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Le rôle des ONG dans la construction du Kurdistan


Auteur :
Éditeur : Université Toulouse Date & Lieu : 1999-06-01, Toulouse
Préface : Pages : 142
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 210 x 295mm
Code FIKP : Liv. Fre. Mok. Mar. N° 4046Thème : Thèses

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Le rôle des ONG dans la construction du Kurdistan

Le rôle des ONG dans la construction du Kurdistan

Scalbert Clémence

Université Toulouse

Les Etats du Moyen-Orient commencent à se former, si ce n'est politiquement, territorialement, sous la houlette des Occidentaux, vainqueurs des Ottomans, à la fin de la Première Guerre mondiale. L'Occident y avait, et a toujours, des intérêts considérables dans la région :
- Stratégiquement et idéologiquement : l'Occident peut s'intégrer au Moyen-Orient, contrôler ...


INTRODUCTION

L'origine de ce que l'on nomme la "question kurde", telle que nous la connaissons, est le démantèlement de l'Empire ottoman, et l'implication, de fait, des puissances occidentales et de leurs idéologies.


Bref historique de la question kurde

Les Etats du Moyen-Orient commencent à se former, si ce n'est politiquement, territorialement, sous la houlette des Occidentaux, vainqueurs des Ottomans, à la fin de la Première Guerre mondiale. L'Occident y avait, et a toujours, des intérêts considérables dans la région :
- Stratégiquement et idéologiquement : l'Occident peut s'intégrer au Moyen-Orient, contrôler la région et se rapprocher ainsi de l'U.R.S.S. menaçante ;
- Economiquement : à cette époque, les découvertes pétrolières débutent et ces richesses entraînent un engouement général. Le contrôle du pétrole est, en lui même, stratégique.
Le découpage de la région, opéré par l'Occident, s'est donc fait sur un modèle politique européen, celui de l'Etat-nation. Idée en vogue à l'époque, la nation est considérée comme le seul fondement politique acceptable de l'Etat. Cet Etat est forcément souverain et légitime puisqu'il est fondé sur le principe de l'adhésion de la nation à l'Etat. Il est ancré dans un territoire que la nation reconnaît comme sien. Ce territoire, elle se l'est petit à petit approprié : la construction nationale a besoin de temps. Le territoire est lui aussi souverain et son intégrité n'est pas contestable, d'où la trilogie Etat-Nation-Territoire internationalement reconnue. Ce modèle, différent de celui qui existait auparavant sous l'Empire Ottoman, va révolutionner les jeunes Etats du Moyen-Orient : "l'Empire ottoman aussi bien que l'Empire perse étaient des Etats composés de plusieurs ethnies et peuples. Les territoires des pays et des provinces n'étaient pas délimités selon leur caractères national ou ethnique. Les nationalités étaient divisées selon la religion musulmane et chrétienne"x.
Lorsque s'ouvrent les négociations de paix, les Alliés et le Président Wilson déclarent que "les peuples anciennement soumis à l'autorité ottomane devraient accéder, après une période de transition sous mandat, à l'indépendance nationale"¹ ². A ce moment, les
Kurdes sont reconnus comme formant un peuple à part entière, capable de s'ériger en Etat, un Etat qu'on leur propose. Le traité qui formalise cette possibilité est le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920. Celui-ci prévoyait la création d'un Etat kurde. Il serait, en fait, un résidu des territoires attribués aux Etats syrien ou irakien. Certes, le principe donné était celui du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : on comprend bien, pourtant, la nécessité stratégique, pour les Alliés, de créer un Etat kurde qui ferait office d'Etat-tampon face à la Turquie et à la Russie des Soviets. Ce traité comporte 433 articles. Les articles 62, 63, 64 de la section III sont consacrés au Kurdistan potentiel. L'article 64 se rapportait au droit des peuples à l’autodétermination, l'article 62, à la délimitation du Kurdistan. Selon S. Jmor, ce territoire aurait compris les régions du Kurdistan situées à l'est de l'Euphrate, au sud de la frontière de l'Arménie et au nord de la frontière de la Syrie et de la Mésopotamie. Ce territoire représentait 20% du territoire effectivement peuplé par les Kurdes : les wilayets de Diyarbakir, d'Alaziz (aujourd'hui Elazig) et la région de Hakkari. Les autres régions peuplées de Kurdes revenaient à la Syrie et à l'Arménie. Le wilayet de Mossoul se trouvait libre de son choix, conformément à l'article 64. On ne parle absolument pas du Kurdistan oriental, qui appartient "indiscutablement" à la Perse. L'existence d'un peuple kurde (et qui sait d'une nation ?), puisque l'idée était alors à la mode, fut, non sans difficultés, reconnue par la communauté internationale. Le Grand Vizir turc, Damad Ferid Pacha, reconnaît aussi la présence des Kurdes sur un territoire trois fois supérieur à celui proposé par les Alliés. En fait, le Grand Vizir veut se lier aux Kurdes contre Mustapha Kemal ; par ailleurs, il préférerait voir se créer un Etat kurde musulman plutôt qu'un Etat arménien chrétien.
Pourtant, dès le début, ces propositions sont conditionnelles. L'article 64 commence par un "si" et Mossoul semble déjà avoir été attribué, officieusement, à la Mésopotamie anglaise lors de la conférence de San Remo (avril 1920). Par ailleurs, aucune puissance occidentale n'aurait de mandat sur le futur Etat kurde, ce qui le laisserait seul, démuni (manque de moyen et d'unité des Kurdes) face, entre autre, à la montée en puissance de Mustapha Kemal dans les régions kurdes³. De plus, les rapports des Alliés avec la Turquie vont rapidement changer⁴. La Turquie traite alors en égale avec eux. L'Etat-tampon qu'aurait pu être le Kurdistan n'a plus lieu d'être. Il reste alors à élaborer les frontières entre la Turquie et la Mésopotamie (futur Irak). Les enjeux économiques prennent de plus en plus d'ampleur. Le traité de Sèvres n'aboutit donc pas. C'est le traité de Lausanne (23 juin 1923) qui va dessiner l'essentiel des frontières. Il n'y aura pas de représentants kurdes lors des discussions. Pourtant, sur le terrain, de violents combats ont eu lieu, relatifs à la réalisation d'un Etat kurde. Les querelles économiques dominent : la Turquie et la Grande Bretagne se disputent le contrôle du pétrole de Mossoul. Finalement, comme prévu, en 1926, Mossoul revient à l'Irak, sous mandat britannique, ainsi que les wilayets de Bassorah et de Bagdad. Le reste revient à la Turquie, très vite dirigée par Mustapha Kemal, ultra-nationaliste. Dans ces Etats, il n'existe aucune protection des minorités, si ce n'est des minorités chrétiennes, étroitement liées à l'Occident. Ainsi, dans ces Etats souverains, le sort des populations kurdes dépendra uniquement du bon vouloir des régimes en place. Ceux-ci sont en général hostiles aux revendications identitaires des minorités. Ces revendications ne peuvent que déstabiliser une cohésion nationale extrêmement fragile. Elles seront très sauvagement réprimées.
Les sources de la "question kurde" sont à chercher dans une absence de reconnaissance territoriale. L'espoir déçu d'une réalisation politique du Kurdistan a alimenté ce sentiment d'absence. S. Jmor écrit : "Bien que ce traité n'ait pas été appliqué, il constitue un acquis historique pour les Kurdes"⁵. Par ailleurs, les Kurdes vont être marqués par ce changement d'attitude des Occidentaux : "après avoir joué le rôle d'une force libératrice et démocratique, l'Occident était devenu l'incarnation d'un impérialisme dont les intérêts étaient placés au-dessus des droits des peuples"⁶. Un Kurdistan sans lieu reste paradoxalement un objet de convoitises. Sans définition, il est alors source de fantasmes et de revendications. Territoire passionnel, comment peut-il être défini de manière objective ?

Quelques définitions du Kurdistan

Le Kurdistan est pourtant une région géographique, délimitée depuis longtemps par des éléments physiques. Il peut être défini selon certains critères : "Les Kurdes occupent depuis l'Antiquité une vaste cône nommée Kurdistan. Toutefois, cette dénomination géographique qui désigne une région montagneuse s'étendant du sud-est de la Turquie à travers les régions les plus septentrionales de l'Irak jusqu'au centre-ouest de l'Iran, ne recouvre qu'une partie des terres peuplées de Kurdes. Celles-ci vont du Mont Taurus à l'ouest du plateau iranien et de la région du Mont Ararat jusqu'aux piémonts où finit la plaine de Mésopotamie"'¹. Il n'y a donc, ici, pas d'adéquation entre les limites géographiques données et l'étendue réelle du peuplement kurde, d'avant les migrations vers l'ouest et l'Occident. On peut dire que les Kurdes ont commencé à quitter "cette région" dès les années 60 (coups d'Etat successifs en Turquie, guerres multiples en Irak). Les migrations se sont certainement intensifiées autour de l'année 1990, marquant à la fois la fin de la guerre Iran-Irak et l'Anfal, la seconde guerre du Golfe et la guerre en Turquie. Alors, se pose le problème des critères retenus. Le Kurdistan peut-il se définir selon un peuplement kurde qui a fortement évolué ces dernières années ? Le Kurdistan est-il le pays des Kurdes plutôt qu'une simple région géographique ?
A deux reprises, les Kurdes ont donné naissance à un Etat indépendant, le Kurdistan, aux limites clairement définies mais réduites. En 1946, la République de Mahabad (voir document 1) est fondée en Iran par Qazi Muhammed, et avec l'aide de l'Union Soviétique, alors en guerre contre les Britanniques. Une fois la République proclamée, Barzani mit ses troupes à la disposition de l'Etat kurde : il aurait pu être le pays des Kurdes mais l'Iran le renverse la même année, lorsque l'Union soviétique perd la guerre. Les élections de 1992 fondent l'Etat Fédéré Kurde d'Irak du Nord, au Kurdistan irakien, dans lequel l'autorité irakienne n'est plus effective. Il a toutes les caractéristiques d'un Etat (un territoire, un gouvernement, une population), exceptée la reconnaissance internationale. Or un Etat et son territoire ne peuvent exister que s'ils sont reconnus comme tels par les autres Etats. De plus, on ne peut pas dire que ces Etats aient pu, ou peuvent aujourd'hui, représenter l'ensemble des Kurdes. Ils ne sont qu'une portion du territoire "peuplé de Kurdes", selon la définition de Gérard Chaliand.


¹ Jmor Salah, IL’originc de/a question Kurde”, 1995, p. 13.,
² op. cit, p. 12.
³ op. cif p. 143 : " L attitude de Mustapha Kemalsur l'indépendance du Kurdistan occidental restait ambiguë. A vec l'élaigissement de l’influence du mouvement de Mustapha Kemal au Kurdistan, plusieurs chefs de clans kurdes a vaient soutenus le mou vement turc'.
4 La défaite du Grec Vénizélos, amis des alliés, contre les Turcs va être le facteur principal de ce retournement de situation. Ils n'auront plus de raison de s’opposer à la Turquie, au contraire, et pourront, ensemble, s'opposer à la Grèce dont le pouvoir revient à un pro-allemand. Le traité de Sèvres qui était très favorable à la Grèce doit être modifié. Voir S. Jmor, S., 1995.
⁵ op. c/t, p. 13.
⁶ op. c/t, p. 255.
7 Gérard Chaliand, Les Kurdes et le Kurdistan, 1981.




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