Pirtûkxaneya dîjîtal a kurdî (BNK)
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Etudes Kurdes HS II


Nivîskar :
Weşan : FIKP & l'Harmattan Tarîx & Cîh : 2006, Paris
Pêşgotin : Rûpel : 228
Wergêr : ISBN : 2-296-00105-X
Ziman : FransizîEbad : 135x210 mm
Hejmara FIKP : Liv. Fra. 4445 Mijar : Dîrok

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Etudes Kurdes HS II

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Etudes kurdes
Saladin et les Kurdes


une histoire commune

En 1169 un émir kurde de l’armée de Syrie, Saladin, succéda à son oncle à la tête du vizirat d’Egypte qu’il venait juste de conquérir. Il devint le sultan le plus célèbre de l’Islam par la reconquête sur les Francs de la ville de Jérusalem. Il assura la pérennité d’une dynastie familiale du Yémen à l’Egypte et de la Syrie à la Haute- Mésopotamie. De son intronisation au vizirat égyptien à sa mort en 589/1193, Saladin, est assisté par des personnages d’origines diverses (Turcs, Arabes, Kurdes, Iraniens). Parmi eux les Kurdes constituent un important groupe présent non seulement au sein de l’Etat ayyoubide, mais aussi dans toutes les sphères sociales des villes de Syrie Palestine et de la Djézireh. Qui étaient les Kurdes du temps de Saladin ? Comment étaient-ils perçus par les auteurs arabo-musulmans ? Quel fut leur rôle sous le règne de Saladin ? Leurs relations avec les autres groupes ? D’où venaient-ils ? Quel rapports entretenaient-ils avec leur territoire d’origine ? Comment replacer leur engagement auprès de Saladin dans une histoire médiévale des Kurdes ?


Présentation

A la fin du XIIème siècle, une famille de militaires kurdes, issus de l’oligarchie militaire de l’Etat zankide, accède au leadership du monde musulman : les Ayyoubides. La campagne que Shîrkûh, le frère d’Ayyûb, l’éponyme de la dynastie, mène en l’Egypte et son accession au vizirat fatimide permet à ses parents, et surtout à son neveu Saladin, d’acquérir l’indépendance suffisante vis-à-vis du souverain zankide Nûr al-dîn pour fonder la dynastie des Ayyoubides.

On connaît les grandes étapes de cette montée en puissance. L’instabilité et les menaces extérieures que connaît le califat fatimide d’Egypte provoquent l’arrivée dans ce pays d’un fort contingent turco-kurde et l’accession au vizirat de son chef, l’émir Asad al-dîn Shîrkûh. Malgré les menaces internes (Arméniens et esclaves noirs/notables fatimides, bédouins) et externes (le roi de Jérusalem Amaury ier et la flotte byzantine), ce groupe parvient à se maintenir et à asseoir sa domination sur l’Egypte.

A la mort de Shîrkûh son neveu Saladin lui succède, après quelques tractations entre les différents acteurs politiques de l’Egypte. Reprenant à son compte l’idéologie militante du Djihâd, il se défait de la tutelle du calife fatimide shi‘ite, al-‘Adîd, met en échec ses assaillants chrétiens et lance une campagne militaire contre la Palestine franque. La mort du souverain zankide de Syrie et de Mésopotamie, Nûr al-dîn, lui épargne une lutte imminente pour la reconnaissance de ses droits sur l’Egypte. Les successeurs du souverain turc, déjà désunis avant sa mort, perdent du terrain face à Saladin qui impose à la fin du xiième siècle sa suzeraineté ou sa domination directe sur l’Egypte, le Yémen, la Syrie-Palestine et la Haute-Mésopotamie.


Par des campagnes en Haute-Mésopotamie et à l’est de l’Anatolie, régions habitées par une forte population kurde, il réduit très nettement l’influence des Zankides de Mossoul et de la dynastie des Seldjoukides de Roum, laquelle n’hésite pas à s’allier aux Francs ou aux Byzantins et à donner à Saladin des prétextes pour intervenir. Plusieurs principautés ayyoubides existent dans ces régions et se maintiennent jusqu’à l’arrivée des Mongols en 1260, dont la principauté ayyoubide de Hisn Kayfâ (Hasankeyf), qui disparaît sous les coups de boutoir de la dynastie turcomane des Akkoyonlu au xvème siècle.

Saladin résiste à la iiième croisade menée par les trois plus grands souverains de l’Occident chrétien : Frédéric Barberousse, Richard Cœur-de-lion et Philippe Auguste. Il assure la pérennité d’une dynastie familiale. De son intronisation au vizirat fatimide à sa mort en 589/1193, il est assisté par des personnages d’origines diverses (Turcs, Arabes, Kurdes, Iraniens). Parmi eux, les Kurdes constituent un important groupe, présents non seulement au sein de l’Etat ayyoubide, mais aussi dans toutes les sphères sociales des villes de Syrie-Palestine et de la Djézireh. Appréhender la place d’un groupe ethnique sous le règne d’un souverain du Moyen-Âge demande de prendre en compte, non seulement l’aspect factuel et institutionnel de la question, mais aussi sa profondeur historique, symbolique et ethnologique. De nombreuses questions se posent, d’abord concernant l’insertion des personnalités kurdes dans l’élite ayyoubide, puis sur le groupe dans son entier et sur la perception qu’en eurent les auteurs arabo-musulmans à travers les âges.

Dans un premier temps, il a fallu suivre les carrières et répertorier les anecdotes relatives aux personnages kurdes dans toutes les sphères de la vie publique sous le règne de Saladin. En parallèle il a été possible, pour cette période, de se poser la question de l’usage et de la valeur du terme « kurde », en s’attardant sur les mentions du groupe impersonnel de ces Kurdes. On a pu, dans un deuxième temps, consigner les passages de l’histoire des Kurdes qui renseignaient sur des points ethnologiques, et sur les tribus kurdes dont étaient issus les personnages en activité sous le règne de Saladin. A tous moments les problématiques s’entrecroisaient. Lorsqu’il était question d’un personnage kurde, la réflexion sur le rôle institutionnel et politique des Kurdes sous le règne de Saladin, sur l’usage du terme « kurde » à cette époque, à travers la désignation du personnage comme « kurde » et le questionnement, du fait de son appartenance à telle ou telle tribu, sur les vicissitudes de l’histoire des Kurdes et des grands mouvements présidant à leur insertion dans les différents milieux de l’élite urbaine de l’Orient musulman, se rejoignaient.

Comme toute étude historique sur les textes, un tel travail sur les sources ne s’appuie que sur des représentations. Si les auteurs n’ont pas a priori une tendance à la dissimulation, il est possible de déceler chez eux des mécanismes conscients ou inconscients qui révèlent, tout au moins la subjectivité de leur approche, si ce n’est des stratégies idéologiques. La difficulté a évidemment résidé dans le fait que les Kurdes objets de notre étude n’ont pas de littérature écrite à cette époque, et les représentations qu’ils se faisaient d’eux-mêmes ne nous sont pas parvenues. Nos sources principales ont été produites par des auteurs se présentant comme des lettrés arabo-musulmans urbains[1]. D’autre part, il a été nécessaire de se départir de l’attitude «substantialiste» pour l’appréhension des groupes et des institutions ayyoubides. Il n’y a pas de continuum ni d’uniformité, ni dans l’usage d’un nom ni dans la réception de celui-ci. Ainsi le terme de « kurde », mais pas seulement (pensons aussi aux termes en usage dans les institutions de l’Orient médiéval, au sujet de telle ou telle fonction ou de tel ou tel corps d’armée), doit être questionné à tous moments de son histoire et sous la plume de tous les auteurs. De plus, un groupe, ethnique ou autre, n’est pas une entité abstraite où les individus n’auraient aucun rôle à jouer. L’identité n’est pas une substance. Certes dépendante de l’histoire du groupe, elle est une notion subjective et mouvante[2].

Pour des raisons idéologiques et historiques, la période de Saladin n’a pas suscité un grand engouement et a été plutôt négligée par l’histoire nationale kurde. Elle comporte pourtant un intérêt certain pour la connaissance des Kurdes au Moyen-Âge. C’est une période de montée en puissance des Kurdes en dehors du territoire « tribal ». L’arrivée au pouvoir de Saladin s’inscrit dans la dynamique consécutive à l’établissement des dynasties kurdes en Haute-Mésopotamie, dans le Djibâl et l’Azerbaydjan du xème au xiième siècle. Citons, entre autres, les Shaddâdites de la tribu des Rawâdiyya (du xème à la fin du xiième siècle) en Azerbaydjân ; les Rawâdites liés eux aussi aux Hadhbâniyya (du ixème au xième siècle), en Azerbaydjan ; les Hasanwayhides de la tribu Barzîkânî (xème et xième siècles) régnant sur Hulwân, Dînawar, Nihâvand, la région autour de Hamadan et le Shahrazûr ; les Marwânides d’origine humaydiyya (du xème au xième siècle) sur le Diyâr Bakr et autour du lac de Van. Les Marwânides, les Rawâdites et les Shaddâdites, en intégrant de nombreux Kurdes à leur service dans l’armée ou dans l’élite civile, et en développant une culture originale et un mode d’administration propre, ont très certainement préparé le terrain à la fondation d’une grande dynastie kurde.

D’un autre point de vue, il est certain que le règne de Saladin constitue une exception dans la période de crispation politique consécutive à la Première Croisade. L’agression de l’Occident chrétien et l’invasion mongole, aux xiième et xiiième siècles, provoquent l’apparition chez les musulmans d’un pessimisme historique, à l’origine de la formation en Islam de régimes militaires exclusifs. L’accueil par la société de Saladin et de ses successeurs de nombreux intellectuels étrangers juifs et chrétiens et le comportement notoirement tolérant du sultan envers les chrétiens orientaux et occidentaux, font du régime ayyoubide une exception, au même titre que celui des Seldjoukides de Roum. L’origine des Ayyoubides et d’une grande partie des personnes engagées auprès de lui, notamment les Kurdes, n’est certainement pas étrangère à ce constat. Les zones habitées par les Kurdes à cette époque sont des zones multiculturelles et multiconfessionnelles. La famille de Saladin est originaire de Dvin, une ville du Caucase méridional où se cotoyaient Kurdes, Daylamites, Arméniens… De ce fait, mais aussi par le peu d’importance que les Kurdes accordaient à leur généalogie et à une représentation patrilinéaire de leur identité, les Ayyoubides ont très certainement été amenés à plus de souplesse dans leurs rapports aux autres groupes.

Notre étude se présentera en trois parties. Dans un premier temps, nous évoquerons l’histoire des tribus kurdes engagées auprès de Saladin. Il sera alors question de la dynamique globale dans laquelle s’inscrivent les Kurdes au service de Saladin. Nous ferons, en premier lieu, un récapitulatif de l’entrée des Kurdes dans l’historiographie musulmane. Nous situerons géographiquement leur région d’origine, tout en évoquant leur rapport à ce territoire. Enfin, nous présenterons les tribus kurdes et leur place dans ces régions et dans les métropoles de l’Orient médiéval. En parallèle, seront mises en relief les solidarités qui permettent d’évoquer l’existence et l’enracinement d’un élément kurde dans l’élite urbaine de la deuxième moitié du xiième siècle, en Syrie-Palestine et dans les villes de la Djézireh.

Une deuxième partie, essentielle pour garder à l’esprit la profondeur ethnologique de notre sujet, montrera la difficulté à connaître les Kurdes et à appréhender leur identité au Moyen-Âge, en mettant en exergue les représentations véhiculées ou retranscrites par l’élite lettrée des historiographes de l’époque. En parallèle, il faudra signaler en quoi ces représentations influencent l’usage du terme « kurde » sans pour autant constituer une définition de ce groupe. Nous tenterons de démontrer l’impasse de la démarche «substantialiste», visant à la recherche obsessionnelle de critères objectifs ou tangibles pour la définition des Kurdes au Moyen-Âge. En effet, les sources ne parviennent pas à établir de tels critères. D’un autre côté, elles donnent à voir un groupe kurde inséré dans l’élite urbaine, de même que les stratégies qui lui permettent de se distinguer en tant que groupe à part entière.

Enfin, dans une troisième partie consacrée uniquement au règne de Saladin, nous mettrons en relief la place des Kurdes dans l’organisation et la hiérarchie de l’élite civile et militaire de cette époque, ainsi que le rapport de l’élément kurde avec les autres groupes au sein de l'institution militaire de l’Etat ayyoubide, notamment les mamelouks et les Turcs. Il sera nécessaire d’évoquer certains points de la réflexion sur les institutions ayyoubides afin de clarifier nos vues sur les rapports de pouvoir en son sein. Il faudra donc signaler à la fois la place des Kurdes dans la composition de ces institutions et dans ces rapports de pouvoir. Nous appuierons la démonstration par des exemples de familles kurdes ou de carrières exceptionnelles témoignant de l’influence de ces groupes auprès du centre de décision, mais aussi dans le cadre culturel général de l’époque ayyoubide.




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