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Les Nations du Prophète


Auteur :
Éditeur : Fayard Date & Lieu : 1993, Paris
Préface : Pages : 896
Traduction : ISBN : 2-213-02401-4
Langue : FrançaisFormat : 160x240 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Pla. Nat. N° 3533Thème : Religion

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Les Nations du Prophète

Les Nations du Prophète

Xavier de Planhol

Fayard

Notre âge est celui des nations : en moins d’un demi-siècle, le fait national, issu de l’Europe occidentale, a achevé de conquérir la Terre. Mais en Occident l’idée nationale a précédé les réalités : la France, l’Angleterre ont été des nations, ont vécu dans l’âme de leur peuple bien avant de fonctionner comme des organismes solidaires, et ceux-ci se sont peu à peu soudés.
Sur les autres rives de la Méditerranée et dans le Moyen-Orient, l’émergence des entités nationales se heurte à la concurrence d’une idéologie universaliste toujours active, la foi musulmane, voire à l’obstacle supplémentaire de l’arabisme, plus ou moins confondu avec elle. Leur construction ne peut se fonder que sur des réalités concrètes et sous la pression de leurs exigences. Mais celles-ci s’expriment dans le cadre d’une fragmentation territoriale, héritée de la dislocation de l’Empire Ottoman et de la décolonisation, qui révèle de multiples affrontements qui sont les produits des ségrégations géographiques, sectaires ou ethniques, inhérentes à la structure et à la répartition des pouvoirs dans l’aire socioculturelle de l’Islam.
De l’idéal ou du Réel, lequel l’emportera ? Le “creuset” d’où peut jaillir la nation exige ici, pour son fonctionnement, un équilibre harmonieux des genres de vie, une certaine densité des liaisons ; il suppose des réseaux organisés de hiérarchisation et d’intégration couvrant l’espace sans coupures brutales.
L’analyse géographique est indispensable pour apprécier la solidité et l’extension de ces forces unitaires ou, inversement, la profondeur des lignes de fracture. C’est la démarche proposée par ce livre.

Xavier de Planhol, professeur à l’université de Paris-Sorbonne (chaire de géographie de l’Afrique Blanche et du Moyen-Orient), est membre de l’Academia Europaea et de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.



AVANT-PROPOS

Plus que jamais, notre Âge est celui des nations. Longtemps jeux de princes, la politique, la paix, la guerre, sont aujourd’hui l’affaire des peuples : de peuples conscients de leur identité, solidaires dans les espoirs et dans les combats, inscrits dans l’espace et dans la mémoire ; c’est-à-dire de nations. Même si celles-ci peuvent apparaître aujourd’hui « en question »1 et ne sont plus la référence unique ; même si les États, plus quelles, sont devenus souvent les facteurs principaux de cohésion ; même si le modèle national s’impose difficilement dans bien des constructions politiques nouvelles issues de la décolonisation2 ; il n’en reste pas moins qu’il est partout proposé comme un idéal et comme un ferment. En moins d’un demi-siècle, le fait national a achevé de conquérir la Terre. Et la petite Europe, d’où il est issu, est encore bien loin d’avoir su dépasser les divisions qui en procèdent ; tandis que les institutions supra-nationales, timidement esquissées au sortir des horreurs et des carnages, restent des rêves imprécis.

À cette fulgurante expansion, un obstacle : la foi ; la foi au Dieu unique, source d’universel et de transcendance ; la « soumission » (Islam) à Celui qui ne saurait être ici plutôt qu’ailleurs, chez les uns plutôt que chez les autres, Celui qui « est le centre où tout se réunira » (Coran, III, 103). Dominer les nations ; construire au-dessus d’elles un édifice dont la cohésion exprimerait l’aspiration confuse des hommes à l’unité et à la fraternité : ce dont la Chrétienté européenne, rongée par les discordes, divisée par les Réformes, a depuis longtemps cessé d’être capable, l’Islam le peut-il encore ? Tel est le sujet de ce livre.

Problème immense, et qui ne peut être abordé, croyons-nous, que par ses bases : par l’analyse des fondements positifs de ces nations naissantes et déjà inquiètes ; menacées dans leur existence même par le principe fondamental d’unité qui sous-tend toute leur civilisation. L’intensité du conflit entre l’idéal et le Réel ne peut être appréhendée que par la mesure, préalable et exacte, du Réel. Après un livre, vieux maintenant de quelque vingt ans3, qui avait tenté d’évaluer la part du cadre géographique et des milieux humains dans le déroulement d’une histoire tumultueuse, le présent ouvrage voudrait dégager la charpente constitutive des assemblages territoriaux qui, au-delà de la Méditerranée et de la mer Egée, se cherchent aujourd’hui une âme ; permettant ainsi d’apprécier leur solidité et demettre des hypothèses raisonnables sur leur devenir. « Manuel de Politique », il voudrait s’adresser, par-delà les professionnels de l’action extérieure, des relations économiques ou culturelles, à tous ceux que le destin d’un monde aussi proche de nous, que notre destin donc, ne saurait laisser indifférents. On espère y fournir quelques clefs pour la compréhension d’un domaine particulièrement complexe.

Cette étude a été volontairement limitée à l’aire moyen-orientale et nord-africaine, qui a constitué le cœur historique de l’Islam, et où les implications de la religion sur l’occupation de l’espace et le jeu des forces politiques se sont développées avec le plus de clarté. Au Sud du grand désert saharien, ou dans les apophyses lointaines de l’Asie du Sud-Est, on entre dans des aires culturelles et des milieux physiques bien différents, où l’Islam, éloigné de ses origines géographiques, se heurtait à des déterminismes naturels et à des conceptions de l’utilisation du sol qui n’avaient plus guère de commun avec ceux qui régnaient dans son domaine initial ; et ceci dans le cadre de rythmes historiques qui avaient été tout autres. Les pays musulmans de l’Afrique subsaharienne, ou de l’aire de l’Océan Indien, s’intégrent à des aires géopolitiques qui ont leurs structures propres, et où l’appartenance à l’Islam n’est pas toujours, loin de là, l’élément prépondérant dans le développement des entités nationales.
La translittération des langues orientales pose toujours des problèmes extrêmement difficiles, qui ne peuvent être résolus de façon satisfaisante qu’en prenant en compte la nature des ouvrages considérés. Le caractère de celui-ci, destiné plus au grand public éclairé qu’à des islamisants spécialisés, a conduit l’auteur à adopter dans le texte, pour l’arabe et le persan, des systèmes très simplifiés, ayant avant tout pour objectif de donner une image aussi approchée que possible de la prononciation française réelle. Ce parti a abouti à des solutions qui paraîtront déconcertantes aux lecteurs orientalistes, telle que la transcription de la voyelle brève notée par le kasre sous des formes différentes en arabe (i) et en persan (e), conformément à la phonétique respective de ces langues ; ou la transcription de certaines consonnes suivant la prononciation de l’arabe dialectal égyptien. Ils n’auront aucune peine à rétablir les graphies originelles. Les voyelles longues ont été rendues par l’accent circonflexe, qui a été négligé sur l’i persan (toujours long) en l’absence de toute ambiguïté, et dans certains mots entrés de longue date dans l’usage français (Iran, Ispahan, Téhéran, etc.), le choix de ces derniers étant évidemment quelque peu subjectif. Les formes françaises usuelles ont toujours été largement employées lorsqu’elles existaient. De même un certain nombre de noms de peuples particulièrement usités ont été francisés et mis au pluriel en r, sans que la coupure avec ceux qu’on a laissés invariables puisse être considérée, ici encore, autre que nécessairement arbitraire. Les transcriptions originales des auteurs ont naturellement été reproduites dans les citations, les notes et l’index bibliographique. L’index général rapprochera les diverses formes utilisées. On a par ailleurs respecté évidemment l’orthographe latine du turc, quitte à donner parfois entre parenthèses et en italique un équivalent approché de la prononciation française. Les cartes ont été dessinées au Département de Géographie de l’université de Paris-Sorbonne par Véronique Lahaye-Boquet. Je remercie Daniel Balland d’avoir bien voulu relire les épreuves. L’index a été établi avec la collaboration de Sylvie Chambadal.

Introduction Générale

La Nation

Le concept

Il y a, tout d’abord, un mystère. La définition de cette « forme globale d’existence et d’organisation de la société qu’on appelle la nation1 » n’a pas cessé, depuis plus d’un siècle, d’être approfondie et enrichie par les historiens, les juristes, les sociologues2, qui cherchaient parallèlement à élucider les conditions de sa genèse. Des progrès considérables ont été faits, dans l’analyse et dans la formulation. Le secret n’a pas été totalement percé, et sans doute ne peut-il l’être, tant le phénomène échappe au rationnel. « Aucun système de critères ne peut rendre compte du passage... aux sociétés nationales », doit avouer l’auteur d’une récente approche d’ensemble du sujet3. Nous sourions aujourd’hui, pour ne pas nous en indigner, des théories « biologiques » qui allaient en chercher le fondement dans la race, et des « nations arianes » de Gobineau4. La pensée allemande avait développé depuis le début du xixe siècle d’autres déterminismes, plus complexes, voyant dans la nation l’aboutissement d’un devenir historique réglé par des lois naturelles, produit d’une combinaison où dominent le sol et surtout la langue, « force fatale qui mène l’individu5 », processus en tout cas totalement inconscient et qui échappe à toute volonté humaine. L’expression politique en a été fournie par l’impérialisme allemand de l’époque wilhelmienne, et la manifestation juridique dans des textes remarquables, comme la loi Delbrück du 22 juillet 1913 qui autorisait tout sujet allemand résidant à l’étranger à conserver la nationalité allemande tout en acquérant une nationalité étran …




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