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La Cour européenne des droits de l'homme et les Kurdes en Turquie


Auteur :
Éditeur : Université de Rennes I Date & Lieu : 1999, Rennes
Préface : Pages : 68
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 210x295 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Ver. Cou. N° 978Thème : Thèses

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La Cour européenne des droits de l'homme et les Kurdes en Turquie

La Cour européenne des droits de l'homme et les Kurdes en Turquie

Mélanie Le Verger

Université de Rennes I

La Constitution de la République de Turquie est imprégnée des deux notions d’intégrité indivisible et d’unité de la nation turque puisque le préambule lui-même les proclame avec force. La Constitution du 7 novembre 1982, modifiée par la loi référendaire du 23 juillet 1995 affirmait ainsi dans son préambule :
« Alors qu 'une guerre civile sanglante telle qu 'on n 'avait pas vu de semblable sous la République, était sur le point d’éclater et menaçait l'Etat de destruction et de division en mettant en cause l’intégrité de la patrie et de la nation turques qui sont éternelles et l'existence sacrée de l'Etat turc (...)
La présente Constitution, qui a été acceptée et approuvée par ...



INTRODUCTION

« La Cour Européenne des Droits de l'Homme et les Kurdes en Turquie. » Cet intitulé peut sembler clair, pourtant, il peut recouvrir plusieurs acceptions. En effet, il ne s’agira pas d’une étude complète de la question kurde, l’abondance des sources rendant cette tâche trop ambitieuse ; Il ne s’agira pas non plus de dresser une liste exhaustive des violations subies par les Kurdes en Turquie puisqu’il existe de nombreux rapports d’organisations internationales et non gouvernementales concernant la question. La présente étude s’appliquera en fait à rechercher quand et comment la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est intéressée au problème kurde. Les arrêts de la Cour relatifs à la Turquie permettront d’appréhender la manière dont cette juridiction envisage et traite la question des kurdes en Turquie. Mais avant cela, il faut circonscrire le sujet plus précisément grâce à un rappel historique, indispensable à la compréhension des difficultés turques et kurdes actuelles. La Turquie a signé la Convention Européenne des Droits de l’Homme dès le 4 novembre 1950 et l’a ratifiée le 18 mai 1954. Pourtant, le premier rapport de l’ancienne Commission¹ date du 8 avril 1993 et le premier arrêt de la Cour n’est intervenu que le 23 février 1995. Cet écart de plus de quarante ans entre la ratification et les premiers arrêts a une cause politique et une cause juridique.

S’agissant de la première raison, elle est liée à l’instabilité politique de la Turquie depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette instabilité presque caractéristique de la Turquie est due aux nombreuses interventions militaires subies par cet Etat. Le nombre des reprises en main par l’armée est si important qu’on ne les compte plus mais les trois coups d’Etat majeurs furent ceux du 27 mai 1960, du 12 mars 1971 et du 12 septembre 1980. Cette dernière intervention militaire fut notamment causée par le développement du terrorisme et depuis cette date, la présence et la pression de l’armée dans le jeu politique sont devenues banales. L’armée turque est en effet la seule dans le monde occidental à conserver, par le biais du Conseil National de Sécurité, des prérogatives politiques très importantes". De nombreux hommes politiques se sont vus, un jour ou l’autre, chassés du pouvoir ou mis en liberté surveillée. L'actuel président de la République, monsieur Demirel, fut ainsi deux fois victime de l’autoritarisme militaire. Plus récemment, en 1997, l’armée n’a pas hésité à contraindre le premier ministre islamiste, monsieur Erbakan, à démissionner et à dissoudre son parti, le Refah, pour atteinte à la laïcité. Encore plus proche, juste après la chute du gouvernement Yilmaz³ en décembre 1998, l’armée a invité les hommes politiques turcs « à faire preuve de l'attention et de la sensibilité nécessaires, en évitant, les déclarations qui pourraient amener les forces armées à intervenir dans la politique. »⁴) Ces coups d’Etat militaires ont donc à chaque fois mis en cause le caractère démocratique du régime turc et donc sa compatibilité avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme. D’ailleurs, la dernière intervention fit l’objet d’un recours interétatique de la France, de la Norvège, des
Pays-Bas, de la Suède et du Danemark devant le Conseil de l’Europe le premier juillet 1982.
Mais ces pays, alors préoccupés par la situation des Droits fondamentaux en Turquie, retirèrent cette requête en acceptant finalement un règlement amiable en 1983 puisqu’un régime civil fut instauré en Turquie en décembre de la même année.

Quant à la cause juridique de la tardiveté du premier arrêt de la Cour relatif à la Turquie, elle tient au fait que le gouvernement turc n’a reconnu obligatoire la compétence juridictionnelle de la Cour qu’en 1990. Lorsqu’un Etat signe la Convention Européenne des Droits de l’Homme, il n’est pas obligé d’accepter les compétences de la Commission et de la Cour.
Ainsi la Turquie ne les a acceptées que tardivement, ce qui prouve son attachement très fort à la souveraineté nationale que la Cour pourrait contrarier.

Par la première déclaration du 18 janvier 1987 relative à 1 article 25 de la convention, le gouvernement turc a reconnu la compétence de la Commission pour être saisie des requêtes dirigées contre la Turquie. Lors de la seconde déclaration du 22 janvier 1990 relative à l’article 46 de la Convention, le « gouvernement de la République de Turquie a reconnu comme obligatoire et du plein droit et sans convention spéciale la juridiction de la CEDH sur toutes les affaires concernant l’interprétation et l'application de la convention. » Mais ces deux déclarations comportaient la même réserve à la compétence de la Cour puisque la Turquie déclara que « la reconnaissance du droit de recours » et de la juridiction de la Cour « ne s’étend qu’aux allégations concernant les actes ou omissions des autorités publiques turques commis à l'intérieur de frontières de territoires auquel s'appliquer la constitution de la République de Turquie. » Cette réserve ratione loci fit l’objet de nombreuses protestations de la part de la Grèce, de Chypre, du Danemark ainsi que d’autres pays parties à la Convention. La Turquie avait proclamé le 15 novembre 1983 la République turque de Chypre du Nord. Cette République, non reconnue par la communauté internationale et proclamée en violation des principes de droit international, a eu pour conséquence la présence massive d’autorités turques dans le nord de l’île. Or les violations des droits fondamentaux commises par ces autorités de Chypre devenaient insusceptibles de recours devant la CEDH par la réserve turque à sa compétence.

La Cour, dans l’arrêt du 23 mars 1995, « LOIZIDOU »5 rejeta cette réserve en la déclarant invalide, sans pour autant affecter l’engagement principal de la déclaration, à savoir la reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour. Celle-ci profita alors de cette affaire pour déclarer son rôle et sa détermination pour faire respecter la convention, « instrument constitutionnel de l'ordre public européen » (§75).

Ainsi, et en conséquence de la tardive déclaration turque quant à l’acceptation de la compétence de la Cour et de l’arrêt « LOTZ1DOU », la présente étude ne portera que sur des requêtes adressées à la Commission à partir de 1987 et surtout 1990, concernant des violations des droits de l’homme commises par toutes les autorités turques.

Il faut noter que depuis 1990, les requêtes contre la Turquie se sont multipliées et sur quarante trois arrêts de la CEDH la concernant, trente quatre concernent directement les Kurdes. Ce constat justifie à lui seul une étude sur la CEDH et les Kurdes en Turquie.

La Turquie a depuis longtemps refusé d’admettre l’existence d’une minorité Kurde sur son territoire et cela l’a amenée à réprimer toute affirmation et toute revendication d’une identité Kurde. Cette négation trouve notamment son origine dans le nationalisme de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. D’ailleurs, l’héritage de Kemal est tel qu il est indispensable d’en connaître les grandes lignes pour comprendre la Turquie actuelle. Kemal, « le parfait » avait vingt ans lorsque les guerres des Balkans éclatèrent, marquant la fragilité de l’Empire Ottoman qui y perdit la plupart de ses territoires européens. Mais c’est la première guerre mondiale qui précipita la chute des ottomans, alors alliés aux allemands. Le Sultan calife Mehmet VI confia alors à Kemal le soin de maintenir l’ordre en Anatolie et c’est lors de cette mission que Kemal deviendra « Atatürk »⁷, en incarnant le mouvement de résistance contre les alliés occupant ce qui restait de l’Empire Ottoman. Puis le jeune général démissionna de l’armée pour convoquer à Sivas, en septembre 1919 un « congrès national ». Inspiré de la révolution française, ce gouvernement provisoire dirigé par Atatürk à Ankara défia et vainquit le gouvernement fantoche du Sultan. En effet, après l’humiliant Traité de Sèvre de 1920 qui dépeça l’Empire, Kemal réussit plus facilement à asseoir sa légitimité et celle de sa lutte pour une grande Turquie. Ainsi en 1922, Atatürk abolit le sultanat et par conséquent la monarchie, ce qui lui permit de proclamer l’avènement de la République de Turquie en 1923. La République de Kemal prit alors la forme très centralisée que la Turquie connaît encore aujourd’hui. En outre, Mustafa Kemal arracha aux alliés, la même année le Traité de Lausanne qui lui permit de satisfaire l’essentiel de ses revendications territoriales.
Fort de ses nombreuses victoires, Atatürk proclama alorsen 1924, l’abolition du califat, dernier obstacle à son accession définitive et entière au pouvoir. A partir de cette date, Kemal appliqua librement son programme dont cinq mots sont à retenir : républicanisme, laïcisme, occidentalisme, étatisme et nationalisme.

Républicanisme parce que Kemal fonda la République de Turquie. Laïcisme parce que le Califat fut aboli, entraînant ainsi l’abandon, en 1928, du principe selon lequel « La religion de l'Etat Turc est l’islam. » L’article 2 de l’actuelle Constitution proclame ainsi la laïcité de la République de Turquie. Laïcisme aussi parce que la Turquie renonça à la Sharia’a, bouleversant les traditions sociales et familiales de toute une génération.

Occidentalisme parce qu’un nouveau code civil fut adopté, le 4 octobre 1926, calqué sur celui de la Suisse et prohibant la polygamie ainsi que la répudiation, et assurant l’égalité entre les hommes et les femmes. Occidentalisme aussi parce que l’alphabet arabe fut remplacé par l’alphabet latin, parce que le chapeau de feutre fut substitué au fez, le calendrier solaire au calendrier lunaire, le dimanche remplaça le vendredi comme jour férié, etc...

Et cette volonté d’adhésion au valeurs occidentales fut telle que parfois, elle conduisit à dépasser certains pays occidentaux. Les femmes turques se sont vues par exemple accorder le droit de vote en 1934, soit dix ans avant les femmes françaises.

Etatisme ensuite parce que Kemal organisa une économie permettant la création d’entreprises d’Etat et la mise en œuvre des plans quinquennaux.

Nationalisme enfin parce que Kemal affirma avec force l’identité nationale de la Turquie.
Sous Atatürk et selon lui, la Turquie n’était composée que de turcs. Il s’ensuivit une politique officielle de négation des ethnies minoritaires dont les kurdes furent les premières victimes.

Le kémalisme, qui est à Kemal ce que la jurisprudence est à la loi, revêt aujourd’hui encore une importance considérable. La Constitution elle-même y fait référence dans son article 2. L’héritage d’Atatürk suscite toujours de vifs débats. Ainsi pour les partis politiques de gauche, Atatürk représente avant tout le symbole de la laïcité alors que la droite affirme que l’étatisme de Kemal est aujourd’hui inadapté et que l’occidentalisme doit passer par la privatisation et la décentralisation⁸.

Atatürk suscite toujours une grande admiration comme en témoigne l’existence constitutionnalisée (article 134 de la Constitution) de l’institut supérieur Atatürk de culture, de langue et d’histoire, « créé sous le patronage spirituel d'Atatürk » et ayant pour mission d’« effectuer des recherches, par des méthodes scientifiques, sur la pensée, les principes et les réformes d’Atatürk. »

Mais le nationalisme extrême de Kemal a conduit à mépriser ceux qui n’étaient pas turcs et à engager une « turquification » des minorités ethniques, dont celle des Kurdes. Ces derniers, éparpillés entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie sont au nombre approximatif de vingt cinq à trente millions.⁹ Ceux de Turquie, au nombre de douze millions,10 s’étaient fait promettre, par le Traité de Sèvres, un statut d’autonomie locale mais le Traité de Lausanne occulta totalement cette clause et ses bénéficiaires.

Alors Kemal commença par décimer les rangs des intellectuels kurdes puis interdit, en 1924, l’usage de la langue, interdiction levée en 1983 puis en 1991.¹¹ Selon Gérard Chaliand, auteur de le malheur kurde¹² « La grande crainte des dirigeants turcs jusqu'à une date récente, a été que l'emploi du kurde par l'usage politique que l'on pourrait en faire aboutisse tôt ou tard à briser la cohésion de l'Etat national Jacobin tel qu 'il fut définit par Mustafa Kemal. »

Mais Kemal ne se limita pas à prendre des mesures légales à l’encontre des Kurdes, il agit aussi plus directement en réprimant à trois reprises et dans le sang des insurrections kurdes. Ceux-ci furent alors contraints à une assimilation culturelle forcée et subirent des déportations en masse ou des regroupements en zone plus facilement contrôlables, pendant les années vingt et trente.

Les autres pays abritant des Kurdes et notamment l’Irak, furent parfois aussi cruels vis-à-vis des Kurdes. A partir de 1975, l’Irak pratiqua la déportation qui devint systématique à partir des années quatre-vingt. Puis survinrent les événements catastrophiques de mars 1991 pendant lesquels deux millions de Kurdes fuirent l’Irak de S. Hussein par crainte d’être gazés.
Ceux-ci furent alors placés sous la protection des Nations Unies. En outre, ils bénéficièrent, après l’affirmation par le Conseil de Sécurité de l’ONU de l’existence d’un devoir d’ingérence humanitaire¹⁴, d’un accord de principe sur l’autonomie du Kurdistan du Nord de l’Irak.

Mais en Turquie, le problème de la minorité Kurde n’est pas un problème passé, il est en ce moment d’ailleurs au cœur de l’actualité.

Après les années de silence forcé, certains Kurdes ont décidé de prendre les armes et ont créé le parti des travailleurs du Kurdistan (P.K.K.), dirigé par Abdullah Öcalan. Ce groupe, considéré comme terroriste par la plupart des pays occidentaux, est devenu l’ennemi juré de l’Etat Turc. Subissant les attaques terroristes d’un groupuscule devenu une véritable « armée de libération du Kurdistan », la Turquie a, depuis 1984, engagé une véritable guerre contre le P.K.K.¹⁵ La justice d’Ankara impute au conflit qui dure depuis quinze ans vingt neuf mille morts mais les médias et les organisations non gouvernementales en dénombrent beaucoup plus. La récente arrestation du chef du P.K.K., Abdullah Öcalan laisse aujourd’hui en suspens l ’avenir de ce mouvement.¹⁶ Cependant, quelques jours après, le leader kurde a été érigé en chef symbolique du P.K.K. et les dirigeants du mouvement n’ont pas manqué d’affirmer leur intention d’intensifier la lutte armée. Cette intention a d’ailleurs été publiée dans le journal pro-kurde « Ozgür politika » du 25 février 1999 dans les termes suivants : « libérez Apo, soleil du peuple kurde (...) c’est une obligation, voire une question d'honneur pour des centaines de milliers d’entre nous de réunir toutes nos forces pour détruire, mettre à feu et à sang la Turquie grâce à des actions de masse. »

L’arrestation du chef du P.K.K. a suscité une grande émotion parmi le peuple kurde, donnant lieu à une vague de violence et à des immolations partout en Europe. Plusieurs attentats ont aussi été perpétrés depuis et le P.K.K. a conseillé aux touristes européens de ne pas se rendre en Turquie, ajoutant ainsi à la lutte armée une lutte économique.

Suite à l’arrestation du leader kurde, les pays européens ont invité la Turquie à assurer un procès équitable. Les organes politiques du Conseil de l’Europe ont aussi demandé à Ankara des éclaircissements sur l’enlèvement mystérieux d’Öcalan au Kenya. De plus, le Comité pour la prévention de la torture est parvenu à forcer les portes de la prison de l’île « fortifiée » d’Imrali, en mer de Masmara, afin de vérifier l’état de santé d’« Apo ».

Il est donc clair que la question de la minorité kurde en Turquie suscite beaucoup d’émotions et continue de nuire à l’image de la Turquie en Europe, comme le soulignait Monsieur Turgut Özal dans son livre intitulé la Turquie en Europe .18 D’ailleurs, le Conseil de l’Europe, dont la Turquie est membre depuis le 13 avril 1950, a déclaré le 21 janvier 1999 que « pour beaucoup d’observateurs extérieurs, la Turquie a une image négative en matière des droits de l’homme,(...) perception qui semble justifiée par un certain nombre de faits.» Les rapporteurs de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont aussi déclaré que « le terrorisme pourrait être progressivement maîtrisé si les autorités turques accordaient aux kurdes la protections prévue par diverses conventions du Conseil de l'Europe relatives aux droits des minorités nationales. » La Turquie a bien signé et ratifié de nombreuses conventions du Conseil de l’Europe mais pas celle relative à la protection des minorités nationales du premier février 1995.Les pressions politiques sont donc nombreuses pour faire cesser les atteintes aux droits des kurdes en Turquie.

L’Europe communautaire, en plus de l’Europe des quarante et un a elle aussi mis en balance ces atteintes aux droits de l’homme quand la Turquie a, en 1987 fait sa demande d adhésion à la communauté. D’ailleurs quand le P.K.K. a annoncé une trêve unilatérale, en 1993 puis en 1996, le parlement européen a, lors de la session de janvier 1996, adopté une résolution sur la situation en Turquie et sur l’offre de cessez-le-feu faite par le P.K.K. Mais ces trêves et propositions de résolution pacifique du problème kurde n’ont jamais été prises en compte par les gouvernements turcs successifs.

Et à ces pressions politiques, exclusivement européennes s’ajoute une pression juridique exercée par la CEDH.

Depuis 1995, la Cour a en effet multiplié les arrêts condamnant la Turquie pour violation des dispositions les plus fondamentales de la Convention. Les raisons de ces violations sont certes historiques mais la Cour, à travers ces trente quatre arrêts, montre de façon évidente que la lutte anti-terrorisme engagée par les autorités turques, et notamment par les forces de l’ordre est le premier facteur de ces violations. Ainsi toute menace à l’intégrité et à l’unité de l’Etat est sévèrement réprimée par les forces de sécurité (première partie). Outre cette lutte contre le terrorisme menée dans le sud-est de la Turquie, la Cour européenne souligne l’importance du dispositif législatif et constitutionnel dans la commission de ces violations en tant qu’instrument facilitant ou permettant les atteintes aux droits des kurdes (seconde partie).

¹ Ancienne car supprimée depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la Cour le 3 novembre 1998. Cette réforme a aussi facilité la saisine de la Cour (article 25 de la Convention).
² article 118 de la constitution turque.
³ chute liée à des affaires de corruption.
⁴ Le Monde, 2 décembre 1998, « l’armée turque lance un avertissement à la classe politique. »
⁵ Série A n°310.
⁶ 1912-1913
7 Père des Turcs
8 Le Monde du 15 et 16 novembre 1998 p. 10 « Le souvenir d’Atatürk suscite toujours la même ferveur, son héritage est davantage discuté. »
9-10 Courrier International, semaine du 26 novembrel998 au 2 décembre 1998, « La Turquie et la question Kurde, une épine pour l’Europe. »
Les Kurdes sont aujourd’hui entre 14 etl8 millions en Turquie, (source : Courrier International, mêmes dates).
¹¹ Les Kurdes et les Etats, peuples méditerranéens n°68-69 p.3 à 8.
¹² Edition 1992, Le Seuil, collection « à l’épreuve des faits » p.21.
¹³ 1925 : révolte de Cheikh Saïd, 1930 : révolte du Mont Ararat, 1936-1938 : révolte de Dersim. Source : le malheur kurde, p.76 à 82.
¹⁴ Résolution 688 du 5 avril 1991.
¹⁵ Le P.K.K. regroupe aujourd’hui entre quinze et trente milles hommes, Agence Reuteurs.
¹⁶ Cf. Le Monde du 17 février 1999 p.3.
¹⁷ A.F.P. le 2 mars 1999.
¹⁸ M. Özal a été premier ministre de 1983 à 1989 puis Président de la République de 1989 à 1993.

Premiere partie : là lutte contre le terrorisme et le nationalisme turc,
facteurs de violations des droits des kurdes

La Constitution de la République de Turquie est imprégnée des deux notions d’intégrité indivisible et d’unité de la nation turque puisque le préambule lui-même les proclame avec force. La Constitution du 7 novembre 1982, modifiée par la loi référendaire du 23 juillet 1995 affirmait ainsi dans son préambule :

« Alors qu 'une guerre civile sanglante telle qu 'on n 'avait pas vu de semblable sous la République, était sur le point d’éclater et menaçait l'Etat de destruction et de division en mettant en cause l’intégrité de la patrie et de la nation turques qui sont éternelles et l'existence sacrée de l'Etat turc (...)

La présente Constitution, qui a été acceptée et approuvée par la nation turque (...) conformément au concept de nationalisme et aux principes et aux réformes mis en œuvre par Atatürk, fondateur de la République turque, guide immortel et héros incomparable. »
La loi du 23 juillet 1995 a modifié ce texte très lyrique mais sans pour autant relativiser l’importance des valeurs que l’ancienne Constitution consacrait. En effet, le nouveau préambule affirme que « la Constitution [qui] définit l'intégrité indivisible du Grand Etat turc et l'existence éternelle de la Nation et de la Patrie turque. »

La République centralisée de Turquie, sous le contrôle des militaires, n’a donc jamais cessé d’affirmer son attachement au nationalisme d’Atatürk ainsi qu’au caractère indérogeable de l’indivisibilité de l’Etat, principes qui apparaissent dans le corps même de la Constitution, respectivement aux articles 2 puis 3 et 5. Cette Constitution, bien que modifiée en 1995, a été adoptée sous un régime dictatorial militaire dont l’origine est directement liée au développement du terrorisme. C’est pourquoi le préambule lui-même a constitutionnalisé la lutte contre le terrorisme en affirmant : « alors qu’une guerre civile sanglante (...) était sur le point d’éclater et menaçait l'Etat. »

Selon les sources gouvernementales, « le conflit a coûté jusqu 'en 1996 la vie à quatre mille trente six civils et trois mille huit cent quatre vingt quatre membres de sécurité]...) et un grand nombre de villages, estimé à plus de mille ont été détruits et évacués pendant ces affrontements.»1 D’autres sources estiment à trente mille le nombre de personnes mortes en Turquie depuis 1984 et à deux millions le nombre de « chassés » des plus des trois mille huit cent villages détruits.² La CEDH elle-même admet que « l'ampleur et les effets particuliers de l’activité terroriste du P.K.K. dans le Sud-est de la Turquie ont indubitablement créé, dans la région concernée, un "danger public menaçant la vie de la Nation."»

Mais si le terrorisme est une réalité en Turquie et nécessite une lutte dans l’intérêt de la sécurité nationale, la fin ne doit pas justifier les moyens. La Cour a d’ailleurs affirmé que les « Etats ne jouissent pas pour autant d'un pouvoir illimité » en ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour poursuivre ce but.⁴ En effet la CEDH est aussi là pour contrôler ces moyens et constate fréquemment des violations injustifiées aux droits des kurdes commises en particulier par les forces de l’ordre (Chapitre l).En outre, toute opinion séparatiste est …

¹ arrêt AKSOY contre Turquie du 18 décembre 1996, paragraphe 13, recueil 1996-VI.
² Le Monde du 19 novembre 1998, p. 16 + institut kurde de Paris.
³ cf. arrêt précité, paragraphe 70.
⁴ cf. arrêt précité, paragraphe 68.

 




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