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Manière de Voir: 1920-2020, le combat kurde, n° 169


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Éditeur : Le Monde diplomatique Date & Lieu : 2020, Paris
Préface : Pages : 100
Traduction : ISBN : 1241-6290
Langue : FrançaisFormat : 230x290 mm
Code FIKP : Liv. Fr. Bel. Man. (169) N°Thème : Général

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Manière de Voir: 1920-2020, le combat kurde, n° 169


Manière de Voir: 1920-2020, le combat kurde, n° 169

Akram Belkaïd

Le Monde diplomatique

Au début du XIXe siècle, les monarques kurdes qui régnaient sur les principautés semi-autonomes aux confins de l’Empire ottoman et de l’Iran Qadjar n’ont pas compris que l’avenir de leur peuple passait par la création d’un État-nation. Il a fallu attendre la fin de la première guerre mondiale pour que cette revendication se concrétise, grâce notamment à des cercles d’intellectuels et de notables. C’est ce retard que paie, aujourd’hui encore, le « plus grand peuple du monde sans État», éparpillé entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie.
Les raisons du malheur kurde, car c’est bien ainsi qu’il faut nommer cette longue succession d’indépendances refusées, de revers militaires, de révoltes matées, de trahisons et de massacres de populations civiles, ne se limitent pas à une absence de vision de la part de princes incapables de penser au-delà du fait tribal et de résister à l’hégémonie centralisatrice de l’Empire ottoman. L’histoire, elle aussi, n’a pas fait de cadeaux aux Kurdes. Au Proche-Orient et dans la péninsule arabique, de nombreux peuples ont bénéficié d’heureux coups du sort, souvent liés aux appétits coloniaux des grandes puissances occidentales. Il en fut ainsi...



L’ALLIÉ QUE L’ON SACRIFIE

Par Akram Belkaïd

Au début du XIXe siècle, les monarques kurdes qui régnaient sur les principautés semi-autonomes aux confins de l’Empire ottoman et de l’Iran Qadjar n’ont pas compris que l’avenir de leur peuple passait par la création d’un État-nation. Il a fallu attendre la fin de la première guerre mondiale pour que cette revendication se concrétise, grâce notamment à des cercles d’intellectuels et de notables. C’est ce retard que paie, aujourd’hui encore, le « plus grand peuple du monde sans État», éparpillé entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie.

Les raisons du malheur kurde, car c’est bien ainsi qu’il faut nommer cette longue succession d’indépendances refusées, de revers militaires, de révoltes matées, de trahisons et de massacres de populations civiles, ne se limitent pas à une absence de vision de la part de princes incapables de penser au-delà du fait tribal et de résister à l’hégémonie centralisatrice de l’Empire ottoman. L’histoire, elle aussi, n’a pas fait de cadeaux aux Kurdes. Au Proche-Orient et dans la péninsule arabique, de nombreux peuples ont bénéficié d’heureux coups du sort, souvent liés aux appétits coloniaux des grandes puissances occidentales. Il en fut ainsi de la naissance de l’Irak, du Qatar et des Émirats arabes unis, le sous-sol gorgé de pétrole de ces États créés de toutes pièces aiguisant les appétits du Royaume-Uni. Ce n’est qu’au début des années 1990 que les Kurdes ont pu tirer profit d’un événement dépassant leur seul destin. L’invasion du Koweït par l’armée de Saddam Hussein puis sa déroute ouvrirent la voie à une autonomie de facto du Kurdistan irakien. Laquelle fut entérinée en 2005, soit deux ans après l’invasion de l’Irak par une coalition militaire menée par les États-Unis. Mais cet acquis, à la pérennité encore incertaine, n’a pas amélioré le sort des Kurdes dans les autres pays de la région. Selon les circonstances, ce peuple a été réprimé, trahi, abandonné ; mais il a aussi été parfois beaucoup aidé et soutenu – bien plus que les Palestiniens, eux aussi sans État. Et on ne peut qu’être interpellé par la propension de nombre de dirigeants kurdes à nouer des alliances hasardeuses, le plus souvent suivies par des trahisons et des déconvenues. Au début des années 1970, les Kurdes d’Irak, qui dix ans plus tôt avaient pris les armes contre Bagdad, perdirent ainsi le soutien d’une bonne partie de la gauche arabe après avoir envisagé de se battre aux côtés de l’armée israélienne durant la guerre d’Octobre (1973). En 1975, les peshmergas, acculés par Bagdad, attendirent en vain l’aide militaire promise par Washington, qui jusque-là avait trouvé en eux un allié efficace pour contrecarrer l’influence soviétique dans la région. La donne venait de changer : le chah d’Iran et Saddam Hussein signaient un accord de paix, Téhéran abandonnait les Kurdes irakiens à leur sort et Washington lorgnait les grands projets de développement lancés par le dirigeant irakien. Les Kurdes avaient perdu leur utilité.

L’histoire fut-elle retenue? On en doute. En 1991, ces mêmes Kurdes d’Irak furent appelés par le président George W. Bush père à se soulever contre le régime de Saddam Hussein. Ce qu’ils firent au prix de milliers de morts et sans jamais recevoir l’aide promise par l’Amérique. Autre «trahison» : en octobre 2019, la décision de l’administration de M. Donald Trump de mettre fin à la présence militaire américaine dans le nord-est de la Syrie ouvrait la voie à une invasion turque dont les premières victimes furent les forces kurdes qui, jusque-là, avaient combattu aux côtés des Occidentaux contre l’Organisation de l’État islamique (OEI). Est-il exagéré de parler de fatalité, les Kurdes ayant du mal à échapper à leur destin d’auxiliaires guerriers consommables et sacrifiables à souhait? En 2019, toujours, ce sont les forces du régime syrien qui se sont portées au secours des Kurdes menacés par l’offensive turque. Depuis le début de la guerre civile, Damas et le Parti de l’union démocratique (PYD), principale formation kurde de Syrie et, surtout, prolongement du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), actif en Turquie, respectent un pacte de non-agression. Jusqu’à quand? Qui peut affirmer que, dans quelques mois ou années, le régime syrien n’usera pas de violences contre les Kurdes, comme il le fit en mars 2004 après l’«intifada» de Kamechliyé? Et qui peut oublier que le PKK fut longtemps soutenu et abrité par la Syrie, jusqu’à ce qu’un accord entre Damas et Ankara (1999) change la donne?
On objectera que les Kurdes n’ont guère eu le choix de leurs alliances, souvent dictées par le seul impératif de la survie à court terme. Et, comme l’histoire des peuples n’est jamais écrite à l’avance, on relèvera surtout que les rapports de forces changent peu à peu au sein des mondes kurdes. L’unanimisme imposé par la nécessité de la lutte immédiate est de moins en moins accepté par les jeunes générations. Si elles continuent de s’inscrire dans un combat pour la reconnaissance de leur identité et de leurs droits culturels, elles se détachent des surenchères nationalistes et sont plus attentives au respect des règles démocratiques ainsi qu’à la cohérence des décisions stratégiques. Grâce à l’existence d’une réelle solidarité dans le monde – traduction plus ou moins évidente d’une mauvaise conscience devant tant de blessures impunies –, la nation kurde unifiée demeure bel et bien un horizon à atteindre. En ce début de XXIe siècle, à l’heure où de grands bouleversements menacent le Proche-Orient et où les États existants s’affaissent, l’idée d’un Kurdistan indépendant, ou membre d’une structure fédérale plus large, n’est donc pas tout à fait morte.

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