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La prison n° 5 - Onze ans dans les geôles turques


Auteur : Multimedia
Éditeur : Arléa Date & Lieu : 1995, Paris
Préface : | MultimediaPages : 130
Traduction : ISBN : 2-86959-223-x
Langue : FrançaisFormat : 140x210 mm
Code FIKP : Liv. Fra. 3133Thème : Politique

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La prison n° 5 - Onze ans dans les geôles turques


LA PRISON N° 5
ONZE ANS DANS LES GEÔLES TURQUES

Figure de proue du mouvement démocrate kurde, Mehdi Zana a passé onze années consécutives dans les geôles turques. De 1980 à 1991, il note les interrogatoires, les tortures quotidiennes, les transferts, les révoltes, les répressions violentes, le sadisme des geôliers et la solidarité des détenus dans les diverses prisons – notamment la redoutable prison n° 5 – où il est incarcéré. L'épouvante nous est contée dans une langue simple, noble, qui confère grandeur et dignité à ce témoignage. Le talent est évident. On est loin de la langue de bois des textes militants. L'auteur, en outre, expose clairement le problème des Kurdes de Turquie, tel qu'il fut traité, ou escamoté, de Mustafa Kemal à nos jours.

Cinquante-cinq ans, marié, ancien dirigeant du parti ouvrier de Turquie, élu maire indépendant de Diyarbakir – principale ville kurde de Turquie – en 1977, Mehdi Zana occupa ce poste jusqu'au coup d'État militaire de 1980. Condamné à cette époque à trente-six ans de prison par un tribunal militaire pour « atteinte aux sentiments nationaux », il restera onze ans derrière les barreaux, jusqu'en mai 1991. En mai 1994, il est de nouveau condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement pour avoir osé témoigner devant le Parlement européen. Toujours détenu aujourd'hui, il est privé à vie de ses droits politiques.


Préface

La Turquie est « un État de droit », répètent ses dirigeants. Ce devrait être une bonne nouvelle si les faits confirmaient les déclarations. Malheureusement, les nouvelles qui nous parviennent sont plutôt mauvaises.

La politique antikurde est toujours en vigueur dans le pays. On y arrête des parlementaires, on menace les intellectuels, on les traduit en justice, on les condamne, on tente de les acculer au silence. Le pire se lit dans des chiffres effrayants : trois mille huit cent quarante personnes sont mortes sous la torture, ou à la suite d'« exécutions extra judiciaires », durant les deux dernières années, nous apprend le quotidien turc Milliyet dans son édition du 11 décembre 1994.

Pour la première fois, en octobre dernier, un responsable gouvernemental d'Ankara, le ministre turc des Droits de l'homme, Azimet Koyluoglu, n'hésitait pas à qualifier de « terrorisme d'État » les opérations militaires qui se déroulaient alors dans la province de Tunceli, à l'est de la Turquie. Le même assurait, dans un entretien publié par Cumhuriyet – le quotidien de référence en Turquie – que mile trois cent quatre-vingt-dix villages et hameaux avaient été évacués par la force dans le sud-est anatolien, et que deux millions de personnes étaient sans abri aux frontières avec la Syrie, l'Irak et l'Iran.

Diyarbakir, la principale ville du Kurdistan de Turquie, dont Mehdi Zana fut autrefois le maire, a vu sa population passer de quatre cent mile habitants à plus d'un million du fait de l'afflux des réfugiés chassés des campagnes voisines.

Accablant sur le plan politique, humainement intolérable, ce témoignage désespéré et désespérant du dirigeant kurde Mehdi Zana l'est surtout lorsqu'il traite du passé proche, c'est-à-dire des années 70 et 80.

J'avoue l'avoir lu le cœur serré, oscillant entre un lâche scepticisme et une colère agissante. C'est que je m'étais fait une autre idée de la Turquie. N'avait-elle pas ouvert ses portes aux juifs séfarades chassés d'Espagne en 1492 ? Ne l'avons-nous pas assez louée pour sa philosophie de tolérance envers les minorités religieuses et ethniques ? N'était-elle pas, pour beaucoup d'entre nous, la nation la plus libre du monde musulman ? Chaque fois qu'il m'arrivait de critiquer telle ou telle de ses décisions, par exemple concernant la mémoire des Arméniens, ou le destin des Kurdes, des officiels turcs et des amis juifs d'Istanbul faisaient tout pour me faire comprendre mon erreur de jugement. Quand j'insistais, ils répondaient : « Il s'agit de terroristes ; un État n'a-t-il pas le droit, sinon le devoir, de se défendre contre la violence meurtrière ? ».

Mais alors, comment expliquer le récit d'un Mehdi Zana arrêté, torturé puis condamné pour sa fidélité à ses frères kurdes?

Que dit-il ? Qu'exige-t-il ? : « Ce que nous demandons, explique-t-il, c'est de pouvoir parler notre langue, l'apprendre à l'école, disposer de journaux et d'émissions de radio-télévision en kurde. Nous voulons vivre comme des êtres humains à part entière, dans le respect de notre dignité, et c'est pourquoi on nous emprisonne, on nous torture et on nous tue. »

Douterait-on encore ? Yashar Kemal, le grand romancier turc, connaît bien Mehdi Zana. Il m'assure de sa parfaite honnêteté : «Ce n'est pas un homme qui ment. » Deux mile villages kurdes ont été détruits par l'armée, selon Kemal qui publie des articles courageux dénonçant la politique de son pays.

Mehdi Zana est jeune encore, dans la force de l'âge. Il n'a que cinquante-quatre ans. Seulement il n'oublie pas, et il nous interdit d'oublier qu'il a passé quinze am en prison. Il en rapporte des souvenirs qu'on a du mal à digérer tant ils sont atroces et barbares.

L'isolement, les insultes des gardes, l'obligation de saluer le chien du capitaine, les passages à tabac, la privation de sommeil, la falaka, les évanouissements, le piétinement, les électrodes branchées sur le sexe, les bergers allemands dressés à mordre les parties intimes des prisonniers mis – comment comprendre, comment expliquer ces brutalités, cette humiliation, cette déshumanisation légalement érigées en système ?

Est-il possible que cela ce soit passé encore récemment en Turquie, donc en Occident, et dans un pays membre de l'OTAN ? Pendant longtemps, pour opprimer l'esprit « nationaliste kurde », niant k droit de la communauté kurde à son identité culturelle, le gouvernement a essayé d'étouffer jusqu'à sa langue. Parler kurde était un crime passible de la prison.

Les officiels et leurs proches nous disent que le gouvernement turc est obligé de combattre les nationalistes kurdes sous prétexte qu'ils sont des séparatistes, des sécessionnistes, et que leur but véritable serait de fonder un État kurde indépendant.

Mehdi Zana et ses amis affirment k contraire. Selon eux, les Kurdes n'aspirent qu'à préserver leur héritage culturel et leur identité ethnique. Dans toutes leurs déclarations, ils affirment que k problème kurde doit être réglé dans les frontières existantes de la Turquie.

Mais le code pénal turc assimile de telles déclarations au « crime » de séparatisme dès lors qu'elles arment l'existence même d'un peuple kurde en Turquie. En mai 1994, Mehdi Zana a donc été condamné de nouveau à quatre ans de prison du seul fait des propos qu'il avait tenus, à l'automne de 1992, dans une conférence de presse, puis devant la sous-commission des Droits de l'homme du Parlement européen.

Pour les mêmes raisons, huit parlementaires de Turquie ont été condamnés au mois de décembre à diverses peines de prison, cinq d'entre eux, dont Leyla Zana, la femme de Mehdi Zana, à quinze ans. Le président Mitterrand, Jacques Delors, le Parlement européen, le Département d'État américain et bien d'autres ont protesté contre cette mesure indigne.

Yashar Kemal, qui a assisté à de nombreuses audiences, déclarait avant le verdict : « Ce procès est une honte pour l'humanité. Si les parlementaires sont condamnés, la Turquie entrera maudite dans le XXe siècle. Je suis ici pour protester contre le Conseil de l'Europe et l'ONU qui sont coresponsables de cette situation. Ce procès n'est possible qu'avec leur appui. Ils sont également coresponsables de la sale guerre qui continue dans le Sud-Est [Kurdistan turc]. Dans ce procès, ce sont le peuple turc et la démocratie qui sont jugés. »

Pourquoi Turcs et Kurdes ne se rencontrent-ils pas autour d'une table pour discuter de leurs différends ? Pourquoi ne suivent-ils pas l'exemple des Israéliens et des Palestiniens qui ont su choisir la négociation plutôt que la lutte armée ? Ceux qui connaissent le Premier ministre, Madame Tansu Ciller, la décrivent comme libérale et courageuse. Saura-t-elle tenir tête aux militaires qui semblent détenir le vrai pouvoir dans le pays? Nous le lui souhaitons.

Et son peuple le mérite.

Elie Wiesel




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