que Claire Mouradian a portée à ces recherches. Lors de nos discussions, sa générosité chaleureuse a toujours été très stimulante. Le séminaire quelle dirige sur le Caucase (EHESS-CNRS 8083) a été un lieu d’échanges importants. Les discussions avec Philip G. Kreyenbroek, Khanna Omerxalî, Eszter Spàt, Nahro Zagros, Emerîk Serdar et Mraz Cernai ont été très bénéfiques à ma connaissance de la religion, de l’histoire et de la culture yézidies. Les échanges avec Metin Yükcel et Ergin Opengin sur la langue kurde ont également été très formateurs, et ceux avec Yiannis Kanakis ont considérablement enrichi mes connaissances géopolitiques et historiques de la région.

Pendant la durée de ma thèse, j’ai bénéficié de l’effervescence intellectuelle du laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (LESC CNRS UMR 7186), du centre de recherche en ethnomusicologie (CREM-LESC CNRS UMR 7186) et du groupe de recherches en ethnopoétique (GDR 3068). Les échanges avec Raymond Jamous et Rosalia Martinez, qui ont suivi l’ensemble de la rédaction de cette thèse, m’ont été particulièrement profitables. Lors des séminaires et réunions de travail, j’eus des discussions importantes avec Bernard Lortat-Jacob, Nicolas Prévôt, Hélène Delaporte, Eckehard Pistrick, Filippo Bonini-Baraldi, Magali Deruyter, Carole Boidin, Tristan Mauffrey, Hatouma Sako et Roberto Limentari.

Après la soutenance de ma thèse, le travail de réécriture de l’ouvrage a bénéficié de l’atmosphère dynamique de l’institut de recherches en ethnomusicologie de Lisbonne (INET-MD). Le soutien chaleureux de sa directrice, Salwa El-Shawan Castelo-Branco, m’a été particulièrement cher. Les conseils avisés et les relectures méticuleuses de Catherine Coquio ont constitué une aide précieuse à l’élaboration de l’ouvrage. Je la remercie pour l’intérêt quelle a porté à ce travail et pour la confiance quelle m’a accordée.

Depuis le début de ces recherches, je bénéficiai du soutien actif d’Isabelle Masson, Marion et Aurélien Lebreton, Anna Mkhikyan, Mariné Galstyan, Laura Mkhikyan, Nure et Seda Serdar, Marie-Pierre et Jean Baptiste Amy de la Bretèque, Méliné Kapamadjian, Julie Sauret, Gilles Delebarre, Damien Philipiddis, Frédérique Darros, Laurence Fayet, Annie Epelboin, Charlotte Amy de la Bretèque et de Geneviève et Alain Amy de la Bretèque. Enfin, ce livre n’aurait pas existé sans l’enthousiasme, les encouragements et la générosité de Victor A. Stoichità. Qu’ils en soient tous remerciés.



Documents

Cet ouvrage a été conçu en relation étroite avec une interface multimédia hébergée sur le site de la société française d’ethnomusicologie présentant des documents vidéo et audio commentés et sous-titrés. Une part importante du travail a consisté, en effet, à recueillir des matériaux documentant ce mode d énonciation encore méconnu. Dans 1 ensemble, j’ai choisi d’en présenter de larges extraits, dans l’espoir qu ils pourront s’avérer utiles à d’autres recherches.

Les documents sont consultables à l’adresse www.ethnomusicologie.fr/parolesmelodisees. Ils sont référencés dans le texte sous le sigle « doc. » et sont numérotés selon leur ordre d’apparition. Un index des documents multimédia est disponible à la fin de l’ouvrage.



Conventions linguistiques

Les Yézidis d’Arménie sont tous bilingues. Ils parlent le kurde kur-manji et l’arménien. La majorité d’entre eux ajoute à ces deux premières langues une troisième, le russe. En contexte villageois, les conversations de la vie quotidienne ont lieu avant tout en kurde. Dans les villages à peuplement mixte (Arméniens et Yézidis), l’arménien est également employé dans le contexte quotidien. L’intelligentsia yézidie d’Érévan (ou de Tbilissi) affectionne particulièrement le russe, langue liée au statut de lettré durant la période soviétique.

Les conversations rapportées dans cette étude ont été traduites en français à partir du kurde, du russe et plus rarement de l’arménien. Le texte original est rapporté en notes de bas de page. Les mots des « paroles sur » et des « chants » sont cités sous forme de tableaux comprenant à gauche le français et à droite le kurde. Dans l’ensemble, ces traductions tendent à être aussi proches que possible du sens littéral. Dans certains cas cependant, j’ai opte pour une version un peu plus imagee afin de tenter de faire apparaître l’aspect littéraire et poétique de ces paroles. Les traductions sont les miennes, mais elles ont bénéficié des conseils experts d’Emerîk Serdar, de son épouse Seda et de sa fille Nure avec lesquels j’ai longuement discuté de chacune d entre elles. Les commentaires qu ils m’ont apportés ont enrichi considérablement mes traductions, notamment en ce qui concerne l’épaisseur poétique et les images evoquees.
Nos discussions et nos échanges de mails a ce sujet se sont déroulés en russe : passer par une troisième langue a permis de corriger les contresens, d’éclaircir certaines images et de mieux comprendre la richesse poétique des « paroles sur ». Les erreurs et inexactitudes qui seraient restées dans ces lignes me sont bien sûr entièrement imputables.

J’ai adopté la transcription kurde en alphabet latin (plutôt que cyrillique) afin de ménager le lecteur français, mais aussi parce que, depuis l’indépendance de l’Arménie, c’est cet alphabet qui est employé pour l’enseignement du kurde dans les écoles. J’ai par ailleurs choisi d’orthographier les mots selon les règles enseignées dans les écoles kurdes de Transcaucasie. La différence essentielle avec l’orthographe des Kurdes de Turquie est l’emploi de l’apostrophe à l’intérieur des mots pour marquer les consonnes aspirées.

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