REMERCIEMENTS
C’est Claude-Claire Kappler qui a éveillé par ses recherches médiévales mon intérêt pour Riccold de Monte Croce, parmi tant de voyageurs du 13e siècle. Je dois beaucoup à Jean Richard et à Jean-Paul Roux pour leurs travaux, leur amitié et leurs encouragements. Je suis très reconnaissant au père Jean-Marie Mérigoux, dont l’étude et l’édition du Contra Legem Sarracenorum m’ont véritablement ouvert l’accès à Riccold, et qui m’a fait connaître, pour les Lettres, sa traduction de travail. Monsieur Gérard Achten, Conservateur de la section des Manuscrits de la Staatsbibliothek de Berlin s’est intéressé personnellement au manuscrit de Riccold et a bien voulu me donner de précieuses indications. Madame Marie-Joseph Pierre, avec un savoir plein de générosité, a été, pour plus d’un site de Terre sainte, le « guide » par excellence. François Dolbeau m’a très obligeamment éclairé sur des points de paléographie. Marie-Dominique Even m’a aidé à résoudre certaines de mes questions qui restaient en suspens. Je remercie Madame Sanchez et Madame Colin pour l’aide technique qu’elles m’ont apportée dans la réalisation du manuscrit.
J’exprime enfin toute ma gratitude à Jean Dufoumet qui accueille Riccold dans les Classiques du Moyen Âge.
Introduction
En 1288 débarque à Saint-Jean d’Acre (Accon) Riccoldo da Monte Croce¹, missionnaire dominicain de Florence, du couvent de Sainte-Marie-Nouvelle.
C’est à Baghdad qu’il apprend, trois ans plus tard, la chute de Saint-Jean d’Acre (18 mai 1291), le massacre de trente de ses frères et du patriarche Nicolas. Il voit affluer sur le marché de Baghdad les survivants promis à la servitude. Il y achète un psautier, et même une tunique de son ordre, transpercée et auréolée de sang. Angoisse profonde, scandale pour la foi et tentation du désespoir qu’il exprime et conjure dans d’admirables « Lettres à l’Eglise triomphante... Com-mentatorie de perditione Accords ».
Histoire sanglante, sur fond de désastre. Le Royaume latin de Terre sainte s’effondre, mais la mission de Riccold n’est pas de soutenir cet empire par les annes, elle est de conquérir et de sauver des âmes. Qui est Riccold ?
Ce florentin, né vers le milieu du siècle (vers 1243 ?) a fait de solides études profanes dans diverses universités. Puis il est entré à Sainte-Marie-Nouvelle, chez les Frères prêcheurs. Deux de ses frères l’y rejoindront. Famille de prêcheurs ! Le Nécrologe nous dira ses vertus, sobrement : c’est un bon religieux, d’une grande dévotion, attaché à la règle, cultivé, plein d’élévation et de ferveur, en grande faveur auprès du peuple.
Enflammé de zèle pour répandre la foi chrétienne, il se rend en Orient, ad interiora gentium penetrans. Retenons cet interiora gentium : il va « au plus intérieur », ce n’est pas sur la frange, c’est au cœur du pays sarrasin, à Baghdad qu’il ira accomplir sa mission. Il passe ainsi une dizaine d’années en Orient.
Dans le vaste mouvement missionnaire qui prend son essor au XIIF siècle, il n’est pas le seul, ni le premie?, mais son témoignage reste exceptionnel. De ces années riches d’expériences et d’épreuves, il s’empressera de recueillir et de transmettre le fruit : souvenirs, joies et peines, rencontres, savoir acquis et approfondi, mais tout cela pour un programme d’action et de mission destiné à ceux qui prendront la relève.
L’œuvre de Riccold
Cette œuvre, tout entière inspirée par son expérience de missionnaire, s’impose par son unité. Quatre ouvrages présentent les deux versants d’une même réalité.
Les Lettres et la Pérégrination sont étroitement unies. La vocation, la passion religieuse de Riccold, les découvertes et les épreuves subies s’inscrivent dans les deux recueils : la personnalité de Riccold s’y exprime, mais en s’y reflétant diversement.
Sur l’autre versant, deux ouvrages didactiques : le Contra legem Sarracenorum et le traité Ad Nationes orientales : la personne de Riccold s’y efface derrière les connaissances qu’il veut transmettre. Le Contra legem Sarracenorum est une présentation et une réfutation systématique et passionnée de l’islam et du Coran. Riccold y a mis tout le savoir que sa connaissance de l’arabe et le contact direct de l’islam à Baghdad lui ont permis d’acquérir, mais il s’appuie aussi sur des données livresques : de saint Thomas, son confrère de l’Ordre dominicain, à VAlpholica, et à d’autres traités antérieurs.
Le Contra legem Sarracenorum a fait date, il a connu un long succès au cours des siècles, même quand l’auteur en fut à peu près oublié, au point que, traduit en grec, il fut l’objet d’une «rétroversion» en latin ! Luther, à une époque où la menace turque se fait toujours sentir, le découvre, et le traduit² ³.
L’autre traité, Ad Nationes orientales, «est un véritable manuel à l’usage des missionnaires⁴». Le titre devrait être plutôt De Nationibus …
1 Riccoldo en italien, Ricculdus en latin (MÉrigoux, p. 1, n. 1). Nous préférerons en français Riccold, pour que l’accent tonique italien reste à sa place. — Pour les abréviations utilisées, voir, à la suite de l’introduction, Sigles et Abréviations. |