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L'Irak: 1970-1990, déportation des Chiites


Auteur : Multimedia
Éditeur : Compte d'auteur Date & Lieu : 1996, Paris
Préface : Pages : 238
Traduction : ISBN : 2-9508641-1-2
Langue : FrançaisFormat : 145x215 mm
Code FIKP : Liv. Fra. 2957Thème : Politique

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Table des Matières Introduction Identité PDF
L'Irak: 1970-1990, déportation des Chiites

L' Irak : 1970-1990, deportation des Chiites

Dans les années 1970-1990, les Chiites d'Irak qui représentent plus de 55% de la population de ce pays, vont subir une campagne de déportation massive. Au delà de cet événement peu connu de l'opinion publique, le présent livre ne met pas seulement en évidence les causes, les différentes étapes de cette politique et les conséquences dont la plus notoire demeure: la naissance du Conseil Supérieur de la révolution islamique en Irak, pivot central de l'opposition islamiste contre lepouvoir de Saddam Hussein, mais étudie aussi leurs dogmes, leurs villes saintes et leurs relations avec lepouvoir de Bagdad et les élites arabo-sunnites depuis la naissance de l'Etat irakien.

 


INTRODUCTION

"Plus jamais de chiites à partir de ce jour"

Tel était le slogan proclamé sur les banderoles des chars de la garde républicaine et des forces spéciales de Saddam Hussein, lorsqu'elles ont entrepris le massacre et la répression des chiites dans le sud du pays en mars 1991.

Ces forces ne faisaient, par ailleurs, qu'exécuter un ordre qui leur avait été donné par Saddam Hussein en personne : "décapiter les chiites traîtres".

Les forces spéciales et celles de la garde républicaine permirent ainsi au régime de rétablir son emprise sur les villes chiites dont les insurgés s'étaient emparées auparavant. Les deux parties en présence étaient loin d'être égales: d'un côté des simples combattants, armés de fusils et de quelques armes blanches ; de l'autre, l'armée de Saddam, considérée comme la cinquième armée mondiale, qui n'hésita pas au moyen de ses hélicoptères, au vu et au su des alliées de mater dans le sang la révolte des chiites.

Des dizaines de milliers de chiites furent ainsi massacrés; des cadavres de martyrs s'empilaient dans les rues et sur les trottoirs et furent laissés là pendant plusieurs jours pour servir d'exemple à tous ceux qui auraient été tentés par la rébellion. De nombreuses villes chiites furent détruites par les bombardements et ravagées par les forces de Saddam Hussein, ainsi que des lieux de culte et les villes saintes de Najaf et Kerbala. Des centaines de milliers de personnes furent arrêtées, emprisonnées et cruellement torturées jusqu'à ce que mort s'en suive.

La révolte des chiites d'Irak eut lieu à la suite de la défaite subie par l'armée de Saddam Hussein lors de la libération du Koweït de l'occupation irakienne. En effet, le régime perdit toute autorité, un laps de temps, notamment dans le sud du pays où certaines zones avaient été provisoirement occupées par une partie des forces alliées. Ainsi, les masses purent-elles exprimer librement leurs sentiments, pour la première fois depuis très longtemps, envers le régime de Saddam Hussein,- et sans crainte de répression.

Cette expression libre et populaire prit la forme d'une révolte populaire et d'une forte contestation des valeurs et des institutions du pouvoir même du parti Baa'th en Irak. Le mouvement de protestation s'étendit à tout le sud du pays et certaines régions échappèrent complètement à l'autorité du régime.

Au Kurdistan irakien, là aussi, les masses populaires exprimèrent leur rejet total et sans appel du régime de Saddam Hussein; ce régime avait, entre-temps, fait déporter plus de deux millions de kurdes, détruit plus de quatre mille villages et massacré des dizaines de milliers d'innocents kurdes, de différentes façons dont l'une d'entre elles, à jamais gravée dans les esprits, par les armes chimiques, à Halabja en 1988, ainsi qu'à Anfal (nom d'origine coranique, donnée à la campagne de guerre menée contre les kurdes en 1988 et 1989 où tous les moyens de destruction par l'armée irakienne ont été utilisés) où plus de cent quatre vingt deux mille kurdes ont trouvé la mort.

La défaite de l'armée de Saddam et la révolte chiite ont permis aux kurdes de se révolter et de libérer leur territoire de l'emprise du régime. La libération concerna presque la totalité du territoire kurde, y compris Kirkuk, ville kurde riche en pétrole.

Saddam Hussein resta uniquement maître de la capitale Bagdad et de quelques petites villes du centre du pays, comme Takrit, sa ville natale, Al Ramadi, Falloujah et Samara. Quand le régime du Baath et Saddam se trouvèrent dans une situation très critique, l'Occident décida, à tort ou à raison, de lever le blocus militaire qui étranglait les forces de Saddam dans le sud du pays, ce qui permit à ce dernier, de regrouper ses armées et de reprendre l'initiative au sud comme au nord; notamment, après avoir compris le feu vert qui lui était donné implicitement par les alliés de mater la rébellion chiite du sud et surtout après l'autorisation accordée à ses hélicoptères de survoler les zones en question. La garde républicaine et les forces spéciales purent ainsi reprendre l'offensive. Elles intervinrent en premier lieu au sud du pays, puis se dirigèrent vers le nord, au Kurdistan d'Irak; elles détruisirent les villes, saccagèrent les cités et la région en la bombardant massivement et systématiquement, au moyen d'hélicoptères et d'artillerie lourde. Ce fut alors l'exode de plus de deux millions de kurdes vers les frontières irako-iraniennes et irako-turques, s'enfuyant précipitamment, marchant pieds nus, pendant plusieurs jours à travers les montagnes inaccessibles, au climat très rude; des milliers d'enfants et de vieillards trouvèrent la mort et furent tous inhumés dans des fosses communes.

La communauté mondiale prit conscience de la tragédie du peuple kurde dans toute son ampleur et sa cruauté. Ce spectacle déplorable transmis par tous les médias du monde marqua avec force l'opinion publique occidentale qui effectua alors des pressions en direction de ses gouvernements pour intervenir en faveur de la protection des kurdes, afin de lever la menace de génocide qui pesait sur eux. Les alliés décidèrent donc de proclamer le 36eme parallèle zone de sécurité et d'interdire le survol des avions irakiens et l'intervention des forces terrestres. C'est ainsi que les kurdes purent rentrer chez eux. Grâce à la protection internationale, le Kurdistan connut enfin la paix et la sécurité. La terreur disparut et la démocratie s'installa. Des élections libres eurent lieu et donnèrent naissance à un gouvernement kurde au Kurdistan d'Irak. Cependant, ce gouvernement et le peuple kurde, dans son ensemble, rencontrèrent un grand nombre de difficultés économiques (reconstruction de villages détruits, réhabilitation des déportés etc...). De plus le blocus économique frappa doublement le peuple kurde, car, en plus des mesures d'embargo économique décidées par la communauté internationale contre l'Irak dans sa totalité, les kurdes ont, jusqu'à maintenant, à souffrir d'un autre type de blocus - celui appliqué par le régime de Saddam Hussein contre leur propre territoire.

Si actuellement les kurdes sont à l'abri du totalitarisme du régime de Saddam Hussein, cela n'est malheureusement pas le cas des populations chiites dans le sud du pays.

Les chiites continuent en effet d'être l'objet de la répression du régime et ce, en dépit de l'interdiction de survol, imposée aux forces de Saddam par les alliés, au-delà de ce que l'on a baptisé le 32ème parallèle. Cette interdiction ne concerne que le domaine aérien, ce qui laisse aux troupes terrestres du régime, toute liberté d'intervention dans les zones de leur choix appuyées par l'artillerie lourde et un arsenal sans commune mesure avec l'armement léger dont disposent les rebelles du sud.

Les actions entreprises contre les rebelles chiites réfugiés dans la région «d'Al Ahwar", région marécageuse, prouvent de façon éclatante, l'aggravation de la politique de répression engagée par les autorités de Bagdad contre les populations chiites. Ces autorités décidèrent de mener une politique visant à l'assèchement des zones marécageuses d'"Al Ahwar» et la déportation de toutes les populations de cette région, détruisant ainsi tout son éco-système ainsi qu'un mode de vie vieux de plusieurs siècles.

Sur le plan politique, les différents pouvoirs, qui se sont succédés en Irak, ont bien montré que l'élite arabo-sunnite »nationaliste arabe» au pouvoir dans ce pays, depuis la naissance de l'état irakien dans les années 1920, a pratiqué deux politiques à la fois : la première à caractère confessionnel hostile à la majorité chiite, dont l'une des conséquences fut la déportation; la seconde, à caractère racial et de ségrégation, aux dépens des populations kurdes.

L'expérience d'un tel pouvoir a donc prouvé son inaptitude à gouverner une société aussi cosmopolite ethniquement et confessionnellement parlant que la société irakienne, sans omettre le fait qu'il s'agit du pouvoir de la minorité aux dépens de la majorité, violation flagrante des principes élémentaires de droit et de démocratie.

Ce caractère confessionnel et racial de la politique menée par les différents pouvoirs en Irak connut sa plus forte expression après l'arrivée au pouvoir en 1968, pour la deuxième fois, du parti Baath, et tout particulièrement, à partir de 1979 avec le couronnement de Saddam Hussein comme maître absolu de l'Irak.

Saddam Hussein et son régime conduirent l'Irak et les irakiens à la ruine totale à cause d'une politique intérieure basée sur la répression de l'ensemble des composantes de l'opposition irakienne (démocrates, communistes, nationalistes arabes et partis religieux) et un confessionalisme à outrance concernant les chiites (aggravation du caractère arabo-sunnite de l'appareil de l'État et de tous les rouages du pouvoir) d'une part et des guerres à caractère racial contre les kurdes et d'autres ethnies tels que lesAssyro-chrétiens d'autre part; et une politique régionale de menace permanente, d'agression ouverte et d'occupation des pays voisins (comme ce fut le cas avec l'Iran et le Koweït).

Ce régime est en contradiction avec les intérêts même du peuple irakien et de tous les peuples de la région et constitue une menace pour la stabilité de cette région, la paix et la sécurité dans le monde.

En fait, la seule alternative viable, à notre avis, réside donc dans l'avènement d'un régime démocratique, avec garantie du pluralisme et de l'alternance, reconnaissance et respect des droits de l'homme et ceux de toutes les composantes confessionnelles et ethniques qui forment la Société irakienne, et tout particulièrement, la reconnaissance du droit du peuple kurde à l'auto-détermination et à la définition des liens entre la région kurde et l'autorité centrale.

En ce qui concerne la déportation, nous pensons que la dénonciation par l'Irak du traité d'Alger en 1975 (traité signé à Alger entre l'Irak (représenté par Saddam Hussein, alors vice-président de la République) et l'Iran (représenté par son ex chah sur le partage du Chatt-El-Arab) à la suite de l'avènement de la République Islamique en Iran, l'arrivée de Khomeiny au pouvoir et le déclenchement de la guerre entre l'Irak et l'Iran en 1980 après l'incursion de l'armée irakienne dans le territoire iranien furent les principaux événements qui permirent au régime de Saddam Hussein de justifier sa politique de déportation, vers les frontières iraniennes, des populations chiites d'Irak sous prétexte qu'elles sont d'origine iranienne.

Mais, il faut souligner que ce prétexte ne repose sur aucun fondement historique, politique ou juridique sérieux et qu'il représente une violation flagrante des principes de droit international - auxquels l'État irakien a souscrit - et des droits de l'homme.

De plus, l'argumentation du régime irakien ne se justifie pas devant l'analyse car on ne peut attribuer à tous les déportés le "label d'origine iranienne». Quant aux déportés kurdes faylis (la majorité des kurdes de Bagdad et de certaines villes frontalières avec l'Iran) et persans, depuis longtemps naturalisés irakiens, il faut noter, une fois encore la légèreté de l'alibi avancé par les autorités irakiennes; car, comment peut-on se permettre de chasser de leur pays des personnes considérées par la constitution irakienne elle-même, et, en vertu du code de la nationalité, comme des citoyens irakiens à part entière !

Peut-on imaginer, par exemple, ce que donnerait l'application d'une telle politique dans un pays comme la France ? Il faudrait alors déporter plus d'un tiers des français, sous prétexte qu'ils sont d'origine étrangère. Cela est absurde! Revenons au cas de l'Irak et disons que l'attitude du régime irakien est des plus contradictoires.

En effet, tout en déportant des dizaines de milliers de familles, les autorités irakiennes continuent de maintenir arbitrairement en prison, depuis 1980, les enfants de ces familles âgés de 18 à 35 ans et qui représentent environ dix mille individus, pour la plupart des kurdes faylis.

S'ils sont d'origine iranienne (comme leurs propres parents) et aux dires du gouvernement, pourquoi ne les a-t-on pas déportés? S'ils ont commis un délit, et ce n'est pas «le cas», pourquoi ne les a-t-on pas encore jugés?

Par ailleurs, le régime irakien avait pris soin, pour influencer le monde arabe et l'Occident, de favoriser l'idée que les chiites d'Irak étaient des communautés d'obédience étrangère (Iran), ce qui se révèle faux. Il s'agissait encore et uniquement d'un alibi avancé pour justifier la politique de répression menée par les autorités du Baath contre ces dernières. Tout individu, qui n'adhère pas à l'idéologie d'un tel régime, est considéré ipso facto comme un ennemi juré. Cela est d'ailleurs caractéristique à tous les régimes totalitaires. En effet, lorsque l'on sait que les chiites représentent entre 55% et 60% de la population irakienne, perçoit mal comment une communauté aussi importante pourrait s'inscrire, dans son ensemble, dans cette démarche. Comme toute autre communauté, les chiites comptent parmi eux des communistes, des islamistes, des neutres et même des baathistes qui représentent d'ailleurs un nombre considérable de la base du parti Baath.

Ce livre n'a pas pour objet d'évoquer l'ensemble des différentes et multiples atteintes aux droits de l'homme subies par les chiites en Irak. Nous n'en citerons qu'une seule: la politique de déportation subie par les chiites dans les années 80, ses origines et son évolution. Nous tenterons ainsi d'ébaucher l'étude de toute une période de l'histoire de l'Irak moderne et des rapports entretenus entre le pouvoir et les chiites.

Nous sommes conscients que cet ouvrage ne présente pas une vision complète du sujet mais nous souhaitons qu'il apporte au lecteur des éléments nouveaux d'information et d'analyse sur la situation de la communauté chiite en Irak.


PRÉFACE

Le livre de Ali Babakhan est d'abord un témoignage. Il montre comment une discrimination multiséculaire à l'encontre de la population chiite a abouti, dans l'Irak de Saddâm Hussayn, à une politique planifiée d'exils massifs hors des frontières et de déplacements de populations à l'intérieur du pays, ce que l'auteur rassemble sous le terme générique de «déportations».

Moins connu que la tragédie kurde, le sort des chiites irakiens n'en est pas moins inquiétant. Parmi ces derniers, la communauté chiite a payé un prix fort. Considérée comme «non-irakienne», ses membres ont été expulsés par familles entières vers l'Iran. Mais Ali Babakhan pose également une question particulièrement grave. Le nationalisme moderne dans sa version la plus exclusive s'accompagne partout d'une conception de la citoyenneté qui exclue des communautés entières. Ces conceptions raciales, pour ne pas dire racistes, étaient encore inconnues dans les trois vilayets ottomans dont le territoire allait constituer le futur Irak.

Certes, il existait depuis la conquête musulmane des manifestations de ce que l'on désigne comme la «sh'ûbiyya». Il s'agissait du refus de nations, au sein de la communauté islamique, de reconnaître la primauté des Arabes. Les aléas de la coexistence entre Arabes, Persans, Turcs avaient, à la fin de la période ottomane, pris un tour plus acrimonieux, à cause de la politique chauvine et confessionnelle des Ottomans. Mais on ne saurait oublier que l'Irak fut le creuset d'une civilisation islamique brillante où les cultures se mélangeaient dans un foisonnement unique. Les villes de l'Irak abbasside sont entrées dans la légende comme foyers de cultures et de sciences.

L'État irakien moderne a manifesté une rupture majeure dans l'histoire du pays. Fondé en 1920 sous les auspices britanniques, le nouvel «État arabe» soumis au mandat de la Grande-Bretagne a d'abord été considéré comme une véritable machine de guerre contre deux des plus importantes communautés du pays — les chiites et les Kurdes, qui forment près des trois quarts de la population. Les élites arabes sunnites au pouvoir ont adhéré à une conception de la citoyenneté qui contredit ce que fut le pays des siècles durant : un carrefour de civilisations. Le code de la nationalité irakienne reflète cette conception. Des familles installées en Irak depuis des siècles et qui n'ont aucune attache avec d'autres pays ont été considérées comme «non-irakiennes» au regard de ce nouveau code. En même temps, le gouvernement accorde la nationalité irakienne à des ressortissants d'autres pays arabes, parce qu'ils sont Arabes et sunnites. Comme c'est souvent le cas, le nationalisme exclusif est avant tout un paravent à l'accaparement du pouvoir par une minorité. Le mérite de ce livre est d'en dévoiler la face la plus sombre.

Pierre Jean LUIZARD
Paris, juin 1994




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