La bibliothèque numérique kurde (BNK)
Retour au resultats
Imprimer cette page

Les militants des droits de l'homme en Turquie : un devoir périlleux


Auteur :
Éditeur : Université Paul Valéry Date & Lieu : 1999, Montpellier
Préface : Pages : 194
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 150x210 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Dog. Mil. N° 1562Thème : Thèses

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
Les militants des droits de l'homme en Turquie : un devoir périlleux

Les militants des droits de l'homme en Turquie 

Mehmet Ali Dogan

Université Paul Valéry

Suite à nos nombreuses interrogations sur les militants des droits de l'homme en Turquie et leur l'action non-violente, nous avons établi une bibliographie sur la question.
Pour répondre à nos interrogations de chercheur, nous avons réalisé des récits thématiques avec des militants actifs des droits de l'homme en Turquie. Il est important de préciser qu'ils nous ont relaté des faits, tels que leur enfance et leur engagement, "à un moment donné de leur histoire" : ils sont aujourd'hui dans l'opposition turque, ils défendent le respect des droits de l'homme et notamment envers la population kurde.
Nous montrerons d'abord les apports bibliographiques sur la question traitée. Nous présenterons ensuite les méthodes utilisées pour la collecte des données et quelles sont leurs limites.



INTRODUCTION

"Nous aurons raison du terrorisme mais la démocratie et les droits de l'homme nous empêchent d'aller de l'avant" Cette phrase a été prononcée par Ahmet Côrekci, chef d'Etat major adjoint de l'armée turque, lors d'un discours devant les médias turcs en juillet 1995.¹
En 1789, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme était rédigée. Plus de deux siècles se sont écoulés, et le respect des droits de l'homme, d'un point de vue international, n'est pas encore acquis : de nombreuses organisations militent dans le but de les faire respecter à travers le monde.

En Turquie, de nombreuses personnes militent dans ce dessein. Régulièrement, elles subissent de multiples pressions. Certains défenseurs des droits de l'homme ont même été assassinés. Les autres cependant, "plus que jamais", continuent leur action : ils se "battent" pour ces droits soient respectés. Comment en viennent-ils à s'engager ? Ont-ils conscience des dangers, des risques, qu'ils encourent ? Oseraient-ils "donner leur vie" pour défendre leurs idées ? Pouvons-nous considérer leurs activités comme un sacrifice de soi ? Quelles sont leurs motivations ?

Mon passé et mon expérience sont liés à cette recherche. J'en esquisserai donc les grandes lignes. J'ai vécu de nombreuses années en Turquie, dans la vie estudiantine. Après le coup d'Etat de 1980, j'ai été arrêté et suis resté en prison pendant plusieurs années. Par la suite, j'ai dû quitter la Turquie et me suis réfugié en France. J'ai ensuite travaillé dans plusieurs associations culturelles kurdes et des ONG françaises.

Au cours de mes activités, j'ai entretenu de nombreuses relations avec des associations culturelles et des associations travaillant sur les droits de l'homme. J'informais et je sensibilisais l'opinion publique française et internationale à cette question concernant la Turquie et celle des kurdes dans l'ensemble du Kurdistan. Ce vécu m'a amené à endosser une personnalité politique. J'ai voulu, à un moment donné, faire des recherches sur les Kurdes en diaspora. Au cours de la préparation de mon projet, je me suis rendu compte qu'il me fallait une formation universitaire pour que mes recherches soient crédibles. Je ne me sentais pas objectif. Il me fallait absolument apprendre des méthodes scientifiques et surtout m'informer sur les notions telles que "ethnie", "culture", "nation", "diaspora"... Je ne devais pas m'appuyer exclusivement sur mes connaissances et mon vécu politique. Je ne voulais pas que mes recherches, soient réduites à un raisonnement politique ou à des préjugés propagandistes, afin de "sensibiliser l'opinion publique". Je désirais surtout comprendre "la réalité" de mon peuple. Je ne pouvais donc pas commencer à faire des recherches sans avoir de méthodes scientifiques.

C'est la raison pour laquelle, en 1995, je me suis inscrit dans le département de sociologie à l'Université de Montpellier. Dès la première année, je me suis aperçu à quel point j'étais subjectif vis-à-vis de la question kurde, notamment sur la perception de l'Autre. Ma formation m'a permis de revoir toutes les idées que j'avais auparavant. Mes études à l'Université Paul Valéry m'ont permis de construire une distance par rapport à ma propre société. Il est à préciser qu'en Turquie, j'avais déjà vécu dans un milieu où l'assimilation était très forte ; les Kurdes, dans l'ensemble, étaient donc quelque chose d'assez inconnu pour moi.

Quant au choix du sujet, comme nous l'avons dit, il a un lien avec mon vécu puisque j'ai fait de la prison où j'ai subi toutes sortes de "tortures". J'ai été témoin de violations des droits de l'homme et je ne considérais pas ma vie comme importante : "j'étais prêt à mourir pour défendre mes idées". J'avais l'impression que nous devions être prêts à "donner notre vie" pour "réussir". Je considérais cela comme un "sacrifice de soi". Avec ma formation, cette perception n'était plus une certitude. J'ai commencé à m'intéresser à ce sujet et j'ai décidé de l'aborder avec un regard ethnologique. Je voulais absolument comprendre l'origine de ces pressions, de ces excès, et surtout l'origine du "sacrifice de soi". Après mon arrivée en France, j'ai côtoyé quotidiennement des militants des droits de l'homme qui luttent d'une manière non-vio lente. J'ai constaté le même fait : le "don de leur vie" sans moyen de se protéger. Des milliers d'entre eux ont disparu à travers le monde. Tous ces évènements étaient devenus des réalités pour moi, après neuf années passées en Europe.

C'est la rencontre avec Osman BAYDEMIR, le vice-président de l'association des droits de l'homme de Turquie, à Paris, en décembre 1997, qui a été déterminante. Je l'ai accompagné, durant deux jours, comme interprète, pour des entretiens avec des associations humanitaires françaises et une conférence. Nos journées étaient très intenses car nous discutions de "tout". Plus je parlais avec lui, plus je me sentais éloigné de "sa réalité". Je me suis rendu compte, qu'avant ma formation universitaire, je normalisais toutes sortes de pressions et les réactions des gens contre ces pressions. En vivant en Europe, je m'étais éloigné et j'avais pris une certaine distance avec "mes valeurs" et "la réalité des Kurdes" qui demeurent là-bas. C'est cette rencontre qui m'a encouragé à travailler sur ce sujet. J'étais face à un homme qui semblait prêt à donner sa vie, qui avait intériorisé la mort et qui avait normalisé de nombreux risques pour atteindre ses objectifs. Malgré mon insistance pour qu'il reste en France, où il serait hors de danger, il est reparti en Turquie, en me disant : "si ce n'est pas moi, ce sera un autre qui fera ce devoir". Pour lui, c'était un "devoir" à remplir absolument.

Après ma rencontre avec Osman Baydemir, et celles avec Akin Birdal, Eren Keskin, Ayse Nur Zarakolu et d'autres militants des droits de l'homme que je citerai parmi les enquêteurs, j'ai été incité à concentrer mon travail sur leur personnalité et à m'informer sur des concepts tel que le don de soi, l'identité politique, ethnique et culturelle.

Nous élaborerons donc, en première partie, la construction de notre objet d'étude, qui s'appuie sur des recherches bibliographiques thématiques et conceptuelles. En seconde partie, nous présenterons nos données, soutenues par une analyse verticale ; et, en troisième partie, nous rendrons compte d'une analyse comparative par la confrontation des entretiens avec nos sources bibliographiques.

La Construction de l’Objet d'Etude

Suite à nos nombreuses interrogations sur les militants des droits de l'homme en Turquie et leur l'action non-violente, nous avons établi une bibliographie sur la question.

Pour répondre à nos interrogations de chercheur, nous avons réalisé des récits thématiques avec des militants actifs des droits de l'homme en Turquie. Il est important de préciser qu'ils nous ont relaté des faits, tels que leur enfance et leur engagement, "à un moment donné de leur histoire" : ils sont aujourd'hui dans l'opposition turque, ils défendent le respect des droits de l'homme et notamment envers la population kurde.

Nous montrerons d'abord les apports bibliographiques sur la question traitée. Nous présenterons ensuite les méthodes utilisées pour la collecte des données et quelles sont leurs limites.

1- Etude Bibliographique.

Pour construire notre objet d'étude, nous devions prendre de la distance par rapport au sujet. Il nous fallait donc utiliser une bibliographie afin de choisir la méthode d'enquête la plus pertinente, plus généralement acquérir un point de vue objectif et définir les notions liées à notre problématique. Ce n'est qu'à partir des notions clefs et de recherches épistémologiques sur celles-ci qu'il était possible d'acquérir une certaine distance par rapport à ce travail. Après avoir présenté des ouvrages méthodologiques, nous proposerons une étude conceptuelle.

Avant de commencer l'enquête, il fallait absolument prendre de la distance avec le terrain et le sujet d'étude. Lorsque le chercheur appartient à la société qu'il étudie, il doit réussir à faire abstraction de ses présupposés, de ses préjugés et de ses sentiments. Selon P. Bourdieu, J.-C. Chamboredon et J.-C. Passeron², le chercheur qui travaille sur sa société est à la fois "objet" et "sujet". En tant que membre de la population étudiée, l'être humain a des jugements de valeur. Le scientifique, cependant, doit les dépasser et construire un regard objectif grâce à une rupture épistémologique.

Selon D. Bertaux³, la "réalité" touche non seulement notre intellect mais aussi nos sentiments, cela permet de bousculer un tant soit peu nos préjugés et présupposés que nous portons en nous inconsciemment. En tant qu'acteur social, nous avions un risque important :
…..

1 Cité dans Turquie, quelle sécurité ? éd. Amnesty International, Paris, 1996, p. 13
2 P; Bourdieu, J.-C. Chamboredon, J.-C. Passeron, Le métier de sociologie, Préalables épistémologiques, éd. Mouton, Paris, 1983 (1er éd. 1968), p. 29.

 




Fondation-Institut kurde de Paris © 2024
BIBLIOTHEQUE
Informations pratiques
Informations légales
PROJET
Historique
Partenaires
LISTE
Thèmes
Auteurs
Éditeurs
Langues
Revues