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La diaspora kurde, territoires d'origines et représentations, v. 1


Auteur :
Éditeur : Compte d'auteur Date & Lieu : 2001-01-01, Paris
Préface : Pages : 110
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 210x290 mm
Code FIKP : Liv. Fra. 4911Thème : Thèses

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La diaspora kurde, territoires d'origines et représentations, v. 1


La diaspora kurde, territoires d'origines et représentations, v. 1

Clémence Scalbert

Compte d’auteur

Il convient, tout d'abord, de définir l'un et l'autre de ces termes, indiscutablement flous. Effectivement, les Kurdes ne sont pas reconnus comme Kurdes, que ce soit en tant que minorité nationale, nation ou peuple, par les Etats dont ils sont « citoyens » (et avec même ici une exception pour la Syrie où les Kurdes se voient refuser la nationalité syrienne et ne sont pas citoyen syrien). L'Occident a redécouvert les Kurdes à la fin des années 1980 et l'opinion s'est sensibilisée en faveur de ces minorités, peuple voire nation. C'est alors essentiellement par une adhésion volontaire à une communauté dite « kurde » que les Kurdes affirmeront leur identité et choisiront d'être kurdes - et c'est ainsi que l'Occident a pu les découvrir aussi. On tiendra donc pour Kurde celui qui se définit ainsi, transcendant les différences inter-kurdes, de langue, de culture, de religion, d'opinion politique, d'origine géographique. Il faut cependant garder en mémoire que l'individu a le choix entre ces différentes allégeances identitaires : l'identité kurde (et l'adhésion à cette identité) n'est donc ni donnée, ni fixe mais mouvante, pouvant varier selon les périodes et circonstances ainsi que selon les 'attributs distinctifs' mis en avant par un individu ou un groupe d'individus.

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INTRODUCTION

Les Kurdes, depuis un quart de siècle environ, quittent en grand nombre le pays dans lequel ils sont nés. Ils n'y naissent plus. Ce pays est souvent appelé Kurdistan. Le Kurdistan n'a ni frontières ni gouvernement reconnus. N'ayant jamais existé en tant qu'entité politique globale, il n'existe pas de référence pour guider sa délimitation. Ainsi toute définition - délimitation serait partielle et controversée1. Ce pays cependant accompagne les Kurdes dans leur chemin d'exil. Là où ces Kurdes s'installent, le pays s'installe aussi, symboliquement, par images. Il s'affiche : les murs de la cité prennent les couleurs nationales. Lorsque Newroz approche, les murs des villes européennes se couvrent de montagnes et de fleurs2. Le Kurdistan est placardé dans les associations kurdes : il est carte, il est drapeau, il est montagne et plateau, il est berger et troupeau. Des photos, des peintures, des tapis, des objets divers le contiennent. Le pays s'installe aussi dans les appartements, sur les porte-clefs, les foulards, etc. Il investit l'espace privé.

Chacun à son échelle crée, d'un point de vue extérieur, l'image de son Kurdistan et de son pays, s'approprie cette image. C'est en parcourant ces rues, en pénétrant ces lieux, que sont nées l'idée et l'envie de ce travail. Quel est ce pays qui prend forme hors de lui-même ? Quels sont ses rôles et ses significations ?

Les communautés kurdes en exil n'ont pas de lien affectif positif avec leur Etat d'origine. C'est, à l'inverse, une relation conflictuelle ou distanciée qui s'est développée, à la différence des communautés émigrées ou exilées originaires d'un Etat nation affectivement investi. Dans l'exil, l'origine, pour les Kurdes, est à (re)construire puisque, avant ce même exil, elle leur était refusée, niée. L'origine se construit à des niveaux différents : celui de l'individu et celui du groupe ; les deux étant interdépendants. La création de ces origines fait intervenir plusieurs facteurs: la mémoire personnelle du pays que l'on a quitté, l'influence du groupe auquel on s'identifie en se disant Kurde, la mémoire collective transmise par ce groupe, depuis le pays quitté et depuis les places de l'exil. Les politiques, évidemment, ont pris une grande place dans la création d'images du pays d'origine, d'autant plus s'il existait le désir de donner naissance à un pays (associant Etat, nation et territoire) ou à une région (autonome) reconnue ; ce désir était, alors, affirmé chez les Kurdes. Le rôle joué par les intellectuels et les artistes est important, d'autant plus que le simple fait d'être Kurde et de le dire est, de leur part, un engagement identitaire, culturel, mais aussi politique.

Les artistes, d'une manière générale, se situent à la charnière de la mémoire individuelle et collective. Ils sont empreints de l'histoire et de la culture de leur communauté, la refondent avec une histoire personnelle. Ils la donnent à voir et à penser comme partie de cette culture, comme témoignage du groupe. Leur imagination est source de création artistique. Mais la création dépasse le domaine artistique, car, refermée sur elle-même, elle s'atrophierait. Les artistes sont ainsi des producteurs d'images et de représentations fortes et influentes. C'est à partir de l'analyse de leurs représentations picturales du pays d'origine que j'ai voulu orienter ce travail. Comment les images produites reflètent et alimentent la mémoire d'un territoire ?

Se pose toutefois un problème majeur : celui du public et des destinataires de ces images. La musique et la chanson sont très populaires dans les milieux kurdes et s'intègrent totalement à la vie quotidienne. La littérature écrite occupe une place déjà plus réduite : la langue kurde, de tradition orale, a été violemment interdite au cours du 20° siècle, en Turquie spécialement, mais également en Syrie, en Iran, en Irak (plus récemment, avec la fin du mouvement national kurde en 1975), pays dans lesquels l'école se devait d'enseigner la langue nationale (le kurde, en tant que seconde langue nationale de l'Irak pouvait, théoriquement, être enseigné jusqu'en 1975). La langue kurde était donc en perte de terrain, essentiellement sous sa forme écrite : si on la parle à peu près on l'écrit et la lit rarement. La publication est interdite et les écrits ne peuvent se faire connaître, circuler et s'intégrer à la vie du peuple3. Les productions cinématographiques connaissent le même sort et sont peu nombreuses : manques de moyens financiers et techniques, interdiction de la langue, et de tout moyen d'expression, etc.

Les « arts kurdes » (terme que je n'emploierai qu'ici) fleurissent alors en exil, et d'abord la littérature qui va de pair avec la lente réappropriation de la langue4. Les peintres sont également très nombreux et parfois organisés en associations plus ou moins actives. La peinture est certainement un moyen d'expression récent chez les Kurdes. Leur public kurde parait encore relativement restreint. Leurs acheteurs sont essentiellement étrangers (acheter suppose des moyens financiers). Quelques expositions, toutefois, sont organisées par les centres culturels kurdes ou, par d'autres, exposant un ou plusieurs peintres, photographes, etc., « kurdes ». La principale chaîne de télévision kurde, émettant de Bruxelles, Medya-TV propose également des programmes sur des peintres kurdes qui, ainsi, élargissent leur public kurde. Les peintres diffusent énormément sur les sites Internet kurdes. La découverte de ces artistes est un des aspects de la redécouverte et de la création de l'identité kurde en exil. C'est un des aspects de la construction de la mémoire. Cette découverte est lente ; la peinture occupe encore une place à part. Mais on peut penser que son influence ira croissante.

Ce mémoire portera sur le travail et la vie de six peintres kurdes en exil, sur leurs rapports aux territoires d'origine et leurs représentations. Je tiens, une fois encore, à soutenir l'importance de l'artiste dans la vie collective et l'impact de ses ouvres sur la mémoire et l'identité du groupe. Cet impact n'est perceptible que sur un temps long. Il serait donc important de poursuivre cette étude auprès de ces gens qui ne sont qualifiés ni d'intellectuels ni d'élites.

Par ailleurs, cette peinture fait la part belle à l'espace, objet de mon étude. Elle met l'accent sur la perception de soi dans l'espace et sur la perception de l'espace d'origine, du point de vue de l'exil. Elle peut se faire politique dans la façon de représenter l'espace et de donner un point de vue sur le monde politique. Représentation iconographique par essence, la peinture peut être étudiée et analysée comme forme de discours.

Le choix des peintres est à la fois le fruit du hasard, de mes découvertes et de mes affinités ainsi que de la proximité physique. Il tient compte, cependant, de l'importance des peintres dans les milieux européens et kurdes. J'ai délibérément choisi de travailler sur une peinture figurative afin de ne pas me risquer à des analyses alambiquées que je ne saurais dominer. Il s'agit, pour l'essentiel, de peintres installés en Europe depuis au minimum dix ans et, généralement, depuis plus. Tous se sont mis à la peinture dès l'enfance et la considèrent comme leur moyen d'expression essentiel. Ils proviennent d'horizons sociaux et géographiques différents. Tous se présentent comme Kurdes. Chacun, à sa manière, exprime l'éloignement à un pays. Les œuvres étudiées ont été produites en Europe, depuis la fin des années 1970 jusqu'à aujourd'hui. L'étude ne peut pas se limiter à ces œuvres. Elle devra faire jouer les comparaisons, utiliser d'autres images du pays, qu'elles soient picturales, audiovisuelles, littéraires ou politiques, qu'elles soient issues de l'exil, de l'Europe ou du pays d'origine.

Les six artistes sur lesquels s'axe l'analyse sont Riza Topal, Remzi, Bachar, Hajou Bahram, Ghazizadeh et Rebwar.

Riza Topal est certainement le peintre kurde le plus connu en Europe. Fils d'une famille paysanne, il est né à Hülüman, petit village de l'Est de la Turquie en 1934. Il vit depuis 1968 à Munich.

Remzi est né à Kirikhan en 1928, alors sous mandat français. Lorsque la France, en se retirant, lègue le district d'Alexandrette à la Turquie, Kirikhan devient turc. En 1953, il quitte la Turquie, attiré par un Paris qui fait alors rêver les artistes. Aucun motif politique ne l'a poussé à partir. En France, il n'a jamais peint son pays natal.

Bachar est né en 1950 à Ghannamieh dans le Nord-est de la Syrie (el Jezireh). Politiquement engagé en tant que kurde mais surtout dans l'opposition syrienne, il quitte le pays pour la France où il arrive en 1983. Il empruntera un chemin tortueux qui durera plusieurs années. Il passe en Jordanie, Liban, Grèce, Libye, Algérie. Il donne, dans ses tableaux, la part belle à l'espace.

Hajou Bahram naît en 1952 au Kurdistan de Syrie, il fait ses études, entre 1978 et 1984; aux Beaux-arts de Münster où il vit actuellement.

Ghazizadeh est un Kurde d'Iran. Il est né à Saqqez dans les années 40. Il fait ses études de droits à Téhéran, ce qui l'éloigne, une première fois, de son pays, dit-il. En même temps, il s'inscrit aux Beaux-arts. Sa peinture, témoin des événements de son pays, lui vaut l'emprisonnement. Il a été beaucoup inspiré par le réalisme socialiste et a longtemps peint sous cette influence. Il vit actuellement à Boulogne (banlieue parisienne).

Rebwar Said est originaire de Suleymaniye, ville du Nord de l'Irak. Il est fils d'enseignants. Il a été le compagnon des peshmergas dans son pays et a connu l'Anfal5 et les bombardements chimiques irakiens. Après quelques années passées en France, il s'est installé à Londres où il vit aujourd'hui.

Avant toute chose, il est nécessaire, mettre en place quelques définitions de termes employés. Il est nécessaire, également, de situer les peintres et leurs œuvres dans leur environnement : celui de la communauté kurde hors du Kurdistan ou en exil. On aura ainsi planté quelques jalons qui permettront de comprendre les formes possibles de cette communauté et, ainsi, de comprendre le rôle que les peintres et leurs images pourront y jouer.

1 O'SHEA : 1994 et 1997 ; PEROUSE : « Le Kurdistan. Quel territoire pour quelle population?», 1999.

2 Newroz est le nouvel an kurde. Il a lieu le 21 mars.

3 La situation de la publication a beaucoup varié selon les Etats, les gouvernements et les périodes. En Turquie, l'interdiction de la publication en langue kurde a été levée en 1991.

4 Cela va également de pair avec l'émergence, dès la fin des années 1970, de maisons d'éditions dont les plus importantes sont en Suède.

5 Peshmerga (littéralement : « celui qui va au devant de la mort ») est le nom donné aux guérillas ou combattants kurdes. L'Anfal est la campagne de destruction planifiée et systématique des zones kurdes entreprise par le gouvernement de Saddam Hussein sur le territoire irakien entre mars 1987 et avril 1988. Elle est caractérisée par un emploi massif des armes chimiques, des pertes humaines et matérielles énormes, des déplacements de population considérables.



Partie I
Espaces de l'exil

I. A. Les Kurdes hors du Kurdistan

I. A. 1. Définitions

Il convient, tout d'abord, de définir l'un et l'autre de ces termes, indiscutablement flous. Effectivement, les Kurdes ne sont pas reconnus comme Kurdes, que ce soit en tant que minorité nationale, nation ou peuple, par les Etats dont ils sont « citoyens » (et avec même ici une exception pour la Syrie où les Kurdes se voient refuser la nationalité syrienne et ne sont pas citoyen syrien). L'Occident a redécouvert les Kurdes à la fin des années 1980 et l'opinion s'est sensibilisée en faveur de ces minorités, peuple voire nation. C'est alors essentiellement par une adhésion volontaire à une communauté dite « kurde » que les Kurdes affirmeront leur identité et choisiront d'être kurdes - et c'est ainsi que l'Occident a pu les découvrir aussi. On tiendra donc pour Kurde celui qui se définit ainsi, transcendant les différences inter-kurdes, de langue, de culture, de religion, d'opinion politique, d'origine géographique. Il faut cependant garder en mémoire que l'individu a le choix entre ces différentes allégeances identitaires : l'identité kurde (et l'adhésion à cette identité) n'est donc ni donnée, ni fixe mais mouvante, pouvant varier selon les périodes et circonstances ainsi que selon les 'attributs distinctifs' mis en avant par un individu ou un groupe d'individus.

Référons-nous à la définition de Abdullah Aydin :

« Comme il n'existe pas de nationalité kurde, symbolisée par un passeport internationalement reconnu, ne peut être considéré comme kurde que celui qui se revendique de facto comme tel et ordonne sa vie individuelle et collective en fonction de cette appartenance affirmée. Être kurde n'est donc pas une évidence ni une donnée (objectivable), c'est un acte de volonté par lequel, dans des contextes …




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