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Sortir de l’Abime : Manifeste


Auteur :
Éditeur : Le Castor Astral Date & Lieu : 2018-01-01, Paris
Préface : Pages : 24
Traduction : ISBN : 979-10-278-0151-0
Langue : FrançaisFormat : 125 x 170
Code FIKP : Br. Fre. Dag. Sor. N° 3026Thème : Poésie

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Sortir de l’Abime : Manifeste

Sortir de l’Abime : Manifeste

Şeyhmus Dagtekin

Le Castor Astral

... la poésie est cette utopie, cet entêtement à ne pas se résigner devant l’injustice, à ne pas abdiquer face au pouvoir. Dire qu’une autre manière de vivre doit être « possible, qu’un autre d’exister ensemble doit être possible. Non plus une poésie dans les marges, dans les périphéries, fumais une poésie au centre des choses, au cœur des êtres...

Şeyhmus Dagtekin est né en 1964 à Harun, village kurde dans les montagnes du sud-est de la Turquie. Après des études en audiovisuel à Ankara, il arrive à Paris en 1987 où il vit depuis.



PREFACE

Ça commence par les pyramides et même avant.
Ça continue par les arènes, les colisées, les châteaux.
Ça continue par les usines, les gratte-ciels, les bombes et les variantes, les fusées et les explosions. Les machines les plus puissantes, les vaisseaux les plus grands.
Ça continue sur les terres, les mers, dans les airs ; au plus vite, au plus loin. Parce que l'homme se cherche toujours ailleurs, loin de lui. Très peu en lui-même.

La poésie et la création offrent la possibilité d'arrêter cette recherche effrénée de son devenir hors de soi, de couper court à cette soif de puissance. Puissance qui ne peut être que relative, qui est à la merci de la moindre surpuissance, serait-ce illusoire. Parce qu'à n'importe quel virage, une force plus grande peut surgir devant le puissant et le mettre en doute, en déroute.

Faites de votre vie un chef-d'œuvre, conseillait un penseur. Être conscient que la vie trouve sa mesure en elle-même, qu'elle peut se transformer en chef-d'œuvre et qu'elle n'a besoin ni des pierres d'Éthiopie, ni des milliers d'esclaves et de cadavres afin de s'ériger tombeaux et monuments pour s'imaginer grandeur et éternité. Qu'on peut s'édifier à partir de ses propres ressources. Et que cette faculté est à la portée de tous.
La poésie, la création sont la revendication du potentiel d'édification de chacun.

Non pas dominer l’autre, l'écraser de sa force et de sa grandeur, mais ne pas le laisser prendre le pouvoir sur soi. La poésie, la création, c'est instaurer avec l’autre un rapport d'égalité, d’échange et de découverte pour sortir de la logique du pouvoir, fondée sur l'invasion et la soumission.

Le pouvoir n’accepte pas l'égalité. Allez dire à ceux qui se considèrent comme les maîtres que vous êtes leur égal ! Ils ne vous riront même pas au nez, ils ne vous verront même pas. Ils n’ont aucune envie qu'on ternisse leur éclat. Ils ont horreur qu'on les égale. C'est une autre logique. Le pouvoir a besoin d'exister par ses temples et bâtisses. Il a besoin d'esclaves et d'adorateurs. Il veut être servi et adulé. Le sommet de la pyramide ne tolère qu'une seule pierre, et le pouvoir et ses détenteurs veulent être cette pierre-là, la pierre, l'unique, le sommet. Et ne sauraient accepter que chacun se voit capable de devenir sommet, ou encore que les pierres s'éparpillent et qu'il n'y ait plus de pyramides. Que chaque pierre se déclare pyramide, se déclare monde. Le pouvoir et les puissants ne veulent pas se perdre parmi la multitude des pierres.

Ils veulent trôner sur elles, seul. Ou bien tenir les pierres entre leurs mains pour qu'elles ne s'animent que selon leur volonté et leurs intérêts.
La poésie, la création, c'est insuffler cette énergie aux pierres que nous sommes. Chaque pierre peut se donner les moyens d'être pyramide, devenir un univers à elle seule. Ce n'est pas en se plaçant au-dessus des autres qu'elle existe, ni en les écrasant. Mais en étant à côté des autres. Dans le voisinage des autres. Dans la tradition, il est dit d'Abraham qu'il était une nation à lui seul. La poésie, la création, c'est inviter chacun à réaliser cette plénitude dans sa vie et dans sa personne.

N'est-il pas dit aussi dans les livres sacrés que l'humain a été créé à l'image de Dieu ? La poésie consiste à revendiquer cette ressemblance pour chacun des êtres, à retrouver cette égalité première devant l'image et ne plus la perdre en route.
Et le poète, l'artiste, n'est pas là pour dire : regardez- moi ! admirez-moi ! c'est moi, le voleur de feu ! II se confondrait alors avec des gourous de la pire espèce. Mais à l'inverse, il œuvre à une prise de conscience, à ce que chacun élargisse ses possibilités et puisse voler de son propre feu.

Les anciens, parlant de l'alchimie, considéraient comme vulgaire l'opération qui consisterait à transformer la terre en or. Pour eux, la véritable alchimie devait s'opérer chez l'humain qui, issu de la boue, pouvait devenir l'égal des dieux. Le combat à livrer est donc bien contre cette course, contre l'abrutissement à grande échelle qu'elle provoque. Course que chacun mène à son niveau à l'or, aux richesses, au pouvoir qui constituent autant de leurres pour l'impétrant, qui sont autant de gouffres pour la vie des autres.

Être ou ne pas être, telle est la question, n'est-ce pas ? Alors, soyez de telle manière qu'on ne puisse pas couvrir et cacher votre existence d'un simple rideau de fumée, de trois jolies images, de trois sous mal assortis. Soyez de telle manière qu'on ne puisse pas vous nier le droit à l'existence. Soyez de telle manière que votre destruction ne soit pas possible par les puissants et les pouvoirs. Que ne soit plus possible le mépris des uns pour les autres. Que nul ne puisse être effacé par plus fort que lui. Que le Sud ne soit pas maltraité par le Nord, l'Orient par l'Occident, et vice versa. Que le Noir ne soit pas méprisé par le Blanc, que la femme ne soit pas humiliée par l'homme. Que le modeste employé ne puisse être écrasé par le riche surdominant. Que notre étroit cerveau ne puisse être broyé par de grosses machines à décerveler... Bien sûr que c'est utopique. Mais sous prétexte que c'est utopique, laisserions-nous nos vies, notre devenir entre les mains du pouvoir et des puissants qui en useraient et en abuseraient tant qu'ils ne rencontreraient de résistance ? C'est utopique, mais nous pouvons au moins nous poser en obstacle devant leur marche, devant leur appétit vorace, les entraver à défaut de pouvoir les arrêter. C'est utopique ?

Mais pour moi, la poésie est cette utopie, cet entêtement à ne pas se résigner devant l'injustice, à ne pas abdiquer face au pouvoir. Dire qu'une autre manière de vivre doit être possible, qu'une autre façon d'exister ensemble doit être possible. Non plus une poésie dans les marges, dans les périphéries, mais une poésie au centre des choses, au cœur des êtres. Revendiquer et assumer la centralité de la poésie, de la création dans la vie des êtres, afin qu'à leur tour les êtres puissent apprécier l'étendue des possibilités qu'offrent la poésie et la création pour une refondation complète de leur vie.

En servant d'exemple les uns aux autres, en vivant dans notre propre chair ce qu'on dit à l'autre.
Une mère souffre de la boulimie particulière de son fils. Il n'arrête pas de manger du miel et elle ne sait plus comment faire face. Ses maigres richesses sont toutes englouties par cet appétit de luxe. Remontrances, conseils étant restés sans effet, et ne sachant plus comment s'y prendre, elle le présente au sage de la contrée pour chercher secours. Après avoir écouté les doléances de la mère, le sage lui dit de retourner chez elle et de revenir quarante jours plus tard. Quand ils reviennent après ce délai, le sage place le fils face à lui et lui demande simplement de ne plus manger de miel. La mère, dubitative quant à l'efficacité de ces paroles, repart avec son fils, sans rien dire. Les jours passent, et à son grand étonnement, son fils n'a plus trace de cet appétit qui a failli provoquer leur ruine. Elle veut retourner chez le sage et apprendre le secret de cette parole dont elle n'avait pas pris la mesure et qui a transformé son fils. Quand j'ai exigé le délai de quarante jours, lui répond le sage, c'était pour mettre à l'épreuve de la privation ma propre envie de miel que j'avais du mal à réfréner.
Durant ce délai, je n'en ai pas consommé, et c'est ainsi prémuni, qu'à votre retour, j'ai pu dire à votre fils de n'en plus manger.

Sortir des postures du paraître et ne dire, ne donner à l'autre que ce qu'on a éprouvé dans son propre être. La poésie comme une manière, un état d'être, donnée en partage pour se défaire autant de nos servitudes intérieures que de celles qui s'imposent par l'extérieur.
Le plus grand bien qu'on puisse faire aux puissants, c'est de les empêcher d'exercer leur domination sur nous, qu'on soit individu, groupe ou minorité. Et si on n'arrive pas à les en empêcher, de les fuir, de se forger des armes dans la fuite, comme disait un autre penseur. Mais ne jamais abdiquer devant qui que ce soit.

Être, rien de moins, rien de plus. Être simplement mais fondamentalement pour que l'autre ne puisse pas jouer avec notre existence ; l'autre qui, en jouant avec la nôtre, met sa propre existence en danger. Ne pas devenir chien avec le chien, tyran avec le tyran, mais empêcher le chien de nous mordre et le tyran d'exercer sur nous sa tyrannie. En se plaçant à sa hauteur, en instaurant un rapport d'égalité qui le dissuaderait de toute tentative hasardeuse. Parce qu'un rapport d'égalité veut aussi dire une égale capacité de nuisance. Et le puissant, tout puissant qu'il soit, le chien, tout chien qu'il soit, ont peur qu'on ne les morde à notre tour.

La poésie est cette force de résistance que chacun peut, que chacun doit opposer à l'oppression pour une existence sans oppression entre les vivants. Pour que l'avidité, la voracité des uns ne se transforment pas en gouffre, en tombeau pour tous. Pour qu’un rapport d'attention et d'amour puisse remplacer le rapport de mépris et de force qui continue de régir notre présent.

À l’Ouest des Ombres
Extrait

Une rivière aurait pu couler par là
Un rêve aurait pu longer la rivière
Des feuilles auraient pu envahir le rêve par milliers
Des oiseaux auraient pu chanter les feuilles
[dans les couleurs
Et les herbes
Accueillir
La chute des corps

Viens mon petit ver
On s'allongera côte à côte dans la terre
On se garnira d’un peu de feuilles et d'un peu d'air
Sous le strict arbitrage d'une, coccinelle
Qui aura besoin de nous
Pour s'abriter des oiseaux de mauvais augure
Plus tard, elle se mettra à divaguer avec nous
En compagnie des paroles sans rive

Imagine que tiges et têtes
S'élancent vers l'infini
Comme cette mousse qui ne me dit qu'à moitié
Et ces collines qui n'enfanteront pas nos rêves

…..




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