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Us et coutumes des Kurdes


Auteur :
Éditeur : L’Asiathèque & Geuthner Date & Lieu : 2015, Paris
Préface : MultimediaPages : 102
Traduction : Multimedia | ISBN : 978-2-36057-058-4 & 978-2-7053-3915-9
Langue : FrançaisFormat : 135x215 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Bay. Use. N° 5045Thème : Sociologie

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Us et coutumes des Kurdes

Us et coutumes des Kurdes

Mahmoud Bayazidi

L’Asiathèque & Geuthner

Les Kurdes occupent une région stratégique, depuis toujours à la croisée des empires et objet de convoitise. Héritiers d’une riche tradition culturelle, ils n’ont pas hésité à prendre les armes à maintes reprises pour défendre leur territoire, leur mode de vie et leurs valeurs. Aujourd’hui, ils apparaissent plus que jamais comme des acteurs incontournables de la stabilité régionale.
Le présent ouvrage constitue un témoignage historique de premier ordre décrivant dans une langue simple l’organisation sociale et les traditions du peuple kurde : structure de la famille et des villages, rôle des femmes, code de conduite — notamment à la guerre —, déroulement des grandes fêtes et cérémonies, ou encore questions relatives à la religion, aux croyances et à la divination. Il présente les valeurs traditionnelles si chères aux Kurdes et permet de comprendre les fondements historiques de leur pugnacité si souvent admirée — ou crainte — par les peuples voisins.
Traduit du kurde (kurmandji) par Joyce Blau et Sandrine Alexie, ce texte du mollâ kurde Mahmoud Bayazidi (1797-1859) constitue le premier document profane en prose jamais écrit dans cette langue, ainsi que l’un des rares témoignages de l’intérieur sur le mode de vie des Kurdes, détaillant aussi bien les aspects jugés favorablement par l’auteur que ceux qu’il réprouve.

Joyce Blau est professeur émérite de l’institut national des langues et civilisations orientales à Paris, où elle a dirigé la chaire de kurde pendant trente ans. Membre de l’équipe de recherche de l’institut kurde de Paris, elle est l’auteur de nombreux ouvrages et travaux sur la langue, la littérature et la civilisation des Kurdes.

Sandrine Alexie est écrivain et traductrice. Auteur de romans sur le Kurdistan mythique, médiéval ou contemporain, elle a également traduit Mem et Zîn d’Ahmedê Khanî, chef-d’œuvre de la littérature classique kurde.



PREFACE

Considérés comme les « oubliés » ou plutôt les sacrifiés de l’Histoire tout au long du XXe siècle, les Kurdes émergent désormais comme des acteurs majeurs de leur destin et de la scène politique d’un Proche-Orient en convulsions.

A la faveur de l’actualité des conflits qui déchirent cette partie du monde, les médias évoquent régulièrement le sort de ce peuple écartelé dont le pays, le Kurdistan, est partagé entre plusieurs États du Proche-Orient.

L’opinion commence à connaître l’histoire des Kurdes, leur tradition de tolérance religieuse et de respect de la femme, de protection des minorités .et leur sympathie pro-occidentale peu commune dans le contexte régional qui est le leur. Le fait qu’un peuple d’environ 40 millions d’âmes, géographiquement proche, soit encore si peu connu, ne peut s’expliquer que par son absence d’Etat national.

En effet, dans le monde tel qu’il est organisé, en Etats, en être privé signifie trop souvent ne pas avoir sa place dans le concert des nations, ne pas avoir voix au chapitre, ne pas disposer des moyens de se faire connaître, voire même de survivre en tant que peuple distinct. Étant la plus importante communauté sans État du monde, les Kurdes durent lutter âprement pour préserver leur langue, leur culture et leur patrimoine historique au sein d’Etats décidés à les faire disparaître au nom de la politique d’homogénéisation culturelle et linguistique qui accompagne souvent, avec plus ou moins de brutalité et de violence, la construction d’un État-nation moderne. L’existence même des Kurdes fut niée ; l’usage de leur langue, interdit ; leur culture, proscrite en Turquie jusqu’en 1991. L’Irak de Saddam Hussein détruisit 90% des villages kurdes et lança des campagnes génocidaires pour éliminer physiquement la population kurde. En Iran et en Syrie aussi les Kurdes furent interdits de toute expression autonome de leur culture et, traités comme des citoyens de seconde zone, ils subirent de nombreuses persécutions.

Il est donc assez miraculeux que le peuple kurde ait pu, grâce à son esprit de résistance, conserver sa langue et une large part de son patrimoine culturel, en dépit de près d’un siècle d’oppression.

L’émergence d’un Kurdistan irakien quasi-indépendant à la suite des guerres du Golfe de 1991 et de 2.003, doté de ses propres institutions démocratiques, disposant d’aéroports et de liaisons aériennes avec le reste du monde, rend désormais accessible le pays kurde, longtemps interdit aux étrangers. Chercheurs et journalistes peuvent enfin s’y rendre, y travailler librement, et apporter leur contribution à une meilleure connaissance du monde kurde.

La publication en français des Us et coutumes des Kurdes de Mollâ Mahmoud Bayazidi vient à point nommé pour répondre à la curiosité du public sur les mœurs et traditions kurdes. Cet ouvrage est important à plusieurs égards. D’abord, il s’agit du premier livre de prose profane en langue kurde. Celle-ci fut utilisée dès le haut Moyen Âge dans la poésie qui atteignit son âge d’or aux XVIe et XVIIe siècles. Pour le reste, les lettrés kurdes eurent d’abord recours à l’arabe, langue du Coran et « latin » du monde musulman médiéval, pour écrire des chroniques, des traités de théologie, de droit ou de médecine. D’ailleurs, des historiens kurdes comme Ebn al-Athir (m. 1233), Ebn Khallekan (m. 1282) produisirent des œuvres remarquables sur l’histoire du monde musulman de leur temps. Au XIIIe siècle, Ebn al-Azraq al-Fariqi composa une monographie sur l’histoire du tout premier Etat kurde des Merwanides (990-1096) de Mayafarqin. Plus tard, le persan devint la langue prisée par les chancelleries des principautés kurdes et par les chroniqueurs. C’est dans cette langue que le prince et lettré kurde Idris H. Bedlisi (m. 1320), par ailleurs architecte de l’alliance kurdo-otto-mane de 1514 accordant une large autonomie aux principautés du Kurdistan, rédigea son célèbre Hesht Behesht . (« Les huit paradis »), première histoire générale de l’Empire ottoman et de ses huit premiers souverains. Cet ouvrage servit de référence à Von Hammer, auteur de la monumentale Histoire de l’Empire ottoman en 18 volumes, dont la traduction française parut entre 1835 et 1843.

Un autre prince kurde, Sharaf Khan Bedlisi, acheva en 1596 son Sharaf-nâme ou « Fastes de la nation kurde », dont la traduction française de F. Charmoy (2 tomes, 4 vol.) fut publiée par l’Académie impériale russe à Saint-Pétersbourg en 1868-1875.

En écrivant leurs ouvrages en arabe et en persan, les lettrés kurdes, par ailleurs fiers de leur identité kurde, cherchaient sans doute à être lus par un public cultivé beaucoup plus large, un peu comme Casanova qui rédigea ses Mémoires en français, comme Alexandre Jaba — le diplomate et linguiste russe d’origine polonaise qui sollicita Bayazidi pour la rédaction du présent ouvrage — qui publiait son dictionnaire et ses travaux en français, ou encore comme nos chercheurs contemporains qui publient fréquemment leurs travaux en anglais.

L’ouvrage de Bayazidi présente aussi un grand intérêt pour les linguistes sur l’état de la langue, son vocabulaire et sa syntaxe à cette époque. Les ethnologues et les sociologues y découvriront de nombreux renseignements sur la société kurde de la première moitié du XIXe siècle, sur ses coutumes, sur sa mentalité, sur les relations entre tribus nomades et paysans sédentaires, sur la place des femmes et celle des chrétiens, sur le système de valeurs, les croyances et les superstitions.

On pourrait certes, retrouver une grande partie de ces informations dans les matériaux du folklore kurde riche en contes, épopées, légendes, fabliaux, adages et proverbes, mettant en valeur, aux fins d’édification et d’exemplarité, les qualités et les vertus prisées dans la société kurde, stigmatisant les vices (lâcheté, duplicité, déloyauté, manquement à la parole donnée) et brocardant à l’occasion mollâs et curés, leurs prêches et leurs dogmes rigides. Mais le folklore est anonyme et en constante évolution, réapproprié et souvent réadapté de génération en génération, rendant les datations difficiles.

Le récit de Bayazidi est, lui, précis et daté. Il est d’autant plus précieux que l’auteur, fin lettré et polyglotte, connaît intimement la société kurde. Sa charge de mollâ le met en contact avec toutes les couches sociales et l’associe aux événements marquants de la vie individuelle et' collective : naissance, circoncision, décès et cérémonies funéraires, conflits de voisinage, guerre, médiation de conflits, etc. Observateur participant privilégié, il a aussi le mérite d’avoir beaucoup voyagé. Sa ville natale de Bayazid, qui fut longtemps la capitale d’une principauté kurde et qui abrite le mausolée du père du nationalisme kurde, Ahmedê Khani, auteur au XVIIe siècle de l’épopée nationale kurde Mem û Zin, est située à l’extrême nord du Kurdistan, au pied du mont Ararat où, selon la tradition biblique, aurait échoué l’arche de Noé. De là, il parcourut une grande partie de ce qui était alors le Kurdistan ottoman, la province de Van, celle du Hakkari, puis la ville de Djezireh, capitale de la fameuse principauté de Bukhtan, bâtie sur les rives du Tigre, à l’orée du mont Djoudi où, cette fois selon le Coran, aurait échoué l’arche de Noé. Cette principauté fut, pendant plusieurs siècles un foyer florissant de la culture kurde, une pépinière de poètes dont le plus illustre, Melayê Djeziri (1570-1640), est pour les lettres kurdes ce que Dante Alighieri représente pour la littérature italienne.

Dirigée par le fameux Bédir Khan Beg, dont les descendants joueront un rôle primordial dans le mouvement national kurde du XXe siècle, cette dernière principauté autonome résista pendant plus de deux ans aux armées ottomanes conseillées et soutenues par l’Allemagne. Parmi les conseillers, un certain Helmut von Moltke, qui finira sa brillante carrière comme feld-maréchal, dont les Lettres sur l’Orient nous renseignent sur la résistance des Kurdes et leurs traditions. Bayazidi, mandaté par les Ottomans pour obtenir un règlement pacifique de ce conflit, joua un rôle de médiateur. Mais sa mission échoua et, avec la prise de Bukhtan, l’Empire ottoman paracheva sa conquête des royaumes et principautés kurdes autonomes, enterrant du même coup le traité d’alliance kurdo-ottoman de 1514 qui avait assuré plus de trois siècles de paix dans la région. Depuis, les Kurdes n’ont quasiment pas cessé de se révolter pour revendiquer, sinon l’indépendance, du moins une large autonomie de leur pays.

Bayazidi, qui avait longuement séjourné à Tabriz pour ses études, connaissait aussi la partie du Kurdistan iranien située au nord du lac d’Ourmieh. Notons que ce sont les mêmes tribus kurdes qui étaient présentes de part et d’autre de la frontière irano-ottomane fixée en 1639.
En bon mollâ musulman, Bayazidi croit faire œuvre pieuse en faisant remonter l’origine des Kurdes aux « tribus arabo-bédouines » qui, au voisinage des Persans, auraient oublié leur langue et adopté le kurde, proche cousin du persan. Jusqu’à une date tardive, il était en effet d’usage d’inventer des généalogies pour les princes ainsi que pour les personnages religieux importants (cheikhs, seyyed, etc.), pour les rattacher à la tribu du Prophète, les Qoraychites, voire même à une branche de sa famille afin de donner une onction religieuse à leur légitimité. Il en allait de même des peuples que, dans cet esprit musulman, on voulait honorer.

Cependant, on sait depuis les premiers temps de l’islam que les Kurdes sont un peuple autochtone appartenant, tout comme les Persans, les Baloutches ou les Pashtous à la grande famille iranienne. Ils parlent une langue indo-européenne très differente de l’arabe sémitique et du turc ouralo-altaïque. Ils se considèrent les descendants des Mèdes de l’Antiquité qui, en l’an 612, conquirent Ninive et mirent un terme à l’existence de l’Assyrie, la grande puissance militaire régionale de l’époque. Dans sa « Retraite des Dix Mille » (Anabase, 1. 3), le général grec Xénophon parle des Carduques, ancêtres probables des Kurdes, qui pratiquaient dans leurs montagnes une forme de guérilla et donnèrent beaucoup de fil à retordre aux troupes grecques.

Le témoignage de Bayazidi porte principalement sur les us et coutumes des tribus kurdes nomades et semi-nomades qui, à son époque, constituaient une fraction importante de la société kurde. Aujourd’hui, elles n’existent plus guère, ou peut-être ici et là, à l’état résiduel.
Les Kurdes sont actuellement sédentaires et, dans leur très grande majorité, urbanisés. Le Kurdistan compte une demi-douzaine de villes de plus d’un million d’habitants et sa population est largement scolarisée. Cela n’empêche pas cependant une certaine persistance de « mentalités tribales ». Nombre de coutumes et de superstitions décrites par Bayazidi continuent d’être observées: le sens de la fête, le respect envers les étrangers, le respect de la parole donnée, la tolérance envers les autres croyances et religions, etc. Aujourd’hui encore, les gens d’un certain âge ne font pas montre de leurs biens « pour ne pas attirer le mauvais œil ». Ils ne se lavent pas et ne partent pas en voyage le mercredi, considéré comme un jour néfaste. Insulter quelqu’un reste très honteux.

Le statut des femmes occupe une place considérable dans le récit de Bayazidi qui, bien que mollâ, ne tarit pas d’éloges à leur égard : « Les femmes des Kurdes sont beaucoup plus intelligentes que les hommes et l’emportent en perfection, en maturité et en humanité. Elles sont plus gentilles, plus généreuses avec les étrangers et les gens éloignés (...). Dans les familles, même sans les hommes, elles gèrent les affaires (...). [Elles] sont très travailleuses, vaillantes et habiles (...). Quand leur présence est nécessaire dans les assemblées,. elles participent aux discussions et aux affaires et elles accueillent les invités. » Il précise que « les filles et les belles-filles ne se cachent de personne [car] il n’est pas d’usage que les femmes craignent les hommes (...). Elles sont libres mais on est sûr qu elles ne fautent pas. » Pour mieux se faire comprendre, il indique que chez les Kurdes « les femmes sont sacrées, ils ne portent pas la main sur elles (...) et ils leur portent un grand respect. »

Dans une société où conflits tribaux et vendettas étaient fréquents, « ce sont les femmes qui viennent demander pardon pour le prix du sang et elles obtiennent ce pardon. » On apprend aussi que « quand deux groupes se battent sur le champ de bataille et qu’il y a des victimes, les femmes viennent et tendent leur écharpe au milieu et ainsi les deux camps se séparent à coup sûr. » En résumé, pour lui, « les femmes kurdes (nomades) sont la merveille de ce temps parce qu’elles sont femmes, servantes, gardiennes et, en dehors de la maison, à la guerre, elles sont des amies et des compagnons. » En effet, « si une guerre survient parmi les Kurdes, les femmes se battent comme les hommes. »

Cette dernière particularité avait fait forte impression sur les observateurs européens lors de la guerre de Crimée de 1853, quand ils avaient vu défiler à Constantinople une « brigade d’amazones kurdes », des cavalières à fière allure, commandées par la légendaire Kara Fatma. Les combattantes kurdes, qui se sont récemment illustrées dans la résistance contre les djihadistes, témoignent de la belle vitalité de cette vieille tradition kurde. Comme le dit l’un des proverbes préférés des Kurdes : « Le lion est un lion, peu importe qu’il soit mâle ou femelle ».

Au milieu du XXe siècle, la sédentarisation, suivie de la politique d’assimilation et d’acculturation menée par le gouvernement turc, auxquelles s’ajouta l’influence grandissante de l’islam conservateur dans les villes avaient fini par éroder ce statut privilégié dont jouissaient les femmes kurdes, avec çà et là, des régressions notables. Cependant, l’émergence de nouvelles générations éduquées, l’influence des mouvements politiques kurdes, dans l’ensemble laïcs et défenseurs de légalité des sexes, le combat des féministes kurdes permirent de renverser progressivement la tendance et de restituer aux femmes la place de choix qui a toujours été la leur dans la société kurde. Très présentes dans la vie culturelle et artistique — l’essentiel de la poésie populaire est l’œuvre des femmes — elles occupent désormais des positions éminentes dans la vie politique, détiennent presque la moitié des postes dans les municipalités kurdes de Turquie et un bon tiers des sièges au parlement du Kurdistan irakien.

Le rapport des Kurdes à la guerre n’a pas beaucoup changé non plus depuis Bayazidi qui note que « les tribus kurdes ne sont pas sanguinaires. Elles ne sont pas très enclines à verser le sang. » Les Kurdes, aujourd’hui, s’ils sont souvent contraints à recourir à la force, à la lutte armée pour se défendre et revendiquer leurs droits, refusent de pratiquer le terrorisme, de s’cn prendre aux femmes, aux enfants et plus généralement aux civils. Cette tradition chevaleresque et quelque peu décalée est parfois décriée par les « modernistes » soucieux d’efficacité politique immédiate ou de sensationnalisme médiatique. Mais dans leur grande majorité, les Kurdes en sont fiers et c’est au nom de cette tradition qu’ils ont récemment accueilli au Kurdistan irakien plusieurs centaines de milliers d’Arabes sunnites fuyant le régime de terreur des djihadistes, en sachant pertinemment que nombre de ces Arabes avaient sans doute été des partisans de Saddam Hussein, leur pire ennemi.

Le récit de Bayazidi constitue aussi un témoignage empreint de sympathie sur la cohabitation, confinant parfois à la symbiose, entre les Kurdes et leurs voisins chrétiens. Evoquant les fêtes fréquentes dans les villages kurdes, il ajoute : « Là où il y a des villages chrétiens, les filles et les garçons chrétiens se mêlent aux Kurdes, entrent dans la danse, tournent et s’amusent Les enfants des Kurdes et des Arméniens se mêlent les uns aux autres, mangent ensemble sous un même toit. » A l’issu de ces fêtes, il arrivait fréquemment que des jeunes filles consentantes, musulmanes ou chrétiennes, se fassent enlever par leur amoureux pour s’affranchir des barrières sociales, familiales ou religieuses. La pratique de ces enlèvements « romantiques » subsiste encore de nos jours en milieu rural.

A son époque, dans les villes du Kurdistan, artisans et commerçants étaient généralement chrétiens : arméniens au nord de la ligne Diyarbekir-Van, syriaques plus au sud, assyro-chaldéens dans le Bukhtan et le Hakkari. Diyarbekir, métropole cosmopolite du Kurdistan, abritait aux côtés des Kurdes d’importantes communautés arménienne, syriaque, juive, ainsi que des Arabes, des Turcs et des Grecs. C’était l’une des rares villes du monde musulman à posséder des mosquées pour les adeptes des quatre rites reconnus de l’islam sunnite, des églises d’obédiences diverses et des synagogues. Dans ce qui est devenu le Kurdistan irakien, mais aussi au Kurdistan iranien, des communautés juives aux origines antiques et parlant l’araméen vivaient dans les villes (Zakho, Akré, Sinneh, etc.) ainsi que dans les campagnes, mêlées aux Kurdes musulmans, yézidis, shabaks, etc. Les massacres et déportations des populations perpétrés par le régime des Jeunes-Turcs au cours de la Grande Guerre, le génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de 1915 bouleversa durablement le paysage humain et l’extraordinaire diversité culturelle de ces terres de Haute Mésopotamie. Les juifs sont partis en Israël et il reste à peine zoo ooo chrétiens dans l’ensemble du Kurdistan.

Un dernier mot enfin pour dire que les observations de Bayazidi portent sur les Kurdes sunnites, de loin majoritaires dans la population kurde qui compte toutefois plus de 20% d’alévis, de yézidis, de yarsans et d’adeptes d’autres confessions qui, tout en observant la plupart de ces coutumes communes, en pratiquent aussi d’autres qui sont propres à leurs croyances respectives.

Enfin, il me semble que Bayazidi, mollâ sunnite faisant la part belle aux femmes, aurait été heureux de savoir que son ouvrage est traduit par deux dames qui lui rendent ainsi un très bel hommage.

Professeur émérite, Joyce Blau est la doyenne des études kurdes en Europe, à qui l’on doit de nombreux ouvrages sur la langue et la littérature kurdes. Romancière et traductrice, Sandrine Alexie est notamment l’auteur de la première traduction intégrale de l’épopée kurde Mem û.
Zîn, publiée en 2001 chez l’Harmattan.

Avec cette belle traduction des Us et coutumes des Kurdes, elles apportent une contribution précieuse à la connaissance de la culture et de la société kurdes.

Kendal Nezan

Introduction

Adât o rosûmâtnâme-ye Akrâdiye (en persan) ou Urf û adetên Kurdan (en kurde) : « Us et coutumes des Kurdes », est le premier ouvrage de prose écrit en kurde que nous connaissions.

L’auteur de l’ouvrage, Mahmoud Bayazidi (Mehmûd Beyazîdî ou Mehmudê Beyazîdî en kurde), est né en 1797 à Bayazid (Dogubeyazit en turc), dans la province d’Agri, au Kurdistan de Turquie, et meurt en 1859. Ce premier texte profane en prose kurde est écrit en kurde kurmandji de la région du Hakkari, dans l’alphabet arabo-persan utilisé par les premiers poètes kurdes. Si, depuis le xvr siècle, les poètes kurdes avaient fait florès et si leurs œuvres poétiques écrites en kurde s’étaient transmises de génération en génération, les savants kurdes utilisaient l’arabe ou le persan pour écrire leurs traités d’histoire, de théologie, de droit, ou leurs ouvrages religieux. D’ailleurs, Mahmoud Bayazidi dit dans son livre que « pour ce qui est de la langue écrite, les Kurdes lisent et rédigent en persan ». Les Kurdes semblent ignorer le turc ottoman ou, en tout cas, ne l’utilisent pas.

Premier ouvrage en prose — et c’est peut-être ce qui explique son ton si moderne et si particulier — le livre est écrit dans une langue simple, directe, avec un style vivant, très « parlé » qui donne l’impression d’écouter …




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