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Tuer pour survivre : la vendetta


Auteur :
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 1990, Paris
Préface : Pages : 192
Traduction : ISBN : 2-7384-0624-6
Langue : FrançaisFormat : 160x240 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Uns. Van. N° 3404Thème : Sociologie

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Tuer pour survivre : la vendetta

Tuer pour survivre : la vendetta

Artun Unsal

L’Harmattan

« Un garçon tue le meurtrier de son père », « une simple querelle de chiens rallume la haine qui dure depuis cinquante ans. Bilan : trois morts », « Vengeance du sang à Berlin, un ouvrier turc assassiné »... La vendetta, véritable guerre privée entre des familles, demeure un fait divers presque banal en Turquie, tiraillée entre des structures modernes et traditionnelles. Même après soixante-dix ans de République, la pratique de se faire justice soi-même demeure assez répandue, notamment dans les villages d'Anatolie du Sud-Est et sur le littoral de la Mer Noire, où il faut parfois « laver le sang par le sang », comme jadis en Sicile, en Corse ou en Albanie.
Mais il est nécessaire aussi d'enlever l'auréole romantique dont s'entoure la vendetta. Plus qu'une affaire de destin, et même au contraire, la vendetta est un fait social, dont il importe d'étudier de près les raisons pour mieux le comprendre, afin de le combattre avec plus de réalisme. Sortant de l'approche romanesque ou descriptive traditionnelle, une enquête sociologique approfondie conduite pour la première fois auprès d'auteurs de la vengeance du sang emprisonnés, tente de découvrir le vrai visage de vengeurs-victimes de ces rejetons du sous-développement et des carences étatiques, à travers leur environnement socio-économique, culturel et politique local, caractérisé par des « ressources limitées » et des luttes de « lebensraum » permanentes. Ce qui du reste n'est pas uniquement propre au village anatolien. Le Moyen-Orient, l'Afrique, l'Amérique Latine et l'Asie ne sont-ils pas aussi le théâtre des nouvelles vendettas entre des tribus et des « familles de nation » ?


Artun Unsal est né en 1942 à Istanbul. Après des études de Sciences Politiques et de Droit à Paris, il a d'abord mené une carrière universitaire en Turquie, parallèlement à des activités de correspondant du journal Le Monde. Il est aujourd'hui le représentant du quotidien turc Hürriyet à Paris. Auteur de plusieurs études dont le « Parti ouvrier de Turquie » et de livres comme « La Cour constitutionnelle turque et la politique », « La ville et la violence politique », et dernièrement, « Chronique d'une famille anatolienne », il nous fait voyager à présent avec « Tuer pour survivre » dans l'univers culturel des justiciers au sang fou et l'ensemble social qui permet à la vendetta de se maintenir et de fonctionner au défi des lois de l'État moderne.





PREFACE

L’Europe a conservé dans ses régions situées au sud, près des bords de la Méditerranée, des formes de vie qui rappellent le passé. Ce sont en général des régions dont le niveau de vie est plus bas que pour le reste du continent ; leur pauvreté est aujourd’hui largement connue à travers les publications ou les émissions de la télévision. Mais les sociologues ou les ethnologues ajoutent de nombreux autres chapitres de la vie sociale qui présentent des caractéristiques inattendues si on les compare à celles de l’Europe du centre ou du nord. La vendetta est l’une d’elles et ses manifestations enrichissent la rubrique des faits divers et surprennent l’opinion.

Si le désir ou l'acte de se venger individuellement, pour un motif personnel, se retrouve dans toute société humaine, la vendetta a un caractère différent ; en effet, elle n’oppose jamais des individus isolés, mais des groupes plus ou moins importants. Ne parlait-on pas pour la société féodale de « petites guerres » pour décrire en fait des vendettas ? La forme courante de vendetta subsistant en Europe est celle qui oppose des lignages ; plus on remonte vers le passé, et plus on trouve des groupes importants qui s'opposent, des fratries, des tribus toutes entières. La guerre de l'Afghanistan, ou celle du Liban, peuvent être difficilement comprises si on n’ajoute pas aux autres explications la survivance dans ces deux régions de structures sociales de type archaïque, et la présence de la vendetta.

Artun Unsal est sociologue ; à sa formation scientifique il en ajoute une deuxième, celle de journaliste, qui l’a certainement aidé à pénétrer des milieux difficiles, renfermés sur eux-mêmes. Son savoir-faire lui permet de surprendre des aspects inédits et qui auraient pu échapper à un observateur non averti ; si les travaux sur la vendetta sont nombreux, la plupart se contentent de décrire son déroulement, ses règles, la manière dont elle commence ou elle finit, les arrangements qui fixent la paix entre des groupes adverses. Trop de ces travaux se limitent à donner une nouvelle interprétation de faits déjà connus. Artun Unsal fait un pas de plus ; il cherche à identifier l’ensemble social qui permet à la vendetta de se maintenir et de fonctionner. Il rassemble patiemment des faits, et discute cas après cas avec les personnes qui sont impliquées. Il remonte à leur région d’origine, la plupart des cas ayant comme lieu de déroulement des régions paysannes, plus traditionnelles que celles des villes. La vendetta qu’il nous décrit ressemble sous bien des aspects à celle qui se déroule en Europe et la comparaison avec des sociétés méditerranéennes me semble justifiée.

Aux informations inédites, aux interprétations approfondies, l’ouvrage signé par Artun Unsal ajoute un troisième élément qui ne doit pas nous échapper. La Turquie, située au carrefour de l’Occident et de l’Orient, malgré son voisinage avec l’Europe, est l’un des pays les moins connus ; on connaît surtout son histoire glorieuse et bien peu sa vie actuelle, surtout celle des régions les plus éloignées, les plus isolées. Le présent ouvrage répond ainsi à un réel besoin de connaissances et sur un thème qui reste d’actualité. En effet, bien qu’installés en Europe occidentale, les immigrants turcs apportent avec eux toute une mentalité, qui leur fait oublier qu’ils habitent dorénavant des pays qui ne connaissent plus la vendetta. L’Etat, le turc ou ceux des pays occidentaux, s’oppose à la vendetta, qui signifie se faire soi-même justice, la justice étant réservée à l’Etat. Provoquer une vendetta, dans de telles conditions, signifie non seulement s’opposer à un groupe adverse mais à l'Etat lui-même qui vous accueille. Parfois les populations de Turquie ou d’ailleurs essaient de continuer une vendetta tout en s’adaptant aux lois de l'Etat ; n’a-t-on pas constaté que dans les régions du sud de la Yougoslavie à la place du vengeur adulte (celui qui a une femme, des enfants, et qui donc d’une certaine manière a fini le cycle de la vie) ce sont actuellement les mineurs qui prennent la relève ? Ceci parce qu’on sait que le crime commis par l’adulte risque d’être puni par la prison à perpétuité, tandis que celle du mineur par seulement quelques années.

L’ouvrage du sociologue Artun Unsal, d’un intérêt d exception par les faits qu’il révèle, devient un outil pertinent pour la connaissance d’une immigration qui parfois surprend par son comportement les sociétés d’accueil, qu’ils’ agisse des villes de la Turquie elle-même ou des pays occidentaux. On peut accepter ou ne pas accepter dans leur totalité les causes sociales invoquées par l’auteur pour expliquer la vendetta turque, car dans les sciences sociales on se met rarement d’accord pour expliquer des faits sociaux complexes ; on ne peut pas contester ni l’intérêt de sa recherche, ni ignorer dorénavant les hypothèses qu’il avance.

Paul Henri Stahl
Directeur d'études
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales



I
De la violence rurale a la violence urbaine

« Vos livres, votre art, sentent tous le crime. Au lieu de faire quelque chose pour ces malheureux montagnards, vous assistez à la mort, vous cherchez des motifs exaltants, vous recherchez ici de la beauté pour alimenter votre art. Vous ne voyez pas que c’est une beauté qui tue. » (Ismail Kadaré, Avril Brisé).

« Un garçon tue le meurtrier de son père », « Affrontement sanglant entre deux clans », « Après vingt années de tueries réciproques, paix enfin conclue entre deux familles ennemies », « Une simple querelle de chiens a rallumé la haine qui dure depuis cinquante ans », « Travailleur immigré en Allemagne retourne au pays pour tuer l’assassin de son fils » : Hélas ! la vengeance du sang reste encore un fait divers presque banal pour de nombreux lecteurs de la presse turque. Même en 1990, soit 67 ans après la fondation de la République, des hommes, voire des femmes sont assassinés pour vendettà1. La justice privée, devoir héréditaire de la famille, premier stade du droit pénal selon les historiens, et thème de multiples œuvres romanesques, théâtrales ou cinématographiques dans plusieurs pays, notamment ceux du bassin méditerranéen, conserve toujours ses adeptes en Turquie où près de la moitié de la population continue à habiter dans les campagnes, fidèle à ses traditions locales, et où il faut parfois « laver le sang avec du sang ».

1. Vendetta : sortons du romanesque

Certes, on rencontre aussi, quoique rarement, des cas de la justice privée dans des pays occidentaux et 6 combien loin de la Méditerranée : telle cette …




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