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Géopolitique des Kurdes


Auteur :
Éditeur : Ellipses Date & Lieu : 2006-01-01, Paris
Préface : Pages : 288
Traduction : ISBN : 2-7298-2750-1
Langue : FrançaisFormat : 165 x 245 mm
Code FIKP : Liv. Fra. Bou. Geo. N° 369Thème : Politique

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Géopolitique des Kurdes

Géopolitique des Kurdes

Philippe Boulanger

Ellipses

Peuple indo-européen établi de longue date sur un territoire grand comme la France, le Kurdistan, riche en eau et en pétrole, les trente-cinq millions de Kurdes n'ont jamais pu obtenir leur indépendance et restent aujourd'hui divisés entre quatre États du Moyen-Orient (Turquie, Irak, Syrie, Iran).
Philippe Boulanger nous fait découvrir ici l'histoire géopolitique d'un peuple fracturé par de multiples frontières intérieures, territoriales, religieuses et linguistiques et dont le destin tragique n'a cessé de torturer le Moyen-Orient.
Les premières révoltes kurdes en Irak et en Turquie, l'établissement de communautés immigrées kurdes en Europe, « l'affaire Öcalan », l'intervention anglo-américaine d'Irak, les relations tendues entre l'Union européenne et la Turquie, la création de la Région autonome du Kurdistan irakien, la guérilla du PKK... sont éclairés ici d'un jour nouveau.
Une analyse géopolitique menée dans le temps long de l'histoire permettra au lecteur de rassembler les pièces d'un puzzle que l'actualité présente régulièrement dispersées.

Spécialiste de la question kurde, Philippe Boulanger a publié plusieurs ouvrages ayant trait aux questions identitaires.



PRÉSENTATION

Le peuple des frontières

« Nous avons parlé des Kurdes avec les Anglais toute la matinée,
dites-moi donc ce que c'est que ces gens-là ! »
Clemenceau à Robert de Caix, du Journal des Débats

Depuis quelques années, la question kurde est en train de prendre une dimension nouvelle — une dimension pleinement européenne. La présence d'une importante diaspora kurde dans les pays européens et la candidature de la Turquie à l'Union européenne y ont évidemment contribué. En outre, les Européens et, dans une moindre mesure, les Américains ont fini par comprendre que le dépérissement de la question kurde, notamment en Turquie et en Irak, ne jouait pas en faveur de leurs intérêts économiques et géostratégiques au Proche-Orient. Le fait que le problème kurde ait émergé à nouveau sur la scène européenne n'a finalement rien de surprenant : la question kurde est une question européenne.

Le présent ouvrage tente de retracer cette histoire des Kurdes au XXe siècle et de raconter les évolutions que ces clandestins de l'Orient, au-delà des frontières régionales classiques, ont traversées au cours de ce siècle : émergence du nationalisme kurde, guerres fratricides, questions identitaires, négation culturelle par les États, diaspora en Europe, intérêts divers des Occidentaux à nier la question kurde. Ce livre n'est pas une thèse universitaire de science politique ou une somme exhaustive du problème kurde, mais plutôt un essai, c'est-à-dire un genre littéraire qui repose sur une batterie de questionnements qui, par les déplacements qu'ils suscitent, importent plus que la réponse.

Ces pages ont été écrites principalement entre 2002 et 2005. J'ai été amené depuis lors à compléter les chapitres : les événements en Turquie et en Irak, des rencontres insolites en France et au Kurdistan, des bribes de souvenirs dépoussiérés, des voyages dans la région m'y ont poussé. Des articles écrits entre-temps ont servi de canevas à l'élaboration de ce livre. Ce second ouvrage correspond également à un besoin de corriger, compléter et prolonger certaines idées avancées dans Le Destin des Kurdes, essai violent, brouillon et mal écrit. On en apprend parfois davantage sur un sujet après y avoir consacré un livre.

Je ne sais si ce second livre appartient à la classe des universitaires ou à celle des journalistes. Il risque probablement de déplaire aux deux meutes. Mais je sais par contre que j'y ai mis la même tension, la même inquiétude que je mets à écrire un long article académique ou un modeste compte rendu littéraire. J'accepte le jugement qui le classera, selon l'opinion ou la sensibilité, dans la rubrique journalistique ou dans sa cousine universitaire, car ne croyant ni aux genres ni aux chapelles, mais seulement aux textes et aux auteurs, j'abandonne bien volontiers à d'autres l'occupation oiseuse d'en définir la texture.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les études kurdes sont nombreuses et se révèlent souvent pointues, car elles sont écrites par des spécialistes. Je n'ai pas cette compétence d'expertise. Je plaide donc pour une histoire globale des Kurdes, une fresque braudélienne qui garantisse le lien entre les différentes facettes de la question kurde : qu'on ne sépare pas l'essor du nationalisme porté par le PKK des Kurdes d'Europe, car ceux-ci mènent à celui-là ; qu'on n'oublie pas le Kurdistan iranien, car le prochain acte de l'histoire kurde pourrait s'y dérouler ; qu'on ne minore pas l'émergence de l'adolescence dans la diaspora kurde en Europe, car tout — ou presque — se joue là.

Ce livre est davantage une synthèse qu'une thèse, ce qui ne veut pas dire qu'il sera inutile aux spécialistes de la question kurde ou qu'il n'exigera aucun d'effort de la part du lecteur novice. La première partie fournit l'arrière-fond historique et anthropologique nécessaire à une bonne compréhension de la question kurde aujourd'hui : les chapitres 2 à 5 abordent le problème kurde dans les quatre principaux États concernés.
J'ai volontairement laissé de côté les Kurdes de Géorgie et d'Arménie, qui relèvent d'une autre analyse géopolitique. Dans la seconde partie, qui se veut plus globale, je traite de la création, de l'expansion et du déclin du principal parti kurde, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). J'essaie notamment de montrer en quoi l'existence et les activités du PKK ont concentré l'attention politique et idéologique de la Turquie, mais également de l'Irak et de certains pays européens. Enfin, dans une troisième partie, j'étudie la dynamique de la diaspora kurde en Europe, qui a bouleversé la société kurde traditionnelle, et, en conséquence, les répercussions sur l'identité kurde, protéiforme et plurielle, qui à la fois nourrit et empêche le nationalisme kurde.

Ma thèse principale ici est la suivante : plus que d'autres peuples, les Kurdes sont le peuple des frontières. Frontières géopolitiques : les Kurdes sont séparés par les frontières de quatre États régionaux aux cultures et aux régimes bien distincts qui les ont marqués au fer rouge ; en outre, avec la candidature turque à l'entrée dans l'Union européenne, les Kurdes d'Irak, de Syrie et d'Iran sont devenus potentiellement un élément frontalier de l'Europe communautaire. Frontières culturelles : la fragmentation dialectale de la langue kurde et la diversité religieuse des populations kurdes contribuent à les séparer plutôt qu'à les réunir.
Frontières psychologiques : d'un côté, le tribalisme, ciment de la société kurde, concourre lui aussi à diviser les Kurdes par des frontières aujourd'hui plus psychologiques que sociologiques ; de l'autre, les communautés kurdes récemment immigrées en Europe sont tiraillées entre leur identité kurde originelle et la matrice européenne qu'impose le régime d'immigration. Frontières démographiques : sources de dynamisme culturel, l'émergence de l'adolescence et la baisse de la fécondité chez les femmes kurdes vivant en Europe créent un fossé abyssal avec celles demeurées au Kurdistan.

J'ai cité l'interrogation irritée de Georges Clemenceau, homme pourtant cultivé et grand voyageur, pour rappeler que la question kurde demeure encore irrésolue aujourd'hui, pour les raisons politiques, économiques, stratégiques, culturelles et idéologiques que nous allons étudier dans ce livre. Certes, l'ignorance n'est plus aussi profonde qu'au début du siècle : en France, d'excellents livres écrits par des universitaires et des journalistes ont été publiés depuis la fin de la première guerre du Golfe, venant ainsi pallier une absence étonnante dans un pays pourtant réputé pour sa « tradition orientaliste ». Des films sur les Kurdes, comme Aller vers le soleil (1999) de Yesim Ustaolu, Le Tableau noir (2000) de Samira Makhmalbaf, Les tortues volent aussi (2005) de Bahman Ghobadi et Kilomètre Zéro (2005) de Hiner Saleem², ont permis au public français d'apposer des images sur une réalité humaine un peu lointaine.

Dans ce livre, j'essaierai de procéder à un renversement d'optique en remplaçant le microscope par le télescope, la lampe torche par le projecteur. Je souhaiterais mêler les intuitions et la connaissance, le temps de l'hypothèse et le temps de l'histoire, l'espace du Proche-Orient et l'espace de l'Europe. J'aimerais fournir une boussole à ceux qui estiment que la question kurde ne se borne pas aux étroits parapets du Kurdistan.

1. L'Harmattan, Paris, 1998.

2. Voir son portrait dans Joan Dupont, « Making a movie in and on Iraq », The International Herald Tribune, 13 mai 2005.

Première partie

Histoires Kurdes

Comment peut-on être kurde ?

« En général, les peuples sont très attachés à leurs coutumes ; les leur enlever violemment, c'est les rendre malheureux. »
Montesquieu, L'Esprit des lois, XIX, 14

La position des Kurdes dans l'Histoire du monde est des plus inconfortables : inconfortable pour eux, condamnés jusqu'à aujourd'hui à la soumission ou à la répression ; inconfortable pour leurs voisins belliqueux, qui ne parviennent pas à s'en débarrasser. Les Kurdes ne sont ni assez homogènes culturellement, ni suffisamment unis politiquement pour se constituer en nation. Les Turcs, les Persans, les Arabes et les Arméniens, leurs plus proches voisins, sont trop jaloux de leur souveraineté nationale et de leur intégrité territoriale, souvent chèrement acquises, pour envisager dans un futur proche de leur octroyer quelques fragments du Kurdistan historique susceptibles de servir de fondations à la constitution d'un État indépendant.

Éparpillés sur un vaste espace montagneux enclavé en forme de croissant, sans existence juridique ni diplomatique, les trente-cinq millions de Kurdes du Proche-Orient et dans les ex-républiques soviétiques se partagent entre plusieurs États : la Turquie (20 millions), l'Iran (7), l'Irak (5), la Syrie (2), la Géorgie et l'Arménie (presque 1 million de Kurdes à elles deux). Historiquement, les Kurdes sont un peuple indo-européen établi de longue date sur un territoire grand comme la France.

Dans la Lettre XVII de ses Lettres philosophiques, Voltaire affirmait « qu'il n'y a point de famille, de ville, de nation qui ne cherche à reculer son origine. » Les origines des Kurdes n'échappent pas à la règle. Les ancêtres des Kurdes font partie des grands envahisseurs indo-européens, plus particulièrement des tribus iraniennes qui, au début du second millénaire avant J.-C., commencèrent leur lent déplacement de l'Asie intérieure vers …




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