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Une histoire de la violence au Moyen-Orient


Auteur :
Éditeur : La découverte Date & Lieu : 2008, Paris
Préface : Pages : 320
Traduction : ISBN : 978-2-7071-4958-9
Langue : FrançaisFormat : 155x240 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Boz. His. N°2089Thème : Général

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Une histoire de la violence au Moyen-Orient


Une histoire de la violence au Moyen-Orient

Hamit Bozarslan

La Découverte


Sans nul doute, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde, la violence politique n'est pas un phénomène moderne. Les chroniques recensent un nombre important de contestations populaires et de révoltes, tant urbaines que rurales, dès les IXe-Xe siècles 1. Plus près de nous, les longs siècles ottomans (1299-1922) sont ponctués de vagues de révoltes et de coercitions massives, parfois actives sur plusieurs décennies.

Durant les XIXe et XXe siècles, cependant, sous le coup des ruptures brutales dues à l'émergence de nationalismes concurrentiels 2 et les interventions des puissances européennes, la coercition et la violence gagnent une nouvelle ampleur aussi bien en Perse que dans l'Empire ottoman. L'intervention coloniale, sous la forme de conquêtes territoriales, des confins russes à l'Algérie, témoigne d'une grande brutalité 3. Armées ou feutrées, les ...



INTRODUCTION


Onze septembre 2001, seconde Intifada, attentats-suicides par centaines dans des zones de conflit, notamment en Irak, en Afghanistan et au Pakistan, scènes sanglantes à Beyrouth... autant d'événements et autant d'images qui semblent inscrire la violence dans le destin du Moyen-Orient.

Le phénomène, loin d'être nouveau, traverse le siècle passé et les premières années du suivant : les changements de régime à Téhéran et à Istanbul entre 1906 et 1908 légitiment durablement le recours à la violence comme mode d'action politique. Le déclin ottoman au début du XXe siècle se déroule sur fond de « brutalisation » des sociétés à travers le vaste empire. Les régimes mandataires fondés dans les années 1920 font face à une vague de révoltes et n'assurent leur survie que par une coercition accrue. Puis le partage de la Palestine en 1948 ouvre une période de contestation massive dans le monde arabe, débouchant, en moins d'une décennie, sur des coups d'État militaires et des « régimes révolutionnaires » nettement plus coercitifs que ceux qu'ils avaient renversés. La quadruple rupture de 1979, à savoir la révolution iranienne, l'insurrection islamiste de La Mecque, les accords de Camp David et l'invasion de l'Afghanistan, provoque une contestation islamiste qui bouscule l'engagement de la gauche révolutionnaire et réinterprète la notion du djihad dans un sens exclusivement militaire. La décennie 1990 témoigne autant de luttes armées djihadistes en Égypte et en Algérie que de l'amplification d'une contestation transnationale issue des marges des sociétés musulmanes qui finit par s'agréger dans un champ structuré par Al-Qaida.
Travailler sur la violence au Moyen-Orient revient à accepter de pénétrer en terrain miné. Comment ignorer que, de conférence en colloque, de caution scientifique apportée par de grands savants en minutieux rapports d'experts, les explications culturalistes et civilisationnelles de la violence ont fini par gagner une légitimité bien au-delà des milieux sécuritaires1? Je n'entrerai pas ici dans ces débats, ni dans l'analyse des contextes dans lesquels ces discours sont construits, d'ailleurs en parfaite résonance avec les discours islamistes d'aujourd’hui 2. La « culture » - une catégorie qu'on ne saurait naturellement réifier - ne peut contribuer à expliquer la violence qu'à condition d'être elle-même prise comme un élément d'un système d'interprétation complexe et dynamique. À titre d'exemple, nombre des mots d'ordre associés à la violence au Moyen-Orient, comme « révolution », « parti unique », « société organique », « authenticité » ou encore « communauté pure », relèvent d'une culture politique pleinement universelle qui date des XIXe et XXe siècles.

Les références culturelles et religieuses anciennes, comme le djihad (effort ou guerre), le chahid (martyre), ou encore la dawa (appel), ainsi que celles de l'imaginaire politique construit autour du zaïm (chef), mulk (pouvoir appréhendé comme propriété) ou dawla (État, mais aussi, oiseau de chance), sont à l'évidence propres au monde musulman, mais elles sont interprétées à partir de grilles de lecture qui leur sont postérieures et extérieures : loin de déclencher par elles-mêmes la violence, elles en deviennent des « ressources » légitimatrices 3 a posteriori. Legs d'expériences et d'élaborations doctrinales forgées sur plus de quatorze siècles 4, les références théologiques ou eschatologiques sont constamment réactivées dans des contextes toujours inédits, investis de subjectivités inconcevables par le passé. Les distorsions qu'elles subissent nous invitent à prêter l'oreille à la majestueuse leçon que professait Maxime Rodinson il y a déjà plusieurs décennies : « Sans prendre parti au niveau philosophique, je maintiens fermement que le sociologue doit être, en un sens au moins, "existentialiste”. Les sociétés et les groupes n'ont pas d'essence, d'être perdurable, de fidélité à des "invariantes" immuables, de "mission" ou de "vocation", bonnes ou mauvaises. Ils ont une existence qui, sans arrêt, les modifie et c'est leur situation, jamais la même exactement, soumise au jeu de changements internes ou externes, qui détermine leur conscience et leur action 5. » Comme le dit aussi à sa façon François Burgat : « Les lois qui gouvernent la conduite de l'Homo orientons sont inscrites dans les manuels de la sociologie politique bien plus que dans les livres sacrés 6. »

J'ai également fait ici le pari de prendre mes distances par rapport à des catégories produites par des milieux extérieurs à la recherche, à commencer par le « terrorisme ». Ce concept est en effet d'une maigre valeur analytique et heuristique ; les définitions multiformes et changeantes qu'on lui a données dans la durée le rendent simplement inopérant 7. Il en va de même de l’« extrémisme » réifié en catégorie opérationnelle notamment dans le contexte post - 11 Septembre, ou d'une panoplie de termes auxquels le lecteur honnête s'est désormais habitué à son corps défendant, comme « menace stratégique » ou « guerre de quatrième génération ». De concepts dominants, ces mots ont fini par devenir des instruments de la « domination par les concepts 8 », transformation qui s'opère dans l'appauvrissement de l'analyse. Quant au terme d'« islamisme », je ne l'utilise ici que par défaut. Il est évident que, tout au long des années 1970-2000, nombre de mouvements se sont autoproclamés « islamistes », ce qui autorise son emploi par le chercheur. Pas plus que le « marxisme » du passé cependant, il n'est appréhendé ici en « chose », mais bien comme le résultat de processus complexes au cours desquels des courants qui se définissent comme islamistes naissent, se transforment, se radicalisent ou optent pour des stratégies pragmatiques et se déclinent en une pluralité d'affiliations et d'allégeances.

L'auteur est bien conscient qu'il est impossible de couvrir tous les avatars de la violence ainsi que l'ensemble du « Moyen-Orient », concept vague et toujours indéterminé, que les représentations conflictuelles ont élargi au point d'y inclure désormais l'Afghanistan, le Pakistan, voire l'Indonésie à l'est et le Maghreb à l'ouest. D'une part, tout en prenant acte de leur gravité, le livre laisse délibérément de côté les violences structurelles ou systémiques que les sociétés moyen-orientales partagent avec beaucoup d'autres : violences de la prison et de la caserne, de la famille et du système scolaire, celles exercées sur les femmes ou consubstantielles aux rapports de domination, quels qu'ils soient 9. D'autre part, il ne cherche pas l'exhaustivité, mais vise plutôt à répertorier les dynamiques de continuités : la pérennité des systèmes autoritaires, la coercition comme mode de production de l'obéissance contribuant considérablement à la militarisation des États, mais aussi des oppositions, imaginaires révolutionnaires en quête de délivrance sociale et nationale, les contestations minoritaires, la dissidence des marges. Ce souci de mettre au jour des axes structurants ne doit cependant pas conduire à occulter les lieux et les moments de rupture, là où de nouveaux modes d'action émergent, de nouvelles syntaxes politiques redéfinissent des conflits parfois anciens. À titre d'exemple, je laisse de côté la décolonisation du Maghreb (1956-1962) ainsi que les tensions afghanes d'avant 1979, non pas parce que les guerres d'indépendance ou les contestations qui marquent ces espaces ne méritent pas une analyse approfondie, mais parce qu'elles sont profondément marquées par une historicité propre. Tel n'est cependant pas le cas des djihads afghan ou algérien des années 1980-2000 dont le « rôle radicalisant » va bien au-delà de leurs frontières respectives, et est donc analysé en détail.

La démarche chronologique adoptée ici est dictée par le souci heuristique d'interpréter chaque période en partant des contraintes qui la dominent, des subjectivités qui la marquent, des espace-temps au sein desquels ces subjectivités évoluent et se transforment, les anciens sens laissent place à de nouveaux qui s'imposent parfois par la violence. Le temps que Pierre Bourdieu définit comme le pouvoir de déterminer « le temps des autres 10 », est aussi l'enjeu et le processus des contestations des systèmes de domination établis et de construction de nouveaux rapports politiques, économiques et sociaux. À ce titre, il ne peut être saisi que par de constantes fluctuations du chercheur entre plusieurs échelles temporelles 11, entre le « moment » où une action violente se produit et la longue durée. Il en va de même de l'espace qui se décline dans une impressionnante pluralité, du simple terroir au monde dans sa globalité, nourri tantôt d'une figure locale, tantôt d'un événement fondateur ou d'une attente de délivrance, ou encore d'espérances universelles.

La première partie de l'ouvrage est consacrée aux passions révolutionnaires du début du siècle en Perse et dans l'Empire ottoman, puis à la mise en place, dans les années 1920, des régimes mandataires, notamment en Irak, Syrie et Palestine, qui suscitent des « Grandes Révoltes » en réponse au partage du monde arabe et à la prise de conscience de soi en tant que société nouvelle déterminée par une territorialité imposée de l'extérieur. La deuxième partie, prenant racine au moment de la division de la Palestine en 1948, s'intéresse aux contestations révolutionnaires des années 1950-1970 et à la mise en place de régimes autoritaires qui tirent parfois les ressources de leur durabilité dans la guerre froide. La troisième partie, enfin, part du « moment Sayyed Qotb ». L'héritage de ce penseur égyptien exécuté en 1966 prend tout son sens pendant le cycle de contestation islamiste initié en 1979 pour se prolonger, à travers les guerres des années 1980, la guerre civile algérienne des années 1990 et les attentats du 11 septembre 2001, jusqu'à nos jours. Cette période témoigne également d'une coercition accrue des États, largement responsable de l'émergence de nouvelles dissidences armées.

Cette démarche chronologique ne permet pas seulement de comprendre les configurations politiques successives à l'échelle régionale, mais aussi les acteurs qui les marquent. La quasi-permanence de la violence ne signifie en effet nullement qu'elle soit le fruit des mêmes dynamiques ni portée par les mêmes catégories. Les comitadji turcs des années 1910, les notables et les qabadayi syriens (« gros bras ») des années 1920, les « Officiers libres », les fedayin palestiniens et les militants des années 1950-1970, les hittistes ou les « Afghans » des années 1990 ne représentent pas les mêmes profils sociologiques, ne connaissent pas les mêmes modes de socialisation et ne sont pas taraudés par les mêmes attentes de délivrance. Si nous pouvons facilement parler de « cycles historiques » moyen-orientaux, comme celui des régimes mandataires, celui des « révolutions progressistes », ou celui des contestations islamistes, nous ne sommes pas pour autant face à une histoire cyclique produisant une violence sans cesse amplifiée dans une apesanteur sociologique. Enfin, le découpage chronologique, qui n'exclut bien entendu pas la lecture transversale, est le seul qui autorise une comparaison entre le Moyen-Orient et les autres régions du monde, à commencer par l'Europe. À titre d'exemple, on ne peut comprendre un phénomène aussi universel que le radicalisme de gauche des années 1950-1970 à partir du seul cadre moyen-oriental.

La lecture transversale est d'ailleurs présente dans l'ouvrage à un double titre. En premier lieu, les conflits kurde et palestinien, particulièrement producteurs de coercition et de violence, ou certaines trajectoires historiques spécifiques (Turquie, Perse / Iran) sont analysés dans des chapitres spécifiques attentifs à la longue durée. En second lieu, plusieurs chapitres sont consacrés à l'évolution, durant un cycle historique donné, de modes de domination, de coercition et de violence dans l'ensemble de la région.

Il serait illusoire de vouloir donner une définition de la violence, terme dont la racine latine renvoie à un ensemble polysémique : torsion, spirale, enroulement, perforation 12. Précisons cependant que les sciences sociales l'utilisent non comme une « chose », mais comme un « concept 13 » et, au-delà, une relation, une pratique de domination ou de contestation, une modalité autant d'organisation que de dérégulation sociales 14, un biais de construction de sens et de contresens entendus comme refus des représentations dominantes. Jean Leca suggère qu'on ne peut la comprendre « comme une variable dépendante (« causée »), ni comme une variable indépendante (« causante »), ni comme une « fonction », une culture, encore moins un enchaînement lancé par un acteur (celui qui « a commencé »), mais comme un élément de systèmes d'action multiples où, selon les cas concrets et les questions posées, la violence peut être convenablement désagrégée en « violences 15 ».

Dans un remarquable article consacré à l’Égypte, Iman Faragh souligne que, par « son effet de délégitimation » du pouvoir, la violence sert d'« analyseur » des protagonistes, en leur « renvoyant l'image de leur propre impuissance 16 ». C'est précisément ce rôle d'« analyseur du social » qui va nous intéresser ici : analyseur de ses marges où des contestations armées émergent et font sens, de ses rapports de générations qui ne sont réductibles ni à la simple transmission ni à la seule rupture, de ses nouvelles syntaxes politiques, comme le « marxisme-léninisme » ou l'« islamisme », qui après avoir été dans un premier temps « incompréhensibles » finissent par devenir hégémoniques. C'est aussi cette fonction qui interdit le recours aux typologies objectivant les acteurs au détriment des processus dans lesquels ils agissent et développent des modes d'action. C'est encore elle qui nous invite à résister à toute explication en termes d'agressivité, de comportement génétique 17 ou encore d'atavisme. On chercherait vainement une explication à la violence sans la mettre au préalable en relation avec les systèmes politiques dans lesquels elle voit le jour, de leurs processus d’ouverture et de fermeture, de leurs capacités d'intégration et d'exclusion, de leur habileté à accepter et légitimer les contestations 18 ou de leurs choix, délibérés ou contraints, de la criminaliser 19.
Le terme de « coercition », utilisé dans ce livre pour définir la violence exercée par un État ou un corps constitué, y compris dans ses aspects arbitraires ou lorsqu'elle prend la forme de massacres 20, représente l'un des principaux instruments par lesquels le pouvoir se conquiert, « se rend plausible 21 » et assure sa reproduction 22. Certes, elle n'est pas le seul outil à la disposition d'un pouvoir ou d'un corps constitué et n'est pas constamment mobilisée. Pourtant, même dans des sociétés démocratiques, le pouvoir ne peut se comprendre en faisant abstraction « des armées d'État, des forces de police, des milices, des vigiles et autres spécialistes de la coercition 23 ». Il en va de même de la violence politique ou civile émanant de la société, qui, loin de représenter « un retour aux instincts ataviques », constitue tantôt une réponse au « rétrécissement des formes disponibles d'action », tantôt un « choix stratégique 24 », ou encore une option subjectivement perçue comme la seule disponible, ou à la hauteur d'une crise ou d'une situation de domination.

Charger la violence de sens signifie par conséquent résister à l'interpréter uniquement à partir de son instrumentalité ou des conditions matérielles de son émergence 25. On ne peut en effet comprendre la violence sans prendre en considération le régime de subjectivité dans lequel elle s'inscrit 26, à partir de laquelle elle se donne sens, cultive l'« attente de certains résultats qui en fait ne se produisent jamais 27 ».

Comment ne pas être sensible, à ce propos, à l'analyse d'Albert Camus qui, tout en dénonçant fermement l'« erreur sanglante du terrorisme algérien », écrivait, en 1955, que celui-ci naissait « toujours et partout [...] de la solitude, de l'idée qu'il n'y a plus de recours ni d'avenir, que les murs sans fenêtres sont trop épais et que, pour respirer seulement, pour avancer un peu, il faut les faire sauter 28 » ? De même, Michel de Certeau remarquait que les représentations dominantes (parfois imposées par la coercition pure, parfois par leur intériorisation) peuvent à un moment donné apparaître dans toute leur nudité, autrement dit comme absurdes, incroyables et être rejetées par et dans la violence : celle-ci, écrivait-il, « est d'abord autre chose que la sauvagerie stupide dont nous parle leur propagande. Issue des catégories sociales auxquelles on a soigneusement retiré toute responsabilité avant de les traiter d'"irresponsables", elle conteste, soulève, déchire, le système qui élimine les mouvements profonds et les renouvellements d'un pays ou d'un groupe. Elle tend à fonder un langage sensé entre hommes 29 ». D'où l'insistance dans cet ouvrage sur les « régimes de subjectivité » construits à partir d'« un vécu de représentations et d'affects 30 » et de la « souffrance » comme « relation sociale 31 » qui font pleinement partie de la réalité où ils voient le jour.

C'est, enfin, ce souci qui me pousse à insister dans cet ouvrage sur la notion de violence symbolique et à la redéfinir. Pierre Bourdieu comprend ce concept comme l'intériorisation des mécanismes de domination, qui par leur naturalisation même cessent d'être perçus comme tels 32. Philippe Braud propose un deuxième sens : « une expérience douloureuse, subie et perçue par le sujet, en dehors de tout rapport de contrainte 33 ». Sans écarter ces deux interprétations, j'utilise ici la notion de violence symbolique pour décrire la construction langagière de l'inimitié qui précède, accompagne et légitime a posteriori la violence physique. Elle forme alors un ensemble avec la « brutalisation » d'une société donnée et le « viol » du langage 34.



I
États, nationalismes et contestations révolutionnaires
(1906-1979)

Imaginaires et légitimités révolutionnaires

Sans nul doute, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde, la violence politique n'est pas un phénomène moderne. Les chroniques recensent un nombre important de contestations populaires et de révoltes, tant urbaines que rurales, dès les IXe-Xe siècles 1. Plus près de nous, les longs siècles ottomans (1299-1922) sont ponctués de vagues de révoltes et de coercitions massives, parfois actives sur plusieurs décennies.

Durant les XIXe et XXe siècles, cependant, sous le coup des ruptures brutales dues à l'émergence de nationalismes concurrentiels 2 et les interventions des puissances européennes, la coercition et la violence gagnent une nouvelle ampleur aussi bien en Perse que dans l'Empire ottoman. L'intervention coloniale, sous la forme de conquêtes territoriales, des confins russes à l'Algérie, témoigne d'une grande brutalité 3. Armées ou feutrées, les interventions européennes déclenchent un long processus douloureux, marqué par des pertes de territoires pour les principales puissances musulmanes et, en conséquence, des déplacements massifs de populations ressuscitant le souvenir amer de la Reconquista. La politique coloniale provoque aussi un sentiment d'impuissance, par rapport à l'« Occident » bien sûr, mais aussi par rapport à soi et engendre « un climat d'abandon résigné » à l'encontre « d'une liberté civique de jugement et de décision » qui pouvait prévaloir jusque-là 4. Après des siècles de stabilité dynastique, la sombre prédiction d'Ibn Khaldoun semble de nouveau se réaliser : toute puissance est condamnée au déclins.

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