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Noms et re-noms


Auteurs : | | | | | | | | | | | | | | |
Éditeur : Université de Rouen Date & Lieu : 1999, Rouen
Préface : Pages : 288
Traduction : ISBN : 2-87775-272-0
Langue : FrançaisFormat : 160x240mm
Code FIKP : Liv. Fre. Aki. Nom. N° 4444Thème : Linguistique

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
Noms et re-noms

Noms et re-noms

Salih Akin

Université de Rouen

Si les opérations de dénomination et de redénomination des personnes, des populations, des lieux et des langues sont des processus permanents, l'on assiste actuellement à une recrudescence de ces processus sur plusieurs continents. Conséquences linguistiques d'un certain nombre de restructurations géopolitiques, de transformations sociales, de repositionnements, affirmations et/ou replis identitaires, ces processus donnent lieu à des changements substantiels dans le domaine des anthroponymies, des ethnonymes, des toponymes et des glottonymes. C'est à l'examen des mécanismes linguistiques inhérents à ces processus, de leurs motivations et des enjeux sociolinguistiques liés aux fonctionnements et aux dysfonctionnements de nouvelles dénominations qu'est consacrée cette livraison de la Collection DYALANG.
Les chercheurs regroupés dans ces pages proposent une approche transdisciplinaire de la dénomination et inaugurent de nouvelles perspectives théoriques et méthodologiques permettant d'examiner cette opération linguistique dans sa dimension sociolangagière.



PRÉSENTATION

Changements du nom d'Etats existants, création de nouveaux noms pour de nouveaux lieux et espaces en émergence, contestations de noms engendrant conflits politiques et diplomatiques, éclatement de toponymes entraînant celui d'ethnonymes, mise en circulation et (dys)fonctionnements de nouveaux ethnonymes, toponymes et de nouveaux noms de langues... Aujourd’hui plus que par le passé, on constate d’importants bouleversements dans la dénomination de ces différents secteurs du réel.

Les opérations de dénomination et de redénomination des personnes, des populations, des lieux et des langues sont, certes, des processus permanents, qui apparaissent à la fois comme reflets et producteurs des pratiques sociales. L’accélération de ces opérations, ces dernières années, sur plusieurs continents semble s’expliquer par la coïncidence d’un certain nombre de facteurs d’ordre socioculturel, historique et politique. L’éclatement des Etats-nations et des fédérations a provoqué des restructurations géopolitiques et des repositionnements identitaires, dans lesquels les noms interviennent en tant que puissants moyens d’identification et de reconnaissance sociales. Les médias focalisent de plus en plus sur le choix, le changement et la signification des noms, assurant une publicité de ces phénomènes langagiers et contribuant à une prise de conscience, par les usagers, de l’importance de ces phénomènes. Ils sont relayés en cela par les nouvelles technologies de communication et d’information. Si ceux-ci permettent la diffusion de l’information, ils véhiculent aussi des dénominations anthroponymiques, ethnonymiques, toponymiques et glotto-nymiques. Conséquence de cette « mondialisation » des noms et des enjeux sociolinguistiques liés à leur utilisation, les problèmes de noms débordent maintenant les frontières étatiques, établissant dialogismes et affrontements dénominatifs. A tel point que des arbitrages internationaux sont nécessaires, dans certains cas, pour départager des parties en conflit au sujet de l’appartenance de certaines dénominations.

Les pratiques de dénomination et de redénomination, qui connaissent d’importants déplacements au fd des activités humaines, sont un objet de recherche privilégié pour les sciences du langage. Comment analyser ces phénomènes langagiers, avec quels outils conceptuels, quelles démarches méthodologiques ? Hormis de rares exceptions, l’approche linguistique de la dénomination se limite à décrire une relation fondamentale qui établit un lien référentiel stable entre les signes et les objets, sans tenir compte des facteurs sociaux qui régissent cette opération. Nous pensons pour notre part qu’il faut adopter une approche sociolangagière, permettant de rendre compte à la fois de tout ce qui, au niveau linguistique, relève de la mise en relation des noms et des objets, et en même temps, des facteurs socioculturels et langagiers qui déterminent la création et le changement des noms.

C’est dans ce souci d’inaugurer de nouvelles perspectives théoriques et méthodologiques en ce qui concerne la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires que ce volume de la Collection DYALANG publie les travaux des chercheurs qui appartiennent à plusieurs champs disciplinaires, mais qui ont en commun de travailler, avec leurs spécificités disciplinaires, sur les divers aspects de la dénomination de ces secteurs du réel.

A partir d’une réflexion théorique sur le nom et sur sa relation aux objets, P. Siblot propose une conception praxématique de la nomination, qu’il substitue à la dénomination pour rendre compte du dynamisme et du dialogisme inhérents à cet acte linguistique. L’examen d’un certain nombre d’exemples récents de nomination et de renomination permet de montrer que les objets ne sont pas seulement polynomiques, mais que, même lorsque les locuteurs usent du même mot pour désigner un objet, ils sont en désaccord sur le sens qu’ils lui donnent. Loin d’être une anomalie, la variation des dénominations et de leur sens, envisagée dans leurs actualisations discursives et dans leur contexte de réalisation, apparaît dès lors comme la norme linguistique.

Cette norme linguistique est à l'œuvre aussi bien dans les noms des personnes, des populations et des langues que dans ceux des territoires. S. Akin présente une typologie des changements de noms, regroupés dans trois processus redénominatifs. Le premier, néologique, se traduit par la mise en circulation de nouvelles dénominations, comme Euroland(e), Ouïghouristan, Nunavik destinés à désigner des espaces en émergence. Le deuxième processus se caractérise par la remise en circulation et la revalorisation d'anciennes dénominations, comme République Démocratique du Congo remplaçant Zaïre. Le dernier se manifeste par la remise en circulation d'anciennes dénominations assorties de procédés d'adaptation aux nouvelles donnes et normes linguistiques, politiques et sociales, comme le montrent Bélarus substitué à Biélorussie ou Kanak à. Canaque.

Placée dans une perspective politique et juridique, la contribution de H. Guillorel a pour objectif de montrer l’importance des pratiques toponymiques non seulement en tant que pratiques constitutives de tout groupe social territorialisé, mais aussi, parce que ces pratiques ont toujours constitué des enjeux de pouvoir. Le contrôle politique d’un territoire commence, en effet, par son marquage linguistique. Nommer l’espace, c’est se l’approprier, en faire du territoire.

Dans un cadre théorique proche de la praxématique, mais qui tente d'allier les appareils idéologiques d'Etat (Althusser), les formations discursives (Foucault) et la médiologie (Debray), l'article de L. Rosier et de Ph. Ernotte propose des pistes d'approche pour une étude systémique et dynamique de l'assignation identitaire. Centré sur la dénomination des groupes humains à Bruxelles, tels qu’ils sont catégorisés et représentés par les appareils d’Etat, l’article examine les paradigmes identitaires articulés autour d'oppositions asymétriques (wallon / flamand, bruxellois / flamand, francophone / flamand) et montre comment ils sont sans cesse réactualisés dans leur programme de sens en fonction de l’actualité sociopolitique.

Toutefois, les usagers opposent leurs propres stratégies de résistance linguistique et de verbalisation identitaire à l’omnipotente et institutionnelle assignation identitaire produite par les différents appareils d’Etat. C’est ce que montre P. Wijnands, dans son étude du rôle du signifiant dans les appellatifs de peuples, de langues et de territoires chez les francophones d’Amérique du Nord. A partir d’un corpus d’exemples tirés de la francophonie nord-américaine, considérée à juste titre comme un véritable laboratoire de création du lexique identitaire, l’auteur dresse l’inventaire des modalités du signifiant sémantisé dans les différents secteurs examinés et montre que le discours identitaire a un fonctionnement basé sur un réseau de signifiants. La conclusion de l’auteur est que la verbalisation identitaire n’est pas de façon absolue tributaire des contextes sociaux, mais qu’elle est aussi fonction des potentialités lexicales qu’offrent les langues de transformer les signifiants en laboratoires de polysémie, où les besoins de significations reprogrammées trouvent des réponses adéquates.

L’Amérique du Nord est l’objet d’une autre investigation, portant sur la dénomination toponymique en pays micmaq. Dans leur recherche menée dans une réserve micmac située dans la péninsule gaspésienne au Québec, D. E. Cyr et E. Nagùgwes Metallic examinent les enjeux liés aux pratiques orales et écrites de dénomination toponymique. Ils montrent comment les Micmac, de tradition orale, ont vu leurs toponymes se déformer au cours des transcriptions faites dans les langues des envahisseurs européens. Ce qui revient à déposséder ce peuple autochtone de l’Amérique du Nord de ses territoires ancestraux, car les toponymes micmacs falsifiés dans leur transcription et leur signification enterrent toute l’histoire et l’empreinte territoriale des Micmac.

C’est sans doute conscients de ces enjeux sociolinguistiques véhiculés par les toponymes que les Baynunk, peuple autochtone de Casamance au Sénégal, utilisent aujourd’hui la toponymie pour témoigner de leur antériorité sur les territoires où ils sont jugés en voie de disparition. A partir d’une étude sur la formation des toponymes en langue baynunk, Ch. de Lespinay observe que de nombreux toponymes au Sénégal, en Gambie, en Guinée-Bissau et en Guinée-Conakry, ainsi que plusieurs ethnonymes et anthroponymes lignagers actuels, ne s'expliquent que par la langue et l’histoire ancienne des Baynunk. Bien que titulaires d’un droit foncier accueillant pour les étrangers, les Baynunk semblent aujourd’hui changer de stratégie, faisant usage de leurs toponymes comme d'une arme de reconquête et de réappropriation foncières des territoires dans lesquels leur existence même est menacée.

R. Kahlouche aborde la redénomination des lieux au Maghreb et particulièrement en Algérie durant la colonisation française. A l’instar des tentatives de désislamisation et de désarabisation, cette pratique apparaît comme une entreprise d’effacement et de redéfinition de l’identité nationale. Toutefois, la décolonisation n’a pas beaucoup d’effet sur le maintien des toponymes berbères. L’auteur montre comment le pouvoir algérien va, en réaction à l’instrumentalisation du fait berbère par l’occupant, ignorer la dimension berbère de l’identité maghrébine dans son œuvre de réappropriation de l’environnement par de nouvelles dénominations.

Dans son étude des changements toponymiques et anthro-ponymiques opérés en Iran après la «révolution» de 1979, Sh. Ziaiari décrit les opérations de purge linguistique entreprises par les nouvelles autorités iraniennes : celles-ci se sont notamment traduites par le remplacement de tous les noms reflétant la culture et l’histoire persanes par des noms d’origine arabe, dans une stratégie d’islamisation de la société iranienne.

Les processus de redénomination sont également intenses en France. Ch. Guerrin propose une étude socio-toponymique pour comprendre les processus redénominatifs dans les noms de communes françaises depuis 1943. Dans l’étude qui porte sur 40 000 toponymes, trois stratégies de changement sont relevées : l’ajout, le remplacement et la suppression. La polynomie d'un certain nombre de communes conduit l’auteur à s’interroger sur une toponymie « privée », qui s’opposerait à une toponymie officielle standardisée.

Les changements de noms concernent aussi les rues, qui sont de loin les lieux les plus vulnérables à des modifications dénominatives compte tenu des aléas sociopolitiques. C’est ce que montre L. Vignes, en mettant l’accent sur l’usage contemporain fait des noms de rues. L’auteur observe que, depuis que la gestion des noms de rues relève de l’autorité municipale, ceux-ci ne reflètent plus les activités, les usages et les pratiques des gens. Ils sont actuellement destinés à la « glorification » par l’usage, d’une part, des noms de héros de la Résistance, de la Libération, de personnalités intellectuelles, etc., censés représenter des valeurs partagées, consensuelles et, d’autre part, des noms de personnalités appartenant à des groupes restreints qui promeuvent leurs propres valeurs, comme dans le cas de la municipalité de Vitrolles gérée par un parti d’extrême droite.

C'est la dimension de la réception de la mise en place de nouvelles dénominations qui est étudiée par J.-F. Courouau et P. Gardy. A travers l’analyse des principaux enseignements d’une enquête par questionnaire, effectuée à l’issue de la mise en place d'une signalisation bilingue dans un village languedocien en 1996-1997, les auteurs tentent de cerner les réactions et les opinions de la population concernée. L'analyse permet d’évaluer les tolérances, les attentes ou les résistances des habitants du village en fonction de leur origine, de leurs appartenances sociales et culturelles, de leur connaissance préalable de l’occitan et des systèmes de représentation attachés à cette langue.

Dans la même optique, K. Berthelot-Guiet examine la réception des néologismes apportés par la publicité à la langue quotidienne. A partir des enseignements d’une enquête menée auprès de 111 locuteurs de Paris et de sa région représentatifs de la population de plus de 15 ans, l’auteur tente de construire un modèle descriptif synchronique dynamique qui puisse rendre compte de l’entrée dans la langue quotidienne des locuteurs interrogés des éléments issus de la publicité.

Ce volume de la Collection DYALANG n'est pas complet, car il ne contient pas l’article de notre collègue Daniel Baggioni, décédé tragiquement en 1998. Professeur à l’Université de Provence, auteur de nombreux ouvrages et articles sur les politiques linguistiques, la francophonie et la créolistique, il travaillait par ailleurs sur les enjeux liés à la dénomination des langues. Il fut le premier à répondre à notre appel à contribution, en nous envoyant un projet d’article intitulé « Langues et peuples : les liaisons dangereuses », dont nous publions ci-après le résumé :
« Le nom des langues est sujet à controverse. Il n'est que d'évoquer les querelles interminables sur le nom de telle "variété” régionale parlée en France.

A l'échelle internationale, on peut multiplier les exemples où une langue bien identifiée socialement (comme langue officielle d'Etat, comme langue ayant une certaine reconnaissance officielle ou comme langue ayant des fonctions sociales bien établies) apparaît sous un autre nom ailleurs ou dans d'autre circonstance sans qu'on ait véritablement affaire à une autre variété. Les linguistes seraient bien en peine de trouver des critères décisifs justifiant une distinction véritable entre le kyniaranda, langue nationale du Ruanda et le kyniarundi, langue officielle du pays voisin, le Burundi. Les susceptibilités nationales seules peuvent expliquer ce distinguo. Les Flamands de Belgique, contrairement au passé, acceptent maintenant d'être considérés comme néerlandophones et non comme flamingants (locuteurs de flamand), se reconnaissant ainsi comme locuteurs de la même langue standard que les "Néerlandais". Mais en Afrique du Sud, en revanche, la seconde langue du pays reste l'afrikans, variété proche du néerlandais, mais que les Afrikaners (locuteurs de l'afrikans) tiennent à différencier de la "langue mère" même si certains accords intergouvemementaux permettent une politique linguistique commune (en matière de réforme orthographique notamment) tendant à préserver des liens entre les néerlandophones des deux hémisphères.

Ce qu'il y a de sûr, c'est que la langue est perçue spontanément comme emblème des nations correspondantes et que la question du nom des langues est par conséquent une affaire éminemment politique. C'est sans doute pourquoi tant de débats passionnés ont lieu autour des questions de dénomination des langues et variétés linguistiques. Nous avons vu qu'il n'était pas indifférent d'appeler ces variétés langue ou dialecte. Nous verrons que certaines dénominations de langues provoquent aussi des conflits et que ces conflits, apparemment linguistiques, sont en fait des conflits politiques et/ou ethniques. »

S. Akin



Appeler les choses par leur nom problématiques du nom,
de la nomination et des renominations

Paul Siblot

O vanité ! Rhabillage de tout avec de grands mots ! Une cuisine est un laboratoire, un danseur est un professeur, un saltimbanque est un gymnaste, un boxeur est un pugiliste, un apothicaire est un chimiste, un perruquier est un artiste, un gâcheux est un architecte, un jockey est un sportman, un cloporte est un ptérygibranche. / V. Hugo, Les Misérables, 1862

Le langage est le baromètre des sociétés. Quand il n'y a plus de travail, on crée des petits boulots ; quand on veut licencier, on préfère parler de flexibilité ou de dégraissage nécessaires ; quand les banlieues pourrissent dans l'oubli, on les nomme cités sensibles. / S. Cascino, Nouvel Observateur, 1998

0. Avant de s'interroger sur les raisons et sur les modalités des «changements de noms des populations, des lieux et des langues»* ¹, il est nécessaire de questionner l'interrogation elle-même. Il convient en effet d'examiner et de caractériser «la forme de position du problème», car la façon de poser un problème ne va pas de soi. Elle dépend du regard que l'analyste porte sur les faits ; en particulier du regard initial à travers lequel les phénomènes prennent une forme et qui, d'entrée, détermine l'analyse ultérieure. Pour cette raison, Bachelard considérait qu'en dépit des protocoles de l'expérimentation scientifique, «les faits sont faits». En sciences humaines plus encore que dans les autres, il n'existe ni données pures, ni données parfaitement objectives. Seul l'examen du cadre …

* Praxiling, UMR CNRS 5475 Montpellier III, Paul.Siblot@univ-montp3.fr

¹ Formulations reprises de l'appel à contribution initial de S. Akin.




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