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Gulusar


Auteur :
Éditeur : Esfelt Date & Lieu : 1946-01-01, Paris
Préface : Pages : 222
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 142x190 mm
Code FIKP : Lp. Fr. 285Thème : Littérature

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Gulusar

Gulusar
Contes et légendes du Kurdistan

De ses longues randonnées à travers les pays d'Orient, pays de mystère et de passion, André Brunel rapporte un véritable florilège de contes qui sont comme un vivant reflet d'un monde ignoré, à l'âme farouche et libre, à mi-chemin entre la civilisation occidentale et les séculaires coutumes de l'Inde. A côté de Rose jolie ou Le Trésor du mausolée, dans la plus pure tradition des récits de Shéhérazade, des pages d'une rare intensité dramatique : La Colère du cheik Abdallah et Malédictions, nous emportent à des lieues de ces princesses lointaines, palais enchantés et tapis volants auxquels nous étions habitués. Moins de surnaturel, plus  de réalisme que dans Les Mille et une Nuits tendent à nous bien montrer que les héros de ces petits drames sont avant tout les hommes, des hommes sauvages épris d'amour et de combats, combats contre les hommes d'abord, mais surtout combats contre les dieux malfaisants, démons et djinns. Parmi tant d'autres, également riches de poésie et les de cynisme, Les Hommes-loups de Kasser Dib est bien le meilleur type de ces légendes, hallucinantes d'énigme et d'invention qui nous sont d'autant plus agréables que leur transcripteur André Brunel a su conserver fidèlement la sincérité du témoignage de ces récita d'essence directement orale. Les hors-texte bleu sombre de Léon Masson qui Illustrent l'ouvrage sont de la même étrange Inspiration et s'harmonisent parfaitement à ce livre de rêve et de mystère.- (Edit. Sfelt.)

Guillaumet


INTRODUCTION

Je suis médecin. Pour moi, la médecine est la science de la santé, la science de l'homme. Elle est au coeur de toute civilisation dont elle suit et dirige parfois l'évolution. Aussi tout ce qui est humain me passionne.

Au cours de l'été 1938, j'avais parcouru l'Europe occidentale frémissant déjà du bruit des armes. Les peuples vivaient dans la peur ou dans la frénésie. L'ombre de la croix gammée figeait les espérances.

Il y eut Munich, une défaite de l'esprit. Puis l'attente d'un dénouement certain, violent, épisode sanglant dans la lutte éternelle de la Lumière contre les Ténèbres...

Il me fut offert de servir dans le Proche-Orient. Là, l'histoire et la sagesse de l'humanité s'étaient enrichies de trésors infinis. Je décidais de partir vers le Levant où le drapeau de la France flottait aux frontières de Syrie. Je sentais que l'occasion qui m'était donnée ne se reproduirait peut-être plus.

Je m'embarquais à Marseille sur la Providence. Ce fut un voyage enchanteur par le détroit. de Messine, l'Hellas, bordée de côtes aux rocs veinés d'ocre et de rose, sous un ciel de porcelaine, Athènes et ses temples glorieux, tristes, avec son Acropole sacrée, grand vaisseau de pierre immobile... Je me souviens des îles de la mer Egée, de Kos rêve encore le grand Hippocrate, je revois, aux clartés changeantes du couchant, les minarets élancés et les murailles d'Istamboul, le platane des janissaires, la Corne d'Or. Tout un passé renaissait à mes yeux éblouis. Le Bosphore, ses palais de marbre blanc, ses châteaux en ruines dont les noms résonnent comme des cimbales, la Mer Noire, Odessa, porte d'un univers nouveau, puis la Roumanie, la Palestine où le feu couve, et Beyrouth resplendissant de lumière, offrande du Liban, me prirent tour à tour.
Là, j'appris que l'on me confiait le service médical des confins du Tigre, aux frontières de Turquie et d'Irak, dans cette portion lointaine de notre mandat en pays kurde.

Je partis pour Alep, mystérieuse cité orientale, porte de l'Asie. Les couleurs, les parfums, les costumes variés d'un peuple cosmopolite, le labyrinthe des soukhs au pied de la citadelle dont la pierre orange réchauffe comme le soleil, â l'orée d'un désert jalonné par les caravanes, tout ici me parlait de l'Orient. La poussière des troupeaux elle-même rayonnait de lumière... Une atmosphère spéciale, biblique, flottait sur toute chose.

Après un court séjour à Alep, je prenais l'Orient-Express, vers l'Est. C'est à l'aube de ce voyage que m'apparurent pour la première fois, sur un ciel clair, les montagnes du Kurdistan, que le soleil caressait de teintes mauves et carminées.
Un matin de novembre, j'arrivais à Nisibin, aux portes du Kurdistan. La grandeur sauvage du paysage était soulignée par le cadre unique formé par une chaîne ininterrompue de monts dont les sommets recouverts de neige resplendissaient.
Je visitais Kamechliyé, petite Babylone où toutes les races, toutes les religions se côtoient sur les ruines d'une université autrefois fameuse. Puis, par la route, je repartais vers le Nord-Est, vers le but de ma mission, les bords du Tigre.
La piste plus ou moins défoncée traverse d'abord les étendues monotones de la Djéziré.

On y rencontre de nombreux troupeaux gardés par des bergers kurdes, hiératiques sous leurs manteaux en peau de mouton, dont les épaules carrées semblent taillées dans la pierre.

Parfois, des vols de vanneaux, des compagnies de perdreaux, la ronde d'un charognard près d'un étang, la fuite éperdue d'une bande de gazelles, animent le parcours.

De tell en tell, un village kurde, amas de maisons cubiques aux murs tapissés de boue, s'élève comme une termitière. Des femmes vêtues de longues robes bleues ou rouges, 'serrées à la taille par un châle de couleur, vont pieds nus remplir leurs gargoulettes dans une mare; des enfants armés de bâtons gardent près d'un ruisseau boueux des chevaux, des buffles ou des veaux étiques. Des scènes millénaires se renouvellent et captivent le regard neuf.

La voiture .traverse en trombe Démir Kapou en ruines. Là des amoncellements de lave, des pans de murs croulants sont les seuls vestiges de ce lieu maudit.

La piste remonte ensuite vers le Karatchok la « Montagne très Noire », qui masque encore les perspectives grandioses du plateau de Dérik et de la vallée du Tigre, au pied des monts.

Guiré Ziaret, le col de Khana Seri, découvre l'inoubliable panorama d'Asie où j'allais vivre parmi les Kurdes. Le monde occidental et ses horizons bornés, me semblait loin, parmi les solitudes et la beauté magique de cette région.

Devant moi le Djudi Dagh et le Chichourik Dagh élevaient leurs rocs et leurs ravins profonds. Les cimes enneigées étincelaient dans l'azur. Une profonde entaille sur une crête serait d'après la tradition le dernier refuge de l'arche de Noé après le déluge.

Je n'oublierai jamais les silences et la grandeur de ce premier contact, de cette première vision du pays où j'allais vivre et servir sous les couleurs de France...

Je m'installais à Dérik, bourgade kurde d'où rayonnent les pistes qui serpentent vers les frontières d'Irak et de Turquie. Très vite je lis le tour de mon domaine. La nature, les hommes m'enchantèrent.

D'Ain Diwar à Toramich, de Tell Kotchek à Bab el Haoua, des bords du Safan Déré aux rives du Tigre, j'appris à faire la connaissance des lieux, des tribus et des races.

Dans ce vaste triangle entouré de montagnes vivaient des Kurdes. Des chrétiens et des musulmans, des adorateurs du diable et des Ismaïliés, toutes les sectes que l'esprit religieux peut enfanter, coexistaient dans une sourde hostilité.
Cultivateurs, bergers, sédentaires et nomades, toutes les gammes de l'activité, toutes les variétés de là société kurde y étaient représentés.

Une atmosphère de mystère riche, dure, excitait ma curiosité.

Je me mis au travail. Il fallut apprendre la langue, dialecte persan chantant et viril, parcourir le pays, se familiariser avec les coutumes, les noms et les choses. Je ne dirai rien des épreuves, des joies, de l'expérience unique de mon existence parmi les Kurdes.

Je désire simplement montrer à travers des contes et des légendes recueillis au cours de ce séjour, l'âme ardente, farouche de ces hommes épris de liberté, d'amour, de combats.

La plupart des personnages dont je rapporte les exploits ont croisé ma route. J'ai beaucoup appris en écoutant Rizk Allah, Abdi Agha, Naïeff Bey, le Chef des Miranes, Abd el Aziz son fils altier ou le cheikh Ibrahim.

Les longues chevauchées que je fis avec eux résonnent dans mon souvenir.

Quand je dus les quitter pour prendre rang sur les champs de bataille, ce fut avec une certaine nostalgie ; mais j'emportais avec moi la richesse d'un monde caché, la confiance d'hommes durs qui n'ont pas encore trouvé l'équilibre ou la paix.

Si, dans les pages qui suivent, des noms ont été changés, tous sont vraisemblables et les faits les plus étranges souvent vrais. Le voyageur qui put pénétrer dans cette province sauvage reconnaîtra les lieux, quelquefois même les personnages.
Au moment où le Kurdistan se rebelle aux yeux du monde pour tenter peut-être une fois encore de reconstituer son unité, maintenir l'indépendance que la nature lui préserva si longtemps dans ses montagnes, garder cette liberté qui l'enivra toujours sous toutes les dominations, j'ai pensé que ces récits pourraient apporter la sincérité d'un témoignage original.
Ce sera aussi un hommage d'amitié pour ces hommes rudes qui se passionnaient pour les choses de France et qui comprenaient que notre pays leur donnerait les garanties d'une vie plus calme et l'espérance d'un idéal humain.

Je reverrai toujours ces hommes et ces femmes confiants, ces cavaliers, ces notables de toutes les communautés du territoire, m'apporter leurs enfants ou leurs parents malades; ils ne manquaient jamais de saluer le drapeau qui flottait sur le mirador de Dé- rik et plus d'un m'a confié :

« Il y a d'abord Dieu, « Khode », ensuite il y a toi docteur Bey..., et toi, c'est la France! »

Paris, 2 mai 1946.




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