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L’opposition liberale dans l’Empire ottoman


Auteur :
Éditeur : EHESS Date & Lieu : 1987, Paris
Préface : Pages : 96
Traduction : ISBN :
Langue : KurdeFormat : 210x295 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Boz. Opp. N° 720Thème : Thèses

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L’opposition liberale dans l’Empire ottoman

L’opposition liberale dans l’Empire ottoman

Hamit Bozarslan

EHESS

Mardin, en expliquant la véritable aspiration des jeunes turcs précise que celle-ci n’était pas le désir de la liberté, mais celui d’empêcher le déclin de l’empire (1). En effet, la question qui s’est posée à la génération des jeunes ottomans, aussi bien qu’à la génération des jeunes turcs était la même : comment sauver "cet Etat" ? Le problème qui se pose aux intellectuels ottomans est le même qui se pose pour les intellectuels orientaux, de Perse à la Chine. Les intellectuels égyptiens, tels que Muhammad Abduh ou Salama Musa, Djamaladdin Al-Afghani en Perse, et les intellectuels ottomans, se trouvent face à une situation de retard effectif par rapport à l’occident. Le moyen de parvenir à la sauvegarde de l’indépendance ...



INTRODUCTION

En analysant la vie politique turque de I960 à 1980, nous constatons d’une part, que le modèle kémaliste, incarné dans une grande mesure par l’armée ne pouvait éviter une crise de légitimité ; et d’autre part que le libéralisme turc, ayant un long passé, était incapable de se démarquer de l’idéologie officielle et de devenir un garant de la démocratie. Ce mouvement libéral se montrait en effet, à de nnombreuses occasions, aussi intransigéant que l’armée. Leur confrontation était cependant inévitable, l’armée a pu à trois reprises, et d’une façon humiliante mettre fin à un gouvernement libéral soutenu par une majorité parlementaire. Cette révolution dramatique a surpris de nombreux observateurs. En effet, s’il n’était guère difficile de comprendre l’action politique de l’armée, il n’en était pas de même pour le gouvernement / l’opposition libérale. S’il est vrai que les débuts du libéralisme politique turc étaient tombés dans l’oubli, et que le parti de la justice de S. Demirel lui-même ne s’y référait plus, son alinénation idéologique et politique était cependant un fait à ne pas négliger. Le libéralisme turc s’appropriait au cours des décennies une partie importante de l’héritage étatique et se libérait ainsi de ses propres racines. Aucune de ces dispositions théoriques ou pratiques ne permettait d’établir un lien direct entre le libéralisme turc de 1960-1980 et celui de 1908-1914. Cette rupture étant évidente, la question de savoir si l’originalité de l’opposition libérale ottomane n’était pas liée justement à son "ottomanicité" s’imposait.

D’autre part, dans la Turquie d’entre 1960 et 1980, on assistait en même temps à une crise de légitimité de l’idéologie officielle et de l’héritage kémaliste. Cette crise se manifestait par des déchirures internes de la société, par l’instabilité et par des radicalismes politiques et par la terreur. La vie intellectuelle était devenue à la fois l’arène et le miroir de cette crise. Elle continue à l’être. On peut trouver certes, encore aujourd’hui, des intellectuels, prétendant que le kémalisme, ayant pour objectif "la turcification complète du pays", ou le pan—touranisme, avec l’idée d’un état musclé, peuvent devenir l’étape supérieure de la "civilisation greco-latine" (1) ou de "la lumière de Prome hé"(2). Mais les tabous commencent à se briser.
En 1987, lorsque l’armée, le problème kurde ou l’islam se sont finalement imposés comme des sujets de discussions, l’héritage de l’Etat autoritaire et "civilisateur" basé sur l’action de l’élite n’est revendiqué dans son ensemble que par l’Armée, et par certaines fractions de la gauche marxiste ou sociale— démocrate turque (3). Pour les autres, il s’agit de son rejet total ou partiel (4). Les intellectuels turcs de 1987 sont, dans leur diversifité, à la recherche d’une "nouvelle" synthèse : la synthèse turcoisi ami que (5), la synthèse "orientale-occidentale" (6) ou "isiamo-occidentale"(7). La légitimité de l’Etat unionisto-kémaliste n’est plus totale. Les multiples interventions de l’Armée semblaient chercher un remède à cette perte de légitimité. Cependant l’action politique de l’Armée n’aboutit qu’à une perte de prestige des militaires et accentue la crise de légitimité. "Ceux qui prêfèrent leur sécurité à leur liberté perdent les deux" dit Demirel, le chef "historique" du libéralisme turc en paraphrasant Lincoln.

Ce sont donc la crise du libéralisme turc et celle de la légitimité de l’Etat unioniste-kémaliste qui nous ont poussé vers le passé vers la période de 1908-1914, aux racines et à l’émergence du mouvement libéral. En effet, si la période jeune turque est importante au point de vue des pratiques du pouvoir, celles ci n’éclipsent nullement l’importance et l’originalité des pratiques oppositionnel1 es. Ces dernières sont riches, parce que variées, comprenant à la fois des modes d’action issues des tentatives de réforme de l’islam ; et une opposition “moderne" issue des idées essentiellement occidentales et des tentatives de leur amalgame. Grâce à cette oppositiion le problème de la "démocratie" s’actualise. Celle-ci, tout en se réclamant de la révolution de 1908 propose des réformes basées sur les "libertés". Le problème de la "légitimité" est aussi posé par elle dans une optique assez particulière : elle est à la recherche d’une "légitimité" ayant ses bases à la fois dans le système et l’héritaqe ottomane, et dans les "nouveaux principes de la révolution". Par ces soucis de synthèse entre "l’ancien régime" et la "révolution" (mots d’usage courant dans ses publications) par son refus de l’autorité étatique, du nationalisme, du pan-l’originalité des pratiques oppositionnel1 es. Ces dernières sont riches, parce que variées, comprenant à la fois des modes d’action issues des tentatives de réforme de l’islam ; et une opposition “moderne" issue des idées essentiellement occidentales et des tentatives de leur amalgame. Grâce à cette oppositiion le problème de la "démocratie" s’actualise. Celle-ci, tout en se réclamant de la révolution de 1908 propose des réformes basées sur les "libertés". Le problème de la "légitimité" est aussi posé par elle dans une optique assez particulière : elle est à la recherche d’une "légitimité" ayant ses bases à la fois dans le système et l’héritaqe ottomane, et dans les "nouveaux principes de la révolution". Par ces soucis de synthèse entre "l’ancien régime" et la "révolution" (mots d’usage courant dans ses publications) par son refus de l’autorité étatique, du nationalisme, du pan-islamisme, cette opposition semble être sans descendance dans la région. Elle est cependant bannie sous l’Union et Progrès et sous le kémalisme, et son nom passe pour le synonyme par excellence de la "réaction" alors même qu’elle se faisait le porte parole de la "Révolution".

Ce paradoxe qui est lui seul assez significatif ne peut être compris que si l’expérience jeune turque et les bouleversements qu’a connu la région entre 1905 et 1908 sont pris encompte.
Avant la révolution jeune turque dans l’empire ottomane, deux de ses états voisins connurent une expérience révolutionnaire : la Russie tsariste en 1905, et la perse en 1906 (8). Ces trois révolutions survenues plus de cent ans après la révolution française témoignaient le début de la nouvelle phase en Europe orientale et en Asie. Provoquées par des causes diverses, elles étaient en même temps les fruits de l’aboutissement des idées et des aspirations occidentales en Orient. En Russie la philosophie des lumières, puis l’idéalisme allemand avaient depuis longtemps contribués aux divisions entre les "occidentalistes" et les "slavophiles"(9). L’avènement du marxisme n’était pas sans rapport avec ces discussions brûlantes. En Iran, malgré l’importance de l’uléma, les idées occidentales étaient l’une des sources de la révolution (10) L’influence du mouvement révolutionnaire russe, la présence d’une communauté arménienne à la fois mobile et militante les activités et les idées d’un uléma réformiste tel Al Afghani, donnait à révolution un caractère non-traditionnel (11).
Finalement en Turquie où les idées de la révolution française avaient eu des échos contemporains, notamment dans la communauté grecques (12) et plus tard parmi les autres communautés, "l’occidentalisation" était déjà à l’ordre du jour dans les débats intellectuels (13). Comme nous le verrons plus tard, l’éloge de l’athéisme ne manquait pas dans les facultés de médecine et Paris, des jeunes turcs se faisaient les porte-paroles de la nouvelle religion mondiale : le posivitisme, dont le fondateur s’était montré si intéressé par l’empire ottomane (14).

Toutes les trois, ces révolutions se réclamaient de la liberté. Leurs causes immédiates étaient cependant ailleurs : la Russie tsariste venait de subir avec la guerre russo japonaise une très grande défaite militaire et les conséquences économiques et politiques de selles-ci se faisaient sentir. En Perse, il s’agissait d’un mouvement contre les monopoles étrangers, et dans l’empire ottoman, il était question d’une réaction fervente contre le "congrès" du réval qui aurait pu entraîner l’expulsion des turcs des Balkans. En Russie et en Perse il s’agissait de révoltes populaires, alors que dans l’empire ottoman c’était une révolte militaire, engendrée par des intellectuels. Ce point est important, car il explique très probablement les raisons pour lesquelles les jeunes turcs seuls ont pu accéder au pouvoir et peu-à-peu à s’y installer.
Avec eux s’installait également dans cette partie du monde, le premier régime autoritaire fondé sur un parti politique, essayant de forger une idéologie afin de se légitimer. Ce parti s’oriente progressivement vers un régime du Parti-Etat et étouffe, au moins provisoirement, toute opposition. En 1914, voire même en 1918, ce processus n’est certes pas encore achevé. L’armée reste un facteur du pouvoir ; les conflits internes du parti sont encore assez frappants au point d’obliger les chefs du comité d’Union et Progrès d’avoir des forces de frappe personnelles ; le régime doit encore chercher sa légitimité, non seulement dans le nationalisme et dans le scientifisme, mais également dans l’islam ; de larges secteurs de la société échappent encore à son contrôle. Le kémalisme parachèvera à partir de 1923 ce processus.

La pratique révolutionnaire jeune turc n’est pas facilement comparable aux pratiques de la Révolution française. Certes, il n’en reste pas moins que la référence jacobine et surtout l’exemple de la troisième république sont présents à la fois dans l’esprit des jeunes turcs et celui des kémalistes, et dans l’historiographie révolutionnaire turque. Le régime jeune turc nous donne le premier exemple, au proche-orient d’un régime autoritaire et d’un parti politique incarnant la raison, établi sur une base "scientifique" et sur une idéologie servant à légitimer ses projets. Les autres régimes autoritaires, le bolchévisme, les régimes autoritaires fascisants des balkans, et les régimes révolutionnaires arabes lui succèdent chronologiquement parlant et le kémalisme, héritier "organique" et idéologique du Comité (15) exprimera plus tard sa fierté de constituer avec le fascisme et bolchévisme, les trois régimes anti-démocratique du monde (16) Dès lors il n’est pas très surprenant de voir l’influence des idées "pre-totalitaires" comme les décrit Mardin (17) sur les turcs.

Si la période jeune turque a été l’une des périodes privilégiées de l’histoire turque, les aspects que nous venons d’évoquer ont été très largement négliges par les historiens et politologues turcs et etrangers. Or, un recul de plus d’un demi siècle turcs et étrangers. Or, un recul de plus d’un demi siècle, l’experience douloureuse de la démocratie turque depuis 1980 et les récentes évolutions dans le moyen orient arabe, nous poussent aujourd’hui à revenir sur cette période avec un renversement presque total de la problématique. D’autre part, la révolution jeune turc pose un problème histarigraphique analogue à celui de la révolution française et nous permet d’observer les points de convergences qui surgissent entre le comité d’Union et Progrès et le kémalisme d’une part, et entre ces deux mouvements et la gauche sociale-démocrate et communiste turques d’autre part. Il s’agit d’une conception hégalienne, trouvant dans l’histoire la raison porteuse d’une mission historique. L’analyse et la remise en question de cette sorte d’historiographie s’imposent aujourd’hui comme une condition nécessaire à toute recherche concernant cette période. Ces raisons justifient, nous le croyons, les réflexions sur cette dernière décennie de l’empire ottoman.

Le texte qui suit a pour but de dégager les traits caractéristiques de cette période et de poser quelques questions. Les limites imposées pour le mémoire du D.E.A. et l’état lui-même de nos recherches nous obligent à être schématique. Aussi nous avons dû être assez schématiques en ce qui concerne l’opposition libérale, qui est pourtant au centre de notre recherche : nous nous sommes contenter de la situer dans son époque et de donner un bref aperçu de ses positions en dégageant quelques thèmes. Cette méthode nous a permis d’avancer quelques hypothèses qui seront plus tard discutées et approfondies dans notre thèse. Il est clair, que nous avons négligé dans ce mémoire les désaccords internes de cette opposition et les points de vue différents de ses dirigeants. En outre, nous avons choisi de présenter quatre ou cinq de ses dirigeants comme éléments de références. Ce choix arbitraire nous a été également imposé par les limites de ce mémoire.

En contre partie, pour rendre le texte intelligible, nous avons été obligés d’accorder une place relativement importante à l’évolution du Comité d’Union et progrès et à celle de l’opposition islamique, avant d’aborder notre sujet proprement dit.

Chapitre : I - La vie politique turque de 1908 à 1914

I) L’Union et Progrès dans la scène politique.

Mardin, en expliquant la véritable aspiration des jeunes turcs précise que celle-ci n’était pas le désir de la liberté, mais celui d’empêcher le déclin de l’empire (1). En effet, la question qui s’est posée à la génération des jeunes ottomans, aussi bien qu’à la génération des jeunes turcs était la même : comment sauver "cet Etat" ? Le problème qui se pose aux intellectuels ottomans est le même qui se pose pour les intellectuels orientaux, de Perse à la Chine. Les intellectuels égyptiens, tels que Muhammad Abduh ou Salama Musa, Djamaladdin Al-Afghani en Perse, et les intellectuels ottomans, se trouvent face à une situation de retard effectif par rapport à l’occident. Le moyen de parvenir à la sauvegarde de l’indépendance et de la puissance se pose alors dans le terme d’occidentalisation, semblant être l’avenir unique de l’humanité. Dès lors, plusieurs dilemmes émergent devant l’intellectuel oriental : il est en face de l’équation impossible entre la civilisation et la science européennes et la religion. Il se voit obligé de changer la situation par la révolution, alors qu’il est conscient de la nécessité de l’ordre et de l’intégralité territoriale. Il est, en outre coincé entre l’ordre moral traditionnel et le système de valeur occiental.

La modernisation calque le modèle étatique français ou prussien, devient une nécessité en même temps que de moderniser la tout en la maintenant en ordre, sont les … 

 




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