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Faraç : dans les salles de torture de Turquie


Éditeur : EPO Date & Lieu : 1994, Bruxelles
Préface : Germain DufourPages : 144
Traduction : ISBN : 2-87262-093-1
Langue : FrançaisFormat : 125 x 195 mm
Code FIKP : Liv. Pre. Fre. Sup. Far. N° 7737Thème : Général

Faraç : dans les salles de torture de Turquie

Faraç : dans les salles de torture de Turquie

Mickaël Suphi


EPO


Ce livre signe mon arrêt de mort. L’organisation pour laquelle j’ai travaillé ne supporte pas la moindre trahison. Mais je ne peux plus me taire.
Je suis né à Bruxelles, de parents turcs. En 1987, je suis parti dans mon pays pour y remplir mes obligations militaires...
Ainsi commence le témoignage de Mickaël Suphi qui, par un caprice du destin, se retrouvera bourreau dans les salles de torture des services secrets turcs. Son pseudonyme là-bas : Faraç. Il déserte et réussit à fuir la Turquie. Une grande chance. Mais même à l’étranger, des agents secrets le poursuivent. Il doit passer dans la clandestinité. Malgré d'énormes risques pour lui-même et sa famille, il décide de parler. Il vient frapper à la porte des éditions EPO.
Ce livre est une description aussi pénible que précise des techniques de torture utilisées en Turquie, du système d’angoisse et de terreur qui fonde la répression dans ce pays. Répression des Kurdes, mais aussi répression des forces démocratiques.
“Lecteur, bon courage”, écrit le sénateur Germain Dufour dans sa préface. Et du courage il en faut pour lire cet acte d’accusation terrible.
Mickaël Suphi est de nationalité belge. Il est le témoin par excellence des violations des droits de l’homme en Turquie. Le lundi de Pâques 1994, tandis qu'il mettait la dernière main à ce livre, un commando de Turcs non-identifiés l’attaquèrent dans les bois … empêcher la publication de cet ouvrage.


Table des matières

Préface (Germain Dufour) / 7

Introduction. Les yeux bandés / 9

Chapitre 1. Comme l’aigle, comme l’éclair / 14

Chapitre 2. Le monde sous-humain de Kutahya / 20

Chapitre 3. L’enfer d’Eskisehir / 41

Chapitre 4. La fuite / 73

Chapitre 5. Techniques de tortures telles que je les ai ap¬prises à la CDA / 105

Chapitre 6. La contre-guérilla / 125

Chapitre 7. Intimidation à Winkelomheide / 135

Ceci n’est pas une conclusion / 138

Photos / 81


PREFACE

Le livre de “Faraç” est un témoignage supplémentaire à verser au dossier de la violation des droits de l’homme.

A certains, il n’apportera pas d’éléments nouveaux ; la torture, hélas, se heurte aux murs de nos indifférences bancaires, aux moquettes de nos ambassades et devient banale pour nos médias.

Pour d’autres, ce livre réveillera la triste réalité d’un terroir hautement touristique et culturel. Ce Kurdistan aux confins du Tigre et de l’Euphrate, berceau de notre civilisation a aujourd’hui le goût amer de choses vécues déjà en Palestine.

Tout ce que raconte Mickaël Suphi se pressent aux murs de Diyarbakir, dont je garde le choc en mémoire depuis des mois déjà.

La ville a explosé hors les murs : flux des réfugiés, spéculations immobilières. Ruelles étroites et abondance de HLM en font un heu propice à la résistance. L’oppression militaire est partout, les hélicoptères ont remplacé les cigognes.

Au delà de la peur, c’est toute la résistance silencieuse, le langage des yeux et des codes. Mais aussi, comme le raconte Faraç, les collaborateurs, les indicateurs et donc, la violence des règlements de compte. Une odeur de guerre d’occupation.

Particulièrement, ce que raconte Mickaël Suphi nous l’avons soupçonné dans l’enceinte et les abords du bureau du super-vali : Unal Erkan. Ce fonctionnaire à tout pouvoir sur la région. Il a jadis coordonné des services secrets du MIT, de la BSR et de la CIA. Cet homme a l’oeil vif. Ses déplacements se font à toute allure dans un cortège de jeeps. Ses collaborateurs aperçus étaient pour certains, des clients d’hôtel à Diyarbakir.

Ce “saint des saints” durant deux heures d’attente nous a montré des laboratoires propagandistes des soi-disant atrocités perpétrées par le PKK. Aucune allusion à l'élimination des villages et aux violences de l’armée turque.

Et pourtant cet Unal Erkan n’est encore qu’une créature des généraux. La Turquie, membre de l’OTAN, du Conseil de l’Europe, terre sans pitié pour les Kurdes qui n’y ont même pas les droits culturels, nous interpelle.

Lecteur, bon courage.

Juillet 1994
Germain Dufour, sénateur

Introduction

Les yeux bandés

« Mon mari a disparu en juin 1985. Lorsqu’après deux jours il n’était pas encore revenu, j’ai craint le pire. Ce deuxième jour, une vingtaine de policiers se présentèrent chez moi vers deux heures trente de la nuit. Certains portaient un pistolet mitrailleur.
“Ouvrez”, hurlaient-ils, “sinon nous enfonçons la porte.”

Les agents se précipitèrent à l’intérieur. Je les suppliai de ne pas entrer dans la chambre de mes enfants. Ils n’ont que neuf et six ans. Mais cinq hommes armés firent comme s’ils n’avaient rien entendu.

“Vous êtes probablement innocente”, nous dit un policier, “mais nous vous surveillons depuis pas mal de temps. Le MIT souhaite que vous nous aidiez à faire parler votre mari.”

Je dis aux agents que je m’inquiétais beaucoup pour les enfants. Je ne connaissais personne qui avait la possibilité de venir les garder en mon absence. Les policiers décidèrent alors que les enfants n’avaient qu’à nous suivre. Je réveillai ma fille aînée. Je pensais qu’elle paniquerait. Mais elle dit très calmement :

“Maman, va t’habiller. Je m’occupe de réveiller ma petite sœur.”
Pendant qu’elle secouait sa jeune soeur, elle regardait continuellement les armes. Nous avons été conduites au quartier général de la police d’Istanbul. Nous entendions hurler des gens. Ma fille aînée me dit :

“Maman, j’entends la voix de papa. Ils sont occupés à l’assassiner.”
J’essayais de la calmer. Mais elle répétait continuellement :
“Maman, on assassine papa, on assassine papa.”

Je n’arrivais pas à la calmer, car nous continuions à entendre les cris et les hurlements. Lorsqu’enfin elle s’endormit difficilement, dans son sommeil, elle continuait à répéter comme un robot :
“Ils sont occupés à frapper mon papa.”

Vers neuf heures du matin nous avons été transférées dans une chambre spéciale pour enfants. Au sol, un sale matelas et puis, deux chaises. Cette pièce avait une fenêtre bizarre : depuis la salle de torture on pouvait voir dans notre chambre, mais nous regardions dans un miroir. Régulièrement, un agent entrait.

“Ecoutez, dites à votre mari de parler. Sinon, vous aussi, vous resterez enfermée ici.”
Mes enfants hurlaient. Elles avaient peur que moi aussi je ne sois torturée.
Plus tard dans la journée, une femme-agent entra dans la pièce.

“Allons, dites la vérité”, demanda-t-elle gentiment. “Nous savons tout. Vous n’avez rien à voir avec les activités de votre mari. Dites-nous simplement les noms de ceux qui venaient chez vous. Si je peux vous donner un bon conseil : demandez immédiatement le divorce.”

Vers six heures et demie du soir, nous avons entendu une plainte à vous glacer le sang dans la chambre de l’autre côté du couloir. La porte était ouverte. De notre chambre nous pouvions voir comment un homme était battu. C’était mon mari ! Il avait un bandeau sur les yeux. Mes enfants et moi nous fûmes forcées d’entrer dans la salle de torture. Mon mari reconnut ma voix.
“Ça m’est parfaitement égal que ma femme et mes enfants meurent,” dit-il.

Je compris qu’il ne parlerait jamais. Il fut roué de coups, battu à coups de pied. C’était horrible.
Deux jours durant, nous n’avons reçu aucune nourriture. Chaque nuit, nous entendions les hurlements des torturés. Après ces deux jours, la famille des prisonniers reçut l’autorisation de venir chercher les enfants. A ce moment, quelques-uns des martyrisés furent placés dans le couloir, un bandeau sur les yeux. Mon mari faisait partie du nombre, agenouillé et les yeux bandés. Ma fille courut vers lui et murmura :

“Papa, nous t’aimons.”
Et alors, dans un grand écheveau composé des voix de ces hommes, de ces femmes et ces enfants dans le couloir, le cri se répercuta pour atteindre d’un mouvement continu ces hommes agenouillés et les yeux bandés :

“Nous vous aimons.”
Les enfants purent rentrer à la maison seulement trois jours plus tard. Je ne pus même pas les embrasser pour leur dire adieu. On m’enferma dans une petite cellule. Il y faisait très sale et cela puait. Un jour, je me sentis mal. Je voulus aller aux toilettes. Un policier me dit :
“Pisse dans ta cellule, sale chienne.”

Des membres de ma famille m’apportèrent de la nourriture, mais devant moi, cette nourriture fut jetée à la poubelle. Dans ma cellule, je pensais continuellement à mes enfants. Un jour, je regardais par une petite ouverture dans la porte. Je vis mon mari. Un policier lui enfonçait la tête dans un seau de lait.

Puis, un autre jour, je fus interrogée à mon tour. On me frappa sur la tête.
Après trente jours de détention, en compagnie de quelques autres femmes, je dus me placer devant des caméras de télévision. Ainsi, tout le monde, même mes propres enfants, pourrait voir ce qui nous arrivait. Une voix dit que nous étions des criminelles.

Puis nous fûmes transférées dans une prison militaire. Là, il fallut rester menottées. Même pour aller aux toilettes.

Puis, nous avons comparu devant un juge. Je fus Ebérée et je pus rentrer à la maison.
Quelques jours plus tard, avec mes enfants, nous écoutions la radio. Une voix d’homme expliquait qu’en Turquie, la torture n’existait pas. Ma fille aînée se leva et dit :
“Qu’ils me le demandent à moi, si la torture n’existe pas”…


Mickaël Suphi

Faraç : dans les salles de torture de Turquie

EPO

EPO
Faraç : dans les salles de torture de Turquie
Mickaël Suphi
Préface de Germain Dufour

Couverture : EPO et Liliane Pauwels
Dessin : Torture en Turquie
Photocomposition : EPO
Impression : EPO [94/0795]

Titre original :
Faraç. Relaas uit de Turkse folterkamers
Traduit du néerlandais
© Mickaël Suphi et Editions EPO

© Traduction 1994 Editions EPO
20A rue Houzeau de Lehaie
1080 Bruxelles - Belgique
Tél: 32 (0)2/414.29.88

Lange Pastoorstraat 25-27
2600 Anvers - Belgique
Tél: 32 (0)3/239.68.74
Fax : 32 (0)3/218.46.04

ISBN 2-87262-093-1
D1994/2204/24



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