
Le Genocide des Arméniens Devant l'ONU
Varoujan Attarian
Editions Complexe
Le génocide des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale est un des grands crimes contre l'humanité resté impuni : une partie importante de la population arménienne de l'Empire ottoman a été massacrée, le reste a été en majorité déporté dans des conditions horribles, conçues pour en achever l'extermination.
Aujourd'hui, la Turquie nie les faits, conteste le nombre de victimes, invoque le passage du temps et prétend à l'impunité. Dans le cadre de sa politique de négation, elle s'est efforcée d'empêcher toute mention du génocide des Arméniens dans les documents de l'ONU.
En montrant les artifices et les jeux politiques au service du déni de responsabilité, et présentant pour la première fois une vue complète de ces actions menées au sein de l'ONU, l'ouvrage dépasse le cas des Arméniens et renvoie à la douloureuse réalité des génocides récents et aux agissements de leurs auteurs recherchant l'impunité.
Varoujan Attarian est un ancien haut fonctionnaire d'une organisation internationale à Genève. Il a suivi pendant plus de dix ans cette bataille politique et diplomatique du génocide des Arméniens devant l'ONU.
Sommaire
Avant-propos de l’auteur / 11
Préface / 13
Les faits / 17
Le contexte historique / 23
La négation / 33
Après Lausanne / 43
Premières actions à l’ONU / 49
Le premier rapport / 55
La fin du paragraphe 30 / 63
La reprise du dossier / 15
Le rapport préliminaire / 85
Le rapport Whitaker / 95
Insuffisances de la Convention / 109
Positions actuelles / 119
Quelques perspectives / 129
Références bibliographiques / 137
AVANT-PROPOS DE L’AUTEUR
A plusieurs reprises, et à des moments différents jusqu’au milieu des années 80, le génocide des Arméniens a fait l’objet de débats au sein de l’ONU. Ceux-ci s’inscrivent dans le cadre des initiatives qui, après l’adoption d’une Convention internationale sur le génocide, se proposent d’en renforcer l’application en tant qu’instrument de prévention et de répression. Ces travaux se déroulent dans un contexte de manœuvres et de pressions diplomatiques révélant une ferme volonté de la Turquie d’empêcher la moindre mention du crime commis contre les Arméniens.
Ce livre retrace les actions menées au sein de l’ONU sur la question du génocide, et sur celui des Arméniens en particulier. Au-delà d’une relation des débats et de leurs conclusions, qui représentent la face visible du travail politique à l’ONU, j’ai voulu apporter au lecteur des informations peu connues sur les préparatifs des séances, les manœuvres, et les pressions qui les accompagnent.
Il s’agit là d’abord du souci d’un témoin privilégié cherchant à fournir sur ces travaux à l’ONU concernant le génocide des précisions aussi détaillées qu’il est raisonnablement possible. J’ai voulu surtout, en mettant en évidence un faisceau de données facilement vérifiables, prévenir et décourager les tentatives de distorsion des faits, dès qu’il s’agit du génocide des Arméniens en l’occurrence de l’adoption au sein de l’ONU d’un rapport qui le reconnaît.
Cet ouvrage se veut un hommage aux défenseurs sincères des droits de l’homme à l’ONU - relativement peu nombreux parmi les officiels qui en font profession - et en premier lieu à Benjamin Whitaker qui a su résister aux tentatives d’intimidation et aux risques de rétorsion, ceci comme plusieurs de ses pairs, et en particulier C.L.C. Mubanga-Chipoya dont la fermeté d’attitude devant les pressions subies reste mémorable. Cette publication a été déli-bérément retardée de plusieurs années afin que le passage du temps amoindrisse ces risques pour les personnes — désignées ou non par leur nom - qui ont joué un rôle dans les faits relatés.
Le livre doit beaucoup au talent de persuasion de Leandro Des- pouy déjà mis en évidence devant ses collègues de l’ONU. C’est lui qui m’a convaincu que les informations recueillies à l’ONU en plusieurs années de travail politique pouvaient être fructueuses pour d’autres. Ma reconnaissance s’adresse d’abord à lui. Elle va aussi à Gérard Chaliand qui m’a encouragé à écrire ce livre et m’a aidé de ses conseils. A Armand Gaspard qui m’a donné des avis éclairés sur plusieurs points. A Jacqueline K.-Yadid dont l’exigence en matière de style m’a permis d’éliminer des expressions issues d’une longue pratique du français international. A Annie Vilanek qui a réussi à déchiffrer mon manuscrit et ses retouches et à en tirer un texte lisible. Enfin à Tamara pour son intérêt attentif à ce travail et ses suggestions utiles.
Préface
Le génocide est un crime de lèse-humanité dont la condamnation doit être universelle. Le temps ne diminue en rien la responsabilité de ses auteurs et il n’y a pas de prescription pour un tel crime.
Au XXe siècle, le génocide demeure un fléau frappant l’humanité de manière récurrente. Le terrible holocauste des Juifs a été une des plus effroyables violations des droits de la personne et des peuples. Au procès de Nuremberg les responsables ont été jugés et condamnés. Mais combien d’autres génocides restent impunis ! La Convention internationale sur le génocide établie en 1948 n’a pas empêché depuis la perpétration de ce crime. Les responsables s’efforcent de nier leur culpabilité et prétendent à l’impunité.
Le génocide des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale est un de ces grands crimes contre l’humanité restés impunis : une partie importante de la population arménienne de l’Empire ottoman a été massacrée, le reste a été en majorité déporté dans des conditions horribles, conçues pour en achever l’extermination. J’ai examiné de nombreux rapports sur ces événements et recueilli les terribles témoignages de survivants qui étaient des enfants parmi les déportés en 1915-1916. J’étais alors membre du Tribunal permanent des peuples siégeant à Paris en 1984 pour juger de ce génocide.
Ces Arméniens, contraints à l’exil, et leurs descendants vivent aujourd’hui dans de nombreux pays, y compris dans la petite Arménie qui a survécu. La diaspora qu’ils forment, répartie à travers le monde, reste attachée à la langue, la religion, la culture de leur peuple.
Aujourd’hui, la Turquie nie les faits, conteste le nombre de victimes, invoque le passage du temps et prétend à 1 impunité. Héritière de l’Empire ottoman elle assume pourtant la continuité de l’Etat. C’est à l’Etat turc, installé dans la longue durée politique, qu’il incombe de reconnaître le crime. Il est nécessaire que le génocide des Arméniens, comme les autres génocides, ne reste pas impuni. Il importe que la communauté des nations se dote des mécanismes juridiques susceptibles de sanctionner sans faille les coupables.
Dans le cadre de sa politique de négation, la Turquie s est efforcée d’empêcher toute mention du génocide des Arméniens dans des documents de l’ONU. C’est d’abord lors de la parution d un rapport de la Commission des crimes de guerre (en 1948) qui comporte un passage sur les massacres des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale. Puis elle a bataillé avec succès de 1973 à 1979 pour obtenir la suppression d’un paragraphe rappelant ce crime, et figurant dans un rapport sur le génocide.
Elle a aussi protesté en 1985, cette fois-ci sans parvenir à ses fins, contre un autre rapport sur le génocide, le rapport Whitaker, qui mentionne aussi le crime commis contre les Arméniens ainsi que d’autres cas de génocide au XXe siècle.
Varoujan Attarian relate dans ce livre les différentes étapes de cette longue bataille : déroulement des séances officielles au sein des Commissions de l’ONU, pressions autour de la préparation des documents, manœuvres en coulisse, etc. Il a suivi de près pendant plus de dix ans les nombreuses phases de ces discussions et les rapporte avec force détails et une précision toute scientifique.
Cet ouvrage est le premier qui donne une vue complète des actions concernant le génocide arménien menées au sein de l’ONU. Celles-ci s’insèrent dans un tableau plus vaste de dispositions relatives aux crimes graves, dont le génocide, prises au cours de plusieurs décennies. Par les détails qu’il fournit sur 1 ensemble de ces travaux et de leurs résultats, les références précises qu’il contient, le livre constitue une source très riche d’informations sur cette page d’histoire diplomatique.
Ces précisions prennent tout leur relief lorsqu’elles mettent à nu des manœuvres et des pratiques propres à freiner telle procédure ou à bloquer telle décision au sein de l’ONU. Varoujan Attarian analyse ainsi quelques-uns des procédés utilisés par la diplomatie turque lorsqu’elle s’évertue par exemple à empêcher l’inscription correcte des faits dans un rapport, à donner une vue déformée des conclusions d’une séance, etc., bref lorsqu’elle veut faire passer une version inspirée par sa politique de négation, dès lors qu’il s’agit du génocide des Arméniens.
En démontant les mécanismes de la négation, en montrant les artifices et les jeux politiques au service du déni de responsabilité, l’ouvrage dépasse ainsi le cas des Arméniens. Il renvoie à la douloureuse réalité de génocides récents et aux agissements de leurs auteurs recherchant l’impunité. En cela il est malheureusement très actuel.
Ce livre vaut aussi - et ce n’est pas le moindre de ses mérites - en tant que récit et analyse d’une expérience. Celle de la défense au sein de l’ONU d’un dossier politiquement sensible contre la volonté d’un Etat influent au plan international. Il a fallu résister aux interventions diplomatiques, déjouer les pressions et travailler dans la durée pour parvenir à un résultat tangible. Pour le peuple arménien qui a un Etat indépendant depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la défense de ce dossier ne se pose pas dans les mêmes termes qu’il y a dix ans. Mais les enseignements tirés de cette expérience peuvent servir bien d’autres luttes politiques.
Bien sûr les Arméniens ont encore un long chemin à parcourir pour obtenir la reconnaissance universelle - y compris par la Turquie - du génocide subi. Par la rigueur de ses analyses, par les perspectives lucides qu’il montre, ce livre constitue une contribution remarquable à ce combat politique.
Adolfo Perez Esquivel*
* Prix Nobel de la Paix.
Les Faits
Au début de 1915, le gouvernement des Jeunes Titres, à la tête de l’Empire ottoman, ordonne un ensemble d’opérations qui abou-tiront à l’élimination quasi totale des Arméniens vivant en Turquie. L’Empire est alors en guerre contre les pays de l’Entente1, ses troupes sont notamment engagées contre les Russes aux confins du Caucase.
Elimination des Arméniens : le coup d’envoi
Quelques événements sanglants se produisent dans des provinces reculées2 ; mais c’est dans la capitale à Constantinople (Istanbul)* qu’est donné le coup d’envoi des opérations. Le 24 avril 1915, plusieurs centaines de notables arméniens, politiques, écrivains, religieux sont arrêtés et éloignés ; ils seront tués au cours des semaines suivantes. Les massacres de la population commencent après l’éli-mination de ses dirigeants susceptibles d’alerter l’opinion internationale. Il apparaît rapidement qu’il ne s’agit pas d’une de ces vagues de violences qui ensanglantent sporadiquement la région, mais d’une entreprise d’éradication à grande échelle.
…..
* Les noms actuels des villes sont indiqués entre parenthèses.
Varoujan Attarian
Le Genocide des Arméniens Devant l'ONU
Editions Complexe
Editions Complexe
Le Genocide des Arméniens Devant l'ONU
Interventions
Varoujan Attarian
© Éditions Complexe 1997
ISBN 2-87027-680-X
D/l638/1997/13
Préface d’Adolfo Perez Esquivel
La photocomposition de cet ouvrage a été réalisée
par Tournai Graphic
Achevé d’imprimer
en mars 1997
sur les presses
de l’Imprimerie Campin
en Belgique
En couverture :
Sphère Manship de l’ONU
Palais des Nations, Genève
© Éditions Complexe 1997
SA Diffusion Promotion Information
24, rue de Bosnie
1060 Bruxelles