AVANT-PROPOS
La formation du monde musulman est un phénomène capital qui a modifié la physionomie de l’univers et qui a introduit de façon durable une composante nouvelle. / Gaston Wiet
Au moment où dans les milieux les plus divers on parle d’un dialogue euro-arabe, comment peut-on rester ignorant des ressorts profonds de l’histoire d’une aussi vaste région de l’univers que celle que recouvre le dâr al-Islâm, le monde musulman ?
L’époque que nous traitons s’étend du VIIe au XIIIe siècle, c’est-à-dire de l’avénement de l’Islâm à l’échec de la’poussée mongole face aux Mamelouks du Caire. Cette époque comprend « la phase arabe » de l’histoire médiévale du monde musulman et est marquée par l’apparition des Turcs qui, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, inaugureront la « phase turque », appelée en arabe la dawlat al-Atrâk.
Nous avons cherché à montrer le déroulement des différentes étapes de l’évolution historique de l’Orient musulman au Moyen Age. A cet Orient, nous avons donné pour limites géographiques le Nil et l’Amû Darya d’ouest en est la chaîne du Taurus et celle du Hadramawt du nord au sud.
Notre ouvrage est découpé chronologiquement par dynasties majeures, ce qui parfois a pu entraîner des répétitions.
Nous avons attaché une certaine importance à l’introduction géographique, car il s’agit d’une région généralement peu familière à l’étudiant français. Cette présentation du cadre nous a paru aussi nécessaire, parce qu'il est à l’origine des conditions économiques et souvent sociales qui ont influencé l'évolution des événements politiques.
On connaît mal en général l’histoire du Moyen Age de l’Orient musulman : quelques idées sur l’apparition de l’Islâm et une vague silhouette de Muhammad, parfois l’on a entendu parler des Omeyyades en tant qu’adversaires des Byzantins, le nom du califat ‘abbâsside évoque la figure légendaire de Hârûn ar-Rashîd, héros des Mille et Une Nuits et contemporain de Charlemagne.
Les Xe et XIe siècles ne tiennent guère de place dans les programmes officiels, bien que ce soient deux siècles importants pour l’histoire du monde musulman. Le Xe siècle, parce qu’il fut le siècle non seulement de la dislocation de l’empire ‘abbâsside et de la création d’États indépendants comme l’Égypte, mais encore de l’éclipse de l’orthodoxie et de l’apogée du shî’îsme. L’importance du XIe siècle vient de ce qu’il porte la marque de l’emprise turque sur l’Asie Antérieure avec l’installation des sultans seldjouqides à Baghdâd et aussi de ce qu’en Terre d’Islâm la politique prend alors un aspect idéologique.
L’Orient musulman aux XIIe et XIIIe siècles est connu à travers les Croisades, trop longtemps présentées du point de vue occidental, et une image romantique de Saladin ; mais on mentionne rarement l’avénement du régime des Mamelouks et le succès de ceux-ci face à la vague des envahisseurs mongols, stoppés en Palestine et refoulés au-delà de l’Euphrate en 1260.
Au cours de la présentation des faits essentiels, nous avons essayé d’exposer les problèmes religieux, les structures institutionnelles et les questions économiques ; ainsi trouvera-t-on au début de l’ouvrage un exposé du climat spirituel et religieux dans lequel est apparu l’Islam et un développement sur le Coran qui éclairera le contexte islamique, essentiel pour comprendre les hommes et les institutions de l’Orient arabe. Nous avons fait suivre le chapitre consacré aux califes abbassides d’un exposé des institutions gouvernementales à l’apogée du califat de Baghdâd et évoqué l’activité économique de cette région du monde. Si nous n’avons parlé ni des différents aspects de la civilisation islamique ni de ses traditions artistiques, c’est que d’autres que nous ont déjà magistralement traité ces sujets dans des collections similaires.
La documentation dont dispose l’historien est différente d’un continent à l’autre, ce qui ne signifie nullement qu'elle soit surabondante lorsque l’on a à traiter d’un carrefour de continents comme l’Orient musulman. Il n’y a pratiquement pas en Orient musulman d’équivalent des importants dépôts d’archives sur la base desquels on s’appuye pour construire l’histoire de l’Occident médiéval. Plus encore que son collègue spécialiste de Moyen Age occidental, l’historien du monde musulman médiéval souffre de l’inégalité de la documentation, de l’insuffisance de sources accessibles, trop de manuscrits arabes anciens restant inédits et le nombre même de traductions des grands textes de l’historiographie arabe étant encore bien modeste.
Les recherches historiques sur l’Orient musulman sont, il est vrai, relativement récentes, surtout si on les compare à celles qui depuis plusieurs siècles sont consacrées à l’Antiquité classique. La nouveauté de ces recherches, encore trop souvent cantonnées dans le domaine des spécialistes, constitue un handicap, mais à mesure que les chercheurs occidentaux et leurs confrères orientaux auront fait faire de nouveaux progrès à la recherche historique sur l’Orient médiéval, qu’ils auront multiplié et publié leurs travaux dans les divers secteurs des sciences de l’Histoire, les lacunes se combleront. Il conviendra alors de remanier périodiquement les ouvrages de synthèse pour donner une image chaque fois plus précise d’un monde qui nous paraît différent du nôtre et bien plus complexe que lui.
La transcription des mots arabes adoptée ici est celle de la nouvelle édition de l’Encyclopédie de l'Islâm, sauf pour le « k » dur transcrit par « q ».
Introduction géographique
Les frontières du monde musulman ont sans cesse changé au cours des siècles ; limitées d’abord au Hidjâz et à la péninsule Arabique, l’expansion de l’Islâm les a portées jusqu’à l’Atlantique à l’Ouest, à la vallée de l’Indus et à la mer d’Aral à l’Est, à la mer Noire au Nord et à l’océan Indien au Sud. L’histoire de l’Islam médiéval s’est déroulée à l’intérieur de ce vaste périmètre qui comprend d’Ouest en Est le Maghrib, l’Afrique transsaharienne et la péninsule Ibérique, l’Arabie, la Syrie et la Djéziré, l'Anatolie, l'Iraq, le plateau iranien et les oasis de Transoxiane. Les centres de gravité de l'empire se trouvent alors dans la région que l’on désigne de nos jours par les termes du Moyen-Orient et dont les pôles sont Damas, Baghdâd et Le Caire. Les axes sur lesquels se fixent les concentrations majeures de population sont le Nil ainsi que l’Euphrate et le Tigre, les deux fleuves de Mésopotamie. Un axe secondaire Est-Ouest part des axes principaux le long de la Méditerranée jusqu’au complexe ibéro-maghrébin.
Les limites du bloc islamique coïncident avec celles de la zone sèche septentrionale du vieux monde. Des deux côtés de l’Équateur, il existe deux zones tropicales dont le climat parfois chaud et humide est propre aux forêts vierges, parfois sec est alors générateur de savanes. Les terres tropicales sont limitées dans chacun des hémisphères par des zones sèches. Dans le vieux monde, cette zone s’étend au Nord du continent africain et descend … |