Voyage en Arménie
Ossip E. Mandelstam
L’Age d’Homme
Cette prose est une prose pure, bottée, magique. Elle court comme un torrent sec, inachevée, brusque, insolite. Elle n’a ni sujet, ni héros. La classera-t-on «notes de voyage» ? Mais elle tressaute et divague tant hors du paysage aride et sacré de l’Arménie...
Elle est surtout délectation des rapports visuels et amicaux que l’œil et les sens réservent au poète. Echappé à la «vacuité citrouillesque» de la Russie, Mandelstam mange l’Arménie comme un pain azyme rêche et succulent. Il se délecte de l’altitude, de la langue magique «aux bottes de pierre», de l’antique simplicité des mœurs de cette république soviétique contemporaine d’Homère. Aux pieds de l’Ararat il éprouve la jubilation des civilisations méditerranéennes, celles où l’homme, proche de la vigne, est bon, prodigue et aime le «clair didactisme de la conversation amicale».
L’œil perçant du poète «émiette et brise» ses dents sur la sauvage harmonie des églises arméniennes. Ecœuré de l’Europe «au minerai phonétique tari» son oreille s’enivre des magiques grappes sonores des langues caucasiennes.
Frémissant, le poète court sur «l’impudent incendie» des mots et des métaphores, contant son enthousiasme pour la feuille de capucine et les planches de Linné ou de Pallas. Il nous entraîne dans la splendide hiérarchie des naturalistes, cette encyclopédie végétale et animale belle comme un code de lois ...
|