La bibliothèque numérique kurde (BNK)
Retour au resultats
Imprimer cette page

Maghreb Machrek, n° 222 : Le Kurdistan


Auteurs : | | | | | | |
Éditeur : Eska Date & Lieu : , Paris
Préface : Pages : 130
Traduction : ISBN : 978-2-7472-2474-1
Langue : FrançaisFormat : 150x230 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Dag. Mag. N° 5064Thème : Général

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
Maghreb Machrek, n° 222 : Le Kurdistan


Maghreb Machrek, n° 222 : Le Kurdistan

Jean-François Daguzan


Eska


En Égypte, la lutte à mort entre l’armée et les Frères Musulmans qui, en juillet 2013, abouti au renversement de Mohammed Morsi, premier président du pays élu démocratiquement, a mis en lumière l’absence d’une société civile à même de s’affirmer Cette carence émerge comme un trait fondamental de la société arabe alors qui s'expriment sous des formes variées des changements politiques et sociaux au Moyen Orient et en Afrique du Nord. La présence parfois écrasante des armées sur la sceine politique arabe est le fruit des processus de constitutions des Etats de la région après la première guerre mondiale et dans la période de décolonisation. Selon les cultures ou l’histoires respectives de chaque pays, le rôle et la place des armées sont différent Cependant la cristallisation dictatoriale qui s’est effectuée au fil des années a fait progressivement peser une chape de plomb sur les sociétés locales. Perçus comme progressiste au début, les militaires et les autocrates arabes au lieu d’encourager le développement de la société civile, se sont essentiellement appuyés sur toute la gamme des moyens répressifs - tout en achetant la paix civile avec les surplus des rentes de situation économiques (pétrole, tourisme, etc.). Au moment où la crise économique mondiale a fait éclater les modèles anciens, qu’est-il aujourd’hui de la relation armée-société et qu’en sera-t-il demain ?
Ce travail collectif veut éclairer le lecteur sur la relation civile-militaire dans un certain nombre de pays arabes et en Iran au moine ; où coexistent des processus de transformation réussis, en cours ou ratés. Les divers contributeurs à ce volume proposent des éclairages circonstanciés pour analyser le rôle des armées à la suite des différentes révoltes populaires qui ont balayé le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Ce volume représente une contribution importante pour la compréhension du rôle des militaires et des transitions auxquels les pays sont ou ne manqueront pas d’être confrontés. Ces relations conditionneront, d’une part, la stabilité de chacun de pays concernés et, d’autre part, la paix et la sécurité de la région.

Jean-François Daguzan est directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (Paris) et directeur de la revue Magheb-Machrek.

Stéphane Valter est maître de conférences (habilité à diriger des recherches) à l’Université du Havre, agrégé d'arabe et docteur à l’institut d’études politiques (IEP) de Paris.

James M. Dorsey est Senior Fellow à la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS, Nanyang Technological University co-directeur du Institute for Fan Culture (Universitàt Würzburg) et auteur du blog The Turbulent World of Middle East Soccer.



INTRODUCTION AU DOSSIER SUR LE KURDISTAN

Stéphane Valter*

Ayant entamé des études de langue et de civilisation arabes à La Sorbonne Nouvelle dans les années 1980, un certain tropisme disciplinaire -probablement le reflet académique du chauvinisme arabe à l’égard d’autres peuples, dont l’une des expressions les plus violentes est le nationalisme arabe dans sa version baathiste - m’avait plus ou moins éloigné du peuple (ou des peuples ?) kurde(s). J’avais bien connu des étudiants kurdes d'Iraq à l’université, mais mon empathie avec leur histoire spécifique avait été -hélas - éclipsée par des actions iraqiennes de propagande, telle la représentation d’un magnifique orchestre de musique arabe, envoyé à grands frais de Baghdad pour faire accroire au public français (d’une ville cossue et fort droitière de la banlieue ouest de Paris) que le régime soi-disant laïc de Saddâm Husayn nous défendait de l’obscurantisme de la République islamique d’Iran. C’était l’époque où la droite française flirtait sans ambages ni remords avec un régime sanglant, vendant armes et munitions en fermant les yeux sur les atrocités de la guerre entre les deux pays comme sur les exactions commises par le tyran contre sa propre population. Qui ne se souvient du baiser du président Chirac au bourreau venu acheter une centrale nucléaire ? Les douteuses affinités d’une partie (souvent extrême) de la droite avec des dictateurs arabes sont connues ; elles persistent encore aujourd’hui, sous le prétexte fallacieux de lutter contre un islam radical, alors que la vraie raison est la recherche d’un soutien financier occulte pour nos campagnes électorales, quand il ne s’agit pas de simples intérêts privés.

Dans cette fange morale intolérable, certains hommes politiques s’enrichissent sur les cadavres des pauvres, dont les Kurdes font partie.
Quand la barbarie de l’attaque chimique iraqienne - le 16 mars 1988 -contre les Kurdes de la ville du Kurdistan oriental d’Iraq, Halabja, fut connue, grâce aux épouvantables photographies de civils asphyxiés, je me révoltai, comme tous les êtres raisonnables. Je souffris mentalement, puis cette meurtrissure fut gravée dans ma chaire (comme pour d’autres holocaustes, quelle qu’en soit l’ampleur, dont j’avais été témoin, par les images et les témoignages). Ce n’est qu’en décembre 2013, à l'occasion d’un colloque organisé à Erbil, que je pus enfin me rendre dans cette ville martyre, et en quelque sorte dépasser cette épreuve. Pèlerinage cathartique, pour assumer un traumatisme qui me hantait, et expiatoire, pour taire pardonner, de manière dérisoire, que les avions qui avaient lâché des produits chimiques allemands avaient été vendus par la patrie des droits de l'Homme. Au cimetière des quelque 5 000 martyrs était écrit, en kurde (la langue que les bombes n’avaient pu éradiquer), en arabe (par vengeance ?) et en anglais (pour prendre l'humanité à témoin) : Accès interdit à tout membre du parti Baath. L’idéologie baathiste, si elle comporte quelques aspects qui semblent positifs, comme une certaine forme de socialisme et de laïcité, tombe vite victime de sa propre logique totalitaire, car la mise au pas de la société - au prétexte illusoire de mobiliser toutes les forces dans la recherche du progrès - ne s’accomplit que par la répression, quand ce n’est l’anéantissement.

L’expérience syrienne est probablement moins traumatisante pour les Kurdes, car il n’y a pas eu de génocide. Mais les déplacements forcés de population dans les années 1960, la privation collective de nationalité, la déchéance des droits socioéconomiques, l’étouffement culturel, sans parler de la coercition généralisée (avec arrestations arbitraires, torture, exécutions extrajudiciaires), ont laissé des plaies béantes. Il est donc probable que la tentation de l’irrédentisme soit aujourd’hui la plus forte. La défiance vis-à-vis de Damas n’empêche toutefois pas certaines milices kurdes de collaborer ici et là avec l’armée « régulière », ou du moins de ne pas s’opposer frontalement, mais ce n’est que pour se protéger de la furie des terroristes islamistes, qui déshumanisent leurs adversaires en les anathématisant, se permettant ensuite d’asservir et de violer les femmes comme de liquider les hommes. Il est aussi plausible qu’un certain racisme arabe alimente cette haine, la direction de « l’Etat islamique » étant composée de beaucoup d’Arabes irakiens, sans compter les nombreux volontaires arabes qui viennent de lointaines contrées pour participer à l’hallali. Cette exécration vis-à-vis des Kurdes et de leurs aspirations se trouve renforcée par une sorte de xénophobie articulée dans les rangs d'une partie importante de l'opposition syrienne, qui rejette toute idée de séparation, vivant dans le mythe -baathiste ? - de la grandeur de la nation arabe et de l'unité nécessaire du territoire, lieu sacré de mémoire, monopolisé par un seul groupe.

N'étant pas spécialiste de la Turquie, je ne m’aventurerai pas sur ce terrain, mais me permets deux remarques. La première a trait au génocide des Arméniens, en 1915-1916. Informé depuis longtemps de cette tragédie, devenue plus claire en mon esprit après des recherches dans des archives historiques à Istanbul, documentées par moult rapports, témoignages et photographies, je crus saisir pleinement l’ampleur du drame en visitant un modeste mais émouvant mémorial, adjacent à une église arménienne sise en la ville syrienne de Dayr al-Zôr, sur l’Euphrate (aujourd’hui un fief des terroristes de l’ÉI). C’est en effet dans cette région steppique, d’une chaleur excessive en été et terriblement lroide en hiver, que ceux qui purent échapper à la folie génocidaire des Jeunes Turcs échouèrent, après une marche forcée épuisante, parfois réduits en esclavage par de cruels bédouins, parfois sauvés par d’autres nobles nomades. Il est notoire que de nombreux supplétifs kurdes participèrent, activement ou non, à l’extermination et à la déportation des civils arméniens. Ironie du sort - c’est ma seconde remarque -, la République turque qui naquit des cendres de l’Empire ottoman et des monstruosités des Jeunes Turcs « modernisateurs » refusa toute reconnaissance culturelle aux populations kurdes, les qualifiant avec condescendance de « Turcs des montagnes », inaugurant de la sorte un nouveau cycle de marginalisation. Les acolytes des bourreaux d’hier devinrent ainsi, en un sens, des victimes. Les rapports entre communautés, au Moyen-Orient (et dans l’histoire humaine, plus généralement ?), ne semblent ainsi pouvoir s’exprimer que par la violence, qui broie tout le monde, à tour de rôle.

Avant de présenter les papiers des contributeurs, je voudrais parler de poésie. De Mahmùd Danvîsh précisément. Car c'est un poète remarquable, et car il est palestinien. Le drame des Palestiniens, chassés de leur terre, n’est-il en effet pas similaire à celui des Kurdes ? Deux peuples sans État-sans État protecteur -, éparpillés, divisés, oubliés. Mahmùd Darwîsh a composé un poème où il met en scène les Kurdes. Avait-il des amis kurdes ? Était-il sensible à la tragédie des Kurdes ? Ou voulait-il, sincèrement et humblement, faire pardonner les infamies des mercenaires palestiniens embrigadés dans l’armée de S. Husayn, qui participèrent servilement à l’extermination des civils kurdes - hommes, femmes, enfants, vieillards et même animaux - lors de la campagne militaire dite Anfâl (ou Butin, du nom d’une sourate coranique), entre 1986 et 1989, qui culmina dans le ga-zage de la ville de Halabja ? Anfâl... Entre 50 et 100 000 civils tués, des milliers de villages rasés... Durant mes quelques jours au Kurdistan d’Iraq, en décembre 2013, j’étais admiratif des progrès du développement économique. Mais sachant que tout n’était que récent, et peut-être éphémère, je cherchais des indices plus profonds reliant les hommes à la terre. J’étais à l’écoute de la nature pour voir si la terre était vraiment kurde, comme la terre de Gazza est arabe, ainsi que l’avait ingénument mais résolument exprimé un paysan de cette minuscule zone, lors d’un reportage. Ce que je retiens le plus, encore aujourd’hui, c’est le frémissement du vent, irrégulier et parfois impétueux, qui passait sous les fenêtres, m’empêchait de dormir, à cause du bruit et du froid. Je ne pus que faire le lien avec le poème de Mahmùd Darwîsh intitulé Le Kurde n’a que le vent. En voici quelques extraits :

Quand je lui rends visite, le Kurde pense au lendemain, puis il le chasse, comme la poussière avec le balai. Éloigne-toi ! Les montagnes ne sont que les montagnes. Puis il boit de la vodka pour que l'imagination ne soit pas altérée. Je suis le voyageur dans son périple, et les grues sont mes stupides sœurs. L’ombre éparpille mon identité, qui est la langue. Moi... et moi. Je suis la langue. Je suis exilé en ma langue. Mon cœur est la braise du Kurde au-dessus des montagnes bleues. [...] Ce voyageur n’en est point un, quel que soit le point de vue. Le nord devient le sud. L'orient, en mirage, est l'occident. Les vents n'ont pas de valises, et la poussière n’a aucun travail. [...] Je n'aimerai guère plus, ni moins, la terre que le poème. Le Kurde n ’a que le vent. Ils habitent l’un dans l’autre. Ils se fertilisent mutuellement, afin d’échapper aux contingences de la terre et des choses. [...]

L’article de Halkawt Hakem sur « La longue marche de la langue kurde en Irak » réexamine
les enjeux symboliques, culturels et politiques tournant autour de la langue kurde (ou des langues / dialectes kurdes). Langue sans statut dans l’Empire ottoman, le kurde tut ensuite quatre fois la langue non reconnue d’un peuple trahi par les traités internationaux à la fin de la première guerre mondiale, et répandu contre son gré sur quatre Etats, dont trois récents (Turquie, Syrie, Irak). À ce propos, le lien entre l’identité nationale et la langue est clairement mis en valeur par l’auteur, dans une perspective historique indispensable à l’appréhension du nationalisme kurde. La langue kurde, malgré de douloureuses vicissitudes, a néanmoins occupé une certaine place, au niveau institutionnel, en Irak baathiste, contrairement aux autres Etats de la région (Turquie, Syrie et République islamique d’Iran). Mais les quelques expériences de reconnaissance culturelle ont tourné court, devant la féroce répression visant à châtier toute velléité de réelle autonomie par rapport au pouvoir central. Après la chute du régime baathiste en 2003 et la création - de facto puis de jure - d’une province septentrionale de plus en plus autonome, la langue kurde a suivi le destin de la Région autonome : la prise en main de leurs affaires politiques par les Kurdes et le développement économique de la Région ont été accompagnés d'un épanouissement de la langue kurde. Sa reconnaissance, à côté de l’arabe, dans la Constitution fédérale de 2005 est venue couronner ce long processus d’affirmation identitaire et linguistique, qui semble aujourd’hui prendre une nouvelle forme : un combat politique entre partis kurdes à bases régionales distinctes et, subséquemment, à usages linguistiques différents.

La politique culturelle du Gouvernement Régional du Kurdistan d’Irak (GRK) est une question méconnue abordée avec précision par Shwan Jaf-far. Son traitement montre clairement les enjeux qui lient culture et politique : en citant Tocqueville qui réfléchissait aux sociétés démocratiques, l’auteur rappelle que la capacité de penser librement se trouve menacée par « la pression immense de l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun », citation qui fixe le cadre de l’analyse suivie par S. Jaffar. Un fait notoire est une importante liberté d’expression, base de toute activité culturelle riche et démocratique, dont jouit le Kurdistan, en comparaison avec ses voisins, où le faix de la censure est lourd. L’auteur procède de manière méthodique en étudiant les différentes divisions du ministère de la culture, avec leurs budgets : cinéma, théâtre, publication, essentiellement. Malgré des échanges notoires avec l’étranger qui, entre autres, montrent l’effervescence culturelle du GRK, la Région souffre des maux de la corruption (de plus en plus dénoncée, toutefois), d’une vision plus politique que culturelle (au sens d’une gestion normalement conduite par des professionnels, des créateurs, etc., qui ne disposent par ailleurs pas de syndicats indépendants pour les artistes), d’un système trop partisan qui pratique le clientélisme, et d’une certaine opacité dans l’attribution des subventions. De fait, le ministère de la culture est aux mains des membres des deux grands partis politiques (PDK et UPK), ce à quoi il faut ajouter un manque de personnel qualifié (qui renforce le fonctionnement partisan). Au niveau de la radiophonie et de la télévision, il existe de nombreuses chaînes, mais qui appartiennent aux partis politiques : cette activité médiatique foisonnante a ainsi lieu en dehors du senice public (qui ne possède pas de chaîne de télévision publique). L'auteur conclut en soutenant que si la politique culturelle du GRK demeure critiquable, elle se caractérise toutefois, par exemple, par une démocratisation de l'enseignement artistique (dont les effets sociologiques devront être évalués, en particulier en termes de revendications politiques), qui jouit de la sorte d’une prééminence sur d'autres secteurs négligés : transports publics, politique éducative, enseignement supérieur et recherche, santé publique.

La question de la gestion du territoire constituant pour les nationalistes kurdes un point central dans leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits nationaux, l'article de Gérard Gautier s’intéresse à ce qu’il appelle leur héritage historien-géographique, dans sa réflexion sur « Les territoires kurdes au Moyen-Orient. Contrôle politique versus développement économique ». Centrée surtout sur la Turquie et l’Irak, l'analyse de l’auteur essaie de montrer les nouvelles dynamiques en marche depuis les années 1990-2000, avec des interactions interrégionales de plus en plus fortes, qui mènent vers une unification, sinon des territoires, du moins du concept de Kurdistan. La présentation du cadre géographique et chronologique indique clairement que l’objectif fut longtemps le contrôle - et non le développement - des territoires, avec des déplacements afférents de populations, classifiées selon une déplorable logique sécuritaire. Quant à l’utopie destructrice d'homogénéisation, elle mena souvent à une destruction - économiquement irrationnelle - des ressources, dans la lutte contre le PKK ou les peshmergas irakiens. Le long déni identitaire vis-à-vis des Kurdes est explicité, chiffres à l'appui, dans le sous-développement des régions qu’ils habitent et dont ils peinent à relancer le dynamisme, malgré les réserves en pétrole (Irak) et la logique mercantile (Turquie). Sans s’être complètement affranchis des anciennes logiques clientélistes, les Kurdes regardent la relative prospérité de la Région autonome qui modifient leur vision du Kurdistan anthropologique.

Malgré le chaos en Syrie et ses conséquences catastrophiques pour la population, il n’en est pas moins possible que l’un des résultats bénéfiques - si tant est que quelque chose de constructif puisse émerger des décombres de la destruction comme des plaies infligées aux corps des hommes, des femmes et des enfants - de la tourmente actuelle soit l’établissement de zones kurdes (syriennes) plus ou moins autonomes et relativement pacifiées. Cette autonomie sera-t-elle seulement culturelle, ou dotée de plus larges prérogatives ? Un autre aspect, encore non clarifié, relève de la continuité territoriale indispensable à créer entre ces zones non contiguës ; une véritable aporie. Les Kurdes de Syrie voulaient-ils d’une autonomie ? La question n’est pas tranchée, car certains se seraient apparemment satisfaits du maintien de leur territoire au sein de l’État syrien, à la condition que celui-ci fût moins raciste et plus démocratique ; alors que d’autres, plus politisés, étaient tentés par l’expérience kurde iraqienne. La faiblesse du régime syrien dans de vastes zones du pays, la présence de multiples factions rebelles souvent en lutte entre elles-mêmes, et la terreur inspirée par les terroristes de « l’État islamique » ont créé une situation - historique - à laquelle les partis kurdes doivent impérativement s’adapter, sinon pour réaliser un rêve, du moins pour se protéger d’États aux idéologies agressives (nationalismes turc et arabe), de milices chauvines et mal contrôlées (brigades affiliées à l'Armée syrienne libre), et d’organisations criminelles (jihadistes internationaux). Ce contexte éminemment dangereux voit la volatilité de la situation renforcée par les luttes internes entre partis kurdes, souvent engagés dans des conflits fratricides que seule une menace externe impérieuse ramène - temporairement -vers une recherche de compromis. Entre le dogmatisme du PKK (turc), qui domine la scène politico-militaire, et les manœuvres du PDK (d’Iraq), comment les Kurdes syriens pourront-ils ne pas être happés par des logiques régionales qui les dépassent ? Ce sont ces questions essentielles auxquelles la réflexion de Cyril Roussel tente de répondre.

La contribution de Philippe Boulanger traite de la vie d’Abdul Rahman Ghassemlou, chef politique kurde, universitaire polyglotte et combattant au sein du Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI) dont il fut le secrétaire général, avant d’être assassiné en 1989 à Vienne par les services secrets iraniens. Il s’agit donc là de présenter, avec un rappel historique, la dynamique du mouvement national kurde dans le cadre de l’État iranien. Outre les mêmes problèmes politiques que ceux que l’on retrouve dans les autres pays qui empiètent sur le grand Kurdistan (autoritarisme, centralisation, marginalisation, etc.), et les mêmes différences ethnico-linguis-tiques entre Kurdes d’un côté, et Turcs et Arabes de l’autre, s’ajoute ici la dimension religieuse puisque le chiisme est la doctrine dominante en Iran - alors que la majorité des Kurdes adhère au sunnisme -, fracture amplifiée depuis la révolution islamique de 1979. Si les paramètres diffèrent donc légèrement, la situation est in fine assez similaire dans le sens où à un État impérial a succédé une théocratie liberticide qui, comme le système précédent, récuse à une partie de sa population tout droit à une certaine autonomie. Au-delà de cette situation de blocage, que le nouveau président iranien ne semble pas capable de changer fondamentalement, malgré ses velléités d’ouverture, l'auteur propose une réflexion générale, dans un style littéraire séduisant, sur la personnalité du chef en contexte irrédentiste et situation de guerre. Ghassemlou, malgré quelques errements idéologiques, avait la rare hauteur de vue pour mener sa lutte dans un cadre démocratique et selon une voie morale exigeante, éloignée des violences inutiles, autant de qualités absentes des conflits actuels du Moyen-Orient.

* Maître de conférences (HDR) à l’Université du Havre (GRIC EA 4314), agrégé d’arabe, docteur de l’IEP de Paris.


La Longue Marche de la Langue Kurde en Irak

Halkawt Hakem¹

Depuis près d’un siècle, la langue se trouve au cœur de la vie politique et identitaire des Kurdes. On constate même avant la fin du XIXe siècle l’expression d’une conscience prémonitoire du rôle que jouera la langue dans le destin de ce peuple. Les deux fameux poètes, Ahmadi Khani (1650-1707)¹ ² et Hadji Qadirî Kovî (1818-1897)³, considérés comme les pères de la pensée nationaliste kurde, fixaient déjà à leur époque deux éléments in …

¹ Professeur à l'INALCO (Paris), chercheur au CNRS.

² Voir à ce propos : Ahmedê Khànî, Mem et Zîn, traduit par Sandrine Alexie et Akif Hasan, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 39-50. Né à Bavezid, dans l’actuel Kurdistan de Tùrquie, Khànî est entré dans l'histoire de la littérature kurde par son poème épique Mem et Zin, où il reprend un poème populaire déjà connu à son époque depuis près de deux siècles et chanté par les bardes. On peut lire celui-ci dans une traduction de Roger Lescot, Maine Alan, épopée kurde, Paris, éditions Gallimard, 1999. C’est une histoire d’amour malheureux du scribe Mem tombé éperdument amoureux de Zin, la sœur du prince. La condition modeste de l’amoureux condamne l’amour à la clandestinité, jusqu’au jour où il est découvert. Mem est alors emprisonné pour avoir eu des sentiments pour une femme d’une classe supérieure à la sienne. Il meurt en prison et Zin met fin à ses jours. Khànî expose dans son texte ses idées philosophiques et ses idées sur la situation politique des Kurdes à l’époque, idées qui l’ont rendu particulièrement célèbre. Il est aussi l’auteur du premier dictionnaire (arabe-kurde) destinés aux enfants kurdes. Voir à son sujet Izzaddin Mustafâ Rasûl, Ahmadî Khànî, shâ'iran wa mufakkiran (J650-1707), (Ah-medî Khâni, poète et penseur), Bagdad, 1979, 512 pages.

³ Voir notre article : « Le nationalisme du poète Koyî (1817-1897) », Confluences Méditerranée, n“34, 2000, p. 21-26.




Fondation-Institut kurde de Paris © 2024
BIBLIOTHEQUE
Informations pratiques
Informations légales
PROJET
Historique
Partenaires
LISTE
Thèmes
Auteurs
Éditeurs
Langues
Revues