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Le Probleme National Kurde en Turquie Kemaliste


Auteur :
Éditeur : EHESS Date & Lieu : 1986-09-01, Paris
Préface : Pages : 360
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 210x295 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Boz. Pro. N° 721Thème : Thèses

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Le Probleme National Kurde en Turquie Kemaliste

Le Probleme National Kurde en Turquie Kemaliste

Hamit Bozarslan

E.H.E.S.S

Dpèuis 1966-1967, c'est-à-dire depuis les grandes "manifestations des villes de l'Est", le nationalisme kurde a pris des proportions non négligeables en Turquie. Aujourd'hui, cinquante ans après l'écrasement de la dernière grande révolte kurde, et après des décennies passées sous le silence, le problème kurde redevient un facteur important de la politique intérieure et extérieure de ce pays. La position étatique qui consiste à renier catégoriquement l'existence des Kurdes en Asie Mineure, reste certes aussi ferme. Cependant, la politique turque à l'égard des kurdes de l'Irak, qui s'est résolue par des opérations militaires turques dans le Kurdistan irakien et les années tristement célèbres du régime militaire, ont mis en évidence la réactualisation de ce problème.
En effet, en guerre ouverte contre l'Irak et ...



I

INTRODUCTION

Dpèuis 1966-1967, c'est-à-dire depuis les grandes "manifestations des villes de l'Est", le nationalisme kurde a pris des proportions non négligeables en Turquie. Aujourd'hui, cinquante ans après l'écrasement de la dernière grande révolte kurde, et après des décennies passées sous le silence, le problème kurde redevient un facteur important de la politique intérieure et extérieure de ce pays. La position étatique qui consiste à renier catégoriquement l'existence des Kurdes en Asie Mineure, reste certes aussi ferme. Cependant, la politique turque à l'égard des kurdes de l'Irak, qui s'est résolue par des opérations militaires turques dans le Kurdistan irakien et les années tristement célèbres du régime militaire, ont mis en évidence la réactualisation de ce problème.

En effet, en guerre ouverte contre l'Irak et l'Iran, les Kurdes constituent la dernière grande minorité ethnique non turque de l'Asie Mineure, et le Kurdistan marque, historiquement parlant, les dernières limites du démembrement de l'Empire et trace et garantit à ce titre l'unité territoriale de la République turque. Face à la remontée du nationalisme kurde, l'idéologie officielle de la République, autrement dit, le kémalisme, qui se donne pour tâche de transformer les frontières artificielles de l'Etat en frontières ethniquement homogènes, souligne de nouveau la nécessité de faire face à "cet abcès". Les moyens pour y arriver sont multiples : la coercition, l'interdiction de l'usage de la langue kurde, la répression de la culture, un processus de la démémorisation, une campagne idéologique, les écoles, les mass-medias, les thèses dites "historiques", le statu quo proche-oriental, complète l'ensemble des mesures militaires et policières.
Il s'agit donc d'un nationalisme étatique qui est la base justificative de pouvoir politique et de ses mécanismes extrêmement complexes. En face de ce nationalisme, nous trouvons le nationalisme kurde, qui se radicalise de plus en plus, et qui se manifeste par son attachement à la langue et à la culture kurdes dans certains cas par une résistance civile et plus fréquemment par une lutte armée.

Cette situation pouvait, même à elle seule, justifier une recherche historique sur le Kurdistan turc. Cependant, le choix du sujet se justifie également par d'autres raisons. Tout d'abord, il convient de préciser que le problème kurde constituait, comme le précisaient à de nombreuses occasions les dirigeants de l'époque, la menace essentielle devant l'existence même de la République kémaliste. Sur 18 révoltes qu'a connues cette république entre 1923-1938, 16 ont eu lieu au Kurdistan. Le régime s'est vu obligé, pendant quinze ans durant, de mettre en place des mesures militaires, administratives et idéologiques aux proportions gigantesques, afin de faire face à cet abcès. Il est évident que sans analyser et sans comprendre le problème kurde, il ne nous sera guère possible d'analyser et de comprendre le problème kémaliste.

D'autre part, il est nécessaire de souligner encore une fois que le problème kurde ne concerne pas uniquement la Turquie, mais l'ensemble du Proche-Orient, et il continue depuis la fin de la Première Guerre Mondiale jusqu'à nos jours à jouer un rôle de premier ordre dans les enjeux politiques et diplomatiques de cette région (il suffit de rappeler la guerre entre l'Irak et l'Iran). Analyser et comprendre chacune des quatre parties du Kurdistan est plus que jamais nécessaire pour toute recherche scientifique concernant la région.

Finalement l'organisation du mouvement national kurde a l'ère kémaliste peut nous permettre de tirer des conclusions extrêmement enrichissantes, non seulement pour les historiens, mais aussi pour les politicologues, les sociologues, et les ethnologues. L'expérience kurde au début de la République peut nous fournir des éléments clés pour la compréhension et la conceptualisation des mouvement sociaux et nationaux du Tiers-Monde.

Ces facteurs que nous avons résumés brièvement justifient, nous le croyons, le choix de ce thème et le mémoire qui en résulte.
Il est aussi nécessaire d'insister avant même de donner quelques précisions sur le mémoire, sur le fait que le nationalisme kurde appartient, et ceci malqré son ancienneté, à une nouvelle sorte du problème national qui se généralise surtout après les années 1950. En effet, nous pouvons dire que, si le nationalisme continue souvent à être l'idéologie de l'Etat aussi bien dans certains pays occidentaux que dans le Tiers Monde, dans l'Est que dans l'Ouest, l'axe des problèmes nationaux se déplace vers le Tiers Monde où il ne s'agit plus de remporter une victoire sur un Empire colonial, mais sur un Etat indépendant et national. Si le nationalisme servait jadis à créer toute une série de nouveaux Etats dans l'Asie et l'Afrique, il devient aujourd'hui un moyen pour la division de ces Etats, pour en créer d'autres, plus ou moins identiques à ceux déjà présents, ou à les renforcer au détriment des nations sans Etats. Le nationalisme, comme une "théorie de la légitimité politique", tel qu'il est défini par E. Gellner, est le leitmotiv de nombreux mouvements du Tiers-Monde.

Chacun de ces nationalismes, tout en ayant des particularités propres à lui, et tout en souffrant des paradoxes et des contradictions internes, porte également les caractéristiques générales du nationalisme. (Le projet de l'Etat-Nation, la modernisation, la valorisation des élites, la création d'une filiation historique susceptible de justifier le mouvement national, la recherche d'une nouvelle identité qui incorpore d'une façon sélective les éléments constituant la nation, ect.) Cependant, il s'agit d'une nouvelle sorte de problème et de mouvement national, différente à beaucoup d'égards de ceux de l'Europe du XIXe siècle et du début du XXe. Nous pouvons, d'une façon très schématique résumer ainsi ces différences :

1°) - Les nationalités minoritaires de cette catégorie, privées de privilèges des nations étatisées, ont un niveau intellectuel et un niveau de culture politique inférieure par rapport aux pays auxquels ils appartiennent. La "maturité" nécessaire pour la création d'un Etat, ainsi que la division du travail, les classes moyennes, etc. autrement dit, des conditions sine qua non de réussite du nationalisme n'existent que sous leurs formes embryonnaires chez elles. Confrontées aux problèmes économiques et sociaux qui leur sont imposés par la période "sauvage" de la post-indépendance, ces minorités sont déchirées par des querelles intestines, par la destruction de leurs sociétés et de leurs structures traditionnelles. Elles ne sont pas pour autant capables, d'elles-mêmes, de remplacer le "traditionnel" détruit par le "moderne". Dans leurs régions, l'intelligentsia moderne, aliénée et d'un niveau médiocre, se montre incapable de la remplacer et d'avoir la même force mobilisatrice qu'elle.

2°) - Ces mouvements nationaux sont frappés par une sorte de faiblesse idéologique, ou autrement dit, par le manque de raison d'être idéologique. Si les Etats en place peuvent s'identifier pendant un certain temps et se justifier par un nationalisme qui devient lui-même l'idéologie officielle, le mouvement national d'une minorité est privé de ces atouts, coincé entre le traditionnel et les idéologies, ou plutôt l'idéologie nationaliste, ce mouvement, même s'il le désire, ne peut pas s'identifier auprès de sa société même, à un nationalisme rigide. Le traditionnel, les valeurs extra-nationales, ou certaines idéologies, peuvent apporter une issue à ce dilemme. La religion ainsi que dans certains cas, la philosophie marxiste peut, en amalgame avec le nationalisme, jouer le rôle des arguments mobilisateurs.

3°) - Très souvent, l'Etat central, en s'identifiant à une nation et au nationalisme, bénéficie des avantages incomparables par rapport à un Empire colonial. Il a tout d'abord le privilège d'intégrer les territoires de la nation opprimée dans son marché économique, et ceci, bien entendu, à son propre profit. Il peut également investir facilement l'armée dans la région de la nation opprimée, interdire sa langue et sa culture, mettre en oeuvre des projets sociaux étatiques, utiliser les réseaux scolaires et les mass médias au service de l'idéologie officielle etc. Dans ces processus, il peut contrairement à un Empire colonial, se justifier auprès de sa propre nation, et dicter ses ordres comme étant des devoirs nationaux. Il parvient, en utilisant ses atouts, à isoler le mouvement minoritaire du reste des forces politiques du pays. Il se montre capable de monopoliser les décisions et les politiques concernant la nation opprimée, et de neutraliser ses oppositions. L'attitude du mouvement communiste marocain face au problème saharien, celui du P.C.T. et du P.P.R. en Turquie kémaliste et du P.C.T. Irakien face au problème kurde montrent bien les points de convergence qui émergent à ce propos entre l'Etat et les oppositions.
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Chapitre I

Les Kurdes et le Kurdistan de l'Empire A La République

1.1. - L'internationalisation Du Probleme Kurde

Nous assistons dès avant la fin de la première Guerre Mondiale, à une certaine internationalisation du problème kurde, ou, tout au moins, à un partage des territoires kurdes. Les enjeux territoriaux, dus aux richesses pétrolières et naturelles, ainsi que la position stratégique de la région, étaient en effet assez considérables, pour que les régions arméno-kurdes soient épargnées des projets de partage entre la Grande-Bretagne, la France et la Russie. Ces enjeux territoriaux seront réglés par les accords de Sykes-Picot, signés entre la France et la Grande-Bretagne, qui seront acceptés par la suite par la Russie en 1916. Selon cet accord, la France devrait occuper Ayintab, Urfa, Diyarbékir, El Djezirah ainsi qu'une partie de la Syrie ; la Grande-Bretagne aurait la Mésopotamie et la Russie s'emparerait de la région frontalière à son empire, notamment Erzurum, Van, Bitlis, Much, Siirt et la vallée du Tigre (1).

Cet accord ne verra pas le jour du fait de l'échec de la Russie dans la guerre et de la révolution russe. A la fin de la guerre, les Français occuperont néanmoins la Syrie, Ayintab et Urfa, mais laisseront Diyarbékir. La Grande-Bretagne occupera la Mésopotamie et les villes kurdes riches en pétrole. La partie réservée à la Russie restera cependant un problème à résoudre. La commission de King-Crane, conseillera en 1918, l'établissement d'un Kurdistan autonome "en connection avec la Mésopotamie" sous le mandat d'une grande puissance (2).

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