VersionsContes du Kurdistan I [Français, Genève, 1999]
Contes du Kurdistan II [Français, Genève, 1999]
Contes du Kurdistan III [Français, Genève, 1995]
Contes du Kurdistan IV [Français, Genève, 1999]
Contes du Kurdistan I
Dans le Kurdistan rural où les écoles sont rares, la culture orale joue un rôle fondemental dans la formation du caractère kurde. Cette tradition remplace, d'une certaine façon, le rôle éducatif des écoles.
A travers ces douze contes, un code de morale entier se reflète et transparaît tout au long des histoires qui ont, d'autre part, su garder l'humour et la fraîcheur de la parole. Une esquisse, donc, des différents traits de caractère de ce peuple: courage, hypocrisie, amour, lâcheté, égoïsme, fierté sont tour à tour loués ou méprisés selon que le Kurde garde ou rejette ces sentiments en fonction de son identité.
Illustrés merveilleusement par un artiste suisse de talent, Philippe Chappuis (ZEP), devenu célèbre par ses bandes dessinées Titeuf.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction / 5
La brebis et le loup / 11
Le pauvre, le serpent et la fatalité / 17
Zeng et Beng / 23
La belle Kez / 29
N'est pas lion qui veut / 37
Les grandes choses naissent dans les petites choses / 43
Le roi et ses conseillers / 47
Hassan Dori et sa femme / 55
Le renard repenti / 61
Un paysan intelligent / 67
Goherz et le serpent / 73
Le renard des plaines et le renard des montagnes / 77
INTRODUCTION
"Berceau de l'humanité", pour le Révérend W.A. Wigram, de Canterbury, le Kurdistan l'est aussi pour les archéologues qui ont découvert, ces dernières années, d'importants signes préhistoriques. Dans la grotte de Shanidar ont été dénichés les restes osseux de sept individus Néandertaliens. Par l'analyse pollinique des sédiments, on a pu constater l'existence de la plus ancienne manifestation de sépulture cérémonielle chez l'homme, datant de 62 000 ans avant Jésus-Christ.
A Jermo, l'aventure humaine se poursuit par la découverte du premier village agricole du Moyen-Orient. Le peuple de Jermo élevait et domestiquait certains animaux, semait et récoltait des céréales, cuisait ses aliments dans des fours de sa propre fabrication, et modelait la terre pour y imprimer des figurines manifestant déjà une activité artistique.
Parmi ces statuettes figurent des représentations religieuses prototypes de la "Déesse Mère" que l'humanité a évoqué dès ses premiers pas. Mais, malgré ces fouilles, il reste encore beaucoup d'endroits vierges et inexplorés au Kurdistan.
Le Kurdistan est "le Pays des Kurdes" dont le peuple, descendant des Mèdes de la Bible, parle une langue appartenant à la branche persane des langues indo-européennes. La plus vaste partie du Kurdistan est montagneuse, - le Mont Ararat, 5165 m - Tchilo, 4130 m -. Sa superficie est l'équivalent de celle de la France. Elle s'étend de la chaîne d'Anti-Taurus en Turquie jusqu'au Plateau Iranien et, des confins de la Mer Noire aux steppes de la Mésopotamie. Le climat continental est sujet à de grandes fluctuations. C'est également au Kurdistan que le Tigre et l'Euphrate prennent leur source ainsi que beaucoup d'autres rivières plus petites qui vont se jeter par la suite dans le Golfe Persique.
La population Kurde avec plus de 35 millions d'habitants est en majorité musulmane sunnite. Il y a aussi une petite minorité de musulmans chiites. D'autres groupes sont des Ezidis, et des chrétiens. Ils représentent aujourd'hui la plus grande nation sans Etat.
Durant la première moitié du XlXème siècle, les Principautés kurdes indépendantes sont tombées, l'une après l'autre, sous les attaques des armées de l'Empire Ottoman et de l'Empire Persan.
Le partage du Moyen-orient après la première guerre mondiale se fit surtout par l'Angleterre et la France - puissances mandataires qui se partagèrent l'héritage énorme de l'Empire Ottoman désintégré. Concernant le Kurdistan, ils envisagèrent en premier la création d'un Etat indépendant lors du Traité de Versailles en 1919. Ils confirmèrent ensuite leur promesse par le Traité de Sèvres en 1 920. Puis, ils reculèrent et annulèrent toutes leurs décisions par le traité de Lausanne en 1 923. Et, finalement, ils s'élevèrent violemment contre le Mouvement National Kurde et écrasèrent toutes les révoltes pendant plus de trente ans.
Le Kurdistan fut divisé en quatre parties. Une grande partie fut annexée à l'Irak par les Anglais et une autre à la Syrie par la France. Les deux autres restèrent sous domination turque et iranienne. Il y a également une petite partie située en Union Soviétique. Différents traités scellèrent des ententes militaires entre les Etats qui partagèrent le Kurdistan : Traité de Saadabad, les nombreux accords sur la sécurité des frontières, le Pacte de Bagdad, l'Accord d'Alger. Et plus récemment, en automne 1984, l'accord turco-irakien, qui a donné lieu a des opérations militaires appelées "opérations Soleil".
Même si les Kurdes n'ont pas encore pu établir leur Etat (à l'exception de la république éphémère de Mehabad en 1946) ils continuent toujours la lutte pour l'émancipation totale. En raison de cette résistance, les Etats dominants n'ont jamais pu les assimiler ni les intégrer parmi eux. La culture kurde est encore profondément vivante, en dépit de la sévère répression. Elle prend aujourd'hui un nouvel essor. Mais cette répression économique et politique se reflète malgré tout dans les mentalités kurdes. Et ce n'est pas un hasard si chaque conte et légende commence par : "Dieu, grand et miséricordieux , bénis ceux qui nous écoutent, et damne les gendarmes et les collecteurs d'impôts. "
Dans les villes kurdes, la répression culturelle va jusqu'à l'interdiction de parler, de chanter et d'écrire en kurde. Le système éducatif de l'Etat (presse / école / télé / cinéma...) propage la culture et la langue des Etats dominant. Mais les campagnes échappent en grande partie à ce malaise. Les villages kurdes, disséminés par dizaines de milliers, dans d'inaccessibles montagnes, gardant peu de contacts avec le monde extérieur, ont pu conserver leur langue, leur tradition et leur culture.
Pendant les longues nuits de décembre et de janvier, les familles se rassemblent, le soir, autour d'un feu, rejointes par les amis et les voisins, et écoutent, fascinés par les longues histoires, les chansons que les troubadours, les bardes ou conteurs chantent et racontent. Pour les enfants kurdes, c'est alors l'occasion de connaître leur propre histoire, l'histoire de leur peuple et de leur tribu, truffée de légendes et de contes dont les actes des héros - guerriers défendant leur peuple contre les invasions étrangères - sont chantés, contés et dansés.
Dans les villages kurdes, la culture rurale prend plusieurs formes : poèmes, danses scandées de rythmes incantatoires, rituel religieux sur chants Soufis des Qadris et des Naqshbandis deux branches du Soufisme très répandues parmi les Kurdes. On chante sur plusieurs rythmes les poèmes du plus célèbre soufi kurde, MELE JIZIRE, ou les chants patriotiques d'AHMED KHANE. Il existe aussi de longues épopées qui peuvent être racontées durant des nuits, des chants populaires, chants épiques, chants d'amour, des danses, des berceuses, des chants qui reflètent presque tous les domaines de la vie quotidienne dans les campagnes. Mais il y a aussi d'innombrables formes d'histoires, longues et courtes, de charades, de blagues, qui peuplent les soirées et les rendent très vivantes.
Concernant ce livre, nous avons surtout privilégié la morale du peuple kurde. Ces nouvelles ont pour but de semer et de former une certaine éthique. A travers elles, c'est un code entier de morale qui est enseigné.
Le conte de "La brebis et le loup" montre clairement le refus de l'opportunisme dans la communauté. "Les grandes choses naissent dans les petites choses" raconte l'importance de l'obéissance au chef de la famille : le père. Elle montre aussi la nécessité de réagir et de se venger en cas d'agression. "Le renard repenti" manifeste une vive critique contre l'hypocrisie de certains Mollah¹ qui n'ont de religieux que la robe.
L'histoire du village d'Hassan Dori est une histoire parmi tant d'autres qui ont affecté presque toutes les campagnes du Kurdistan irakien. Le village d'Hassan Don a existé. Il n'en reste aujourd'hui que des ruines². Après mars 1975, le régime Ba'athiste de Sadam Hussein entreprit d'arabiser les Kurdistan sur une vaste échelle. Plus de 1 800 villages furent rasés par l'année irakienne, par centaines de milliers les habitants furent déportés et envoyés dans des camps de réfugiés. La Tribu d'Hassan Dori, BARZAN, reçut en juillet 1983 un coup supplémentaire. On encercla les Barzanis qui vivaient dans le camp de Koshtapa et qui étaient des civils. Puis, on sépara les hommes des femmes, et on arrêta presque tous les hommes entre 15 et 80 ans. On les mit dans des camions militaires et on les déporta dans un lieu resté secret.
Aujourd'hui, plus de quinze ans se sont écoulés, et ils sont encore portés disparus. Nous n'avons plus aucune trace de leur existence. A la question de savoir si ces milliers d'homme ont été emprisonnés, torturés, massacrés ou s'ils sont encore en vie et où, personne n'a répondu.
C'est dans cette atmosphère tragique que certains contes kurdes prennent naissance. Mais, comme nous l'avons dit, nous avons seulement parlé des histoires qui offrent un aspect moral.
Peresh
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1-Le Mollah est un prêtre musulman.
2-Le village de Dori a été reconstruit, comme des milliers d'autres villages, par des organisations humanitaires occidentales après la guerre du Kuwait en 1991. CARITAS Suisse a joué un rôle remarquable dans la reconstruction du Kurdistan.
Contes du Kurdistan I
Editions Orient-Réalités
Case postale 2
CH-1211 Genève 7
1999, Genève
traduction par Lou Rée
Publié avec le soutien
de l'Entraide Protestante Suisse (EPER)