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Grammaire des prédicats complexes


Auteur :
Éditeur : Lavoisier Date & Lieu : 2012, Paris
Préface : Pages : 330
Traduction : ISBN : 978-2-7462-2365-3
Langue : FrançaisFormat : 145x230 mm
Code FIKP : Liv. Fre. Sam. Gra. N° Thème : Linguistique

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Table des Matières Introduction Identité PDF
Grammaire des prédicats complexes

Grammaire des prédicats complexes

Pollet Samvelian

Lavoisier

La prédication complexe est un phénomène attesté sous diverses formes dans des langues très variées. Elle consiste à former des séquences syntaxiques fonctionnant comme un prédicat, c’est-à-dire un verbe simple.
Les données examinées dans cet ouvrage sont les constructions nom-verbe en persan. Ce dernier ne dispose que d’environ 250 verbes simples et son lexique verbal comprend essentiellement des prédicats complexes formés d’un verbe et d’un élément préverbal. Cela mène à une réflexion sur des phénomènes présents dans de nombreuses langues.
Grammaire des prédicats complexes expose notamment :
- la relation entre la compositionnalité et la productivité ;
- la compatibilité entre le stockage des expressions linguistiques complexes par les locuteurs et l’existence de schémas abstraits réguliers permettant d’analyser ou de produire ces mêmes expressions ;
- le parallélisme entre les procédés morphologiques et syntaxiques de la construction des lexèmes ainsi que la notion même du verbe lexical par opposition au verbe support.


Pollet Samvelian est professeur de linguistique à l’Université Sorbonne Nouvelle. Ses recherches portent sur la moiphologie, la syntaxe et la typologie linguistique. Elle travaille en particulier sur les langues iraniennes de l’ouest, notamment le persan.



AVANT-PROPOS

Ce livre est une version remaniée du manuscrit de mon Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), présentée en décembre 2009 à l’Université Paris Diderot. Il est l’aboutissement des recherches entreprises depuis le début des années 2000, qui ont donné lieu à un ensemble de publications dans diverses revues, de communications à des colloques et de présentations dans le cadre de séminaires de recherche. Les critiques et les suggestions de nombreux lecteurs et auditeurs ont contribué à en améliorer sensiblement la qualité. Qu’ils soient remerciés ici.

Je tiens à remercier en particulier Anne Abeillé, Nastaran Barzanouni, Olivier Bonami, Marianne Desmets, Pegah Faghiri, Gwendoline Fox, Kim Gerdes, Maximilien Guérin, Ariel Gutman, Gilbert Lazard, Pascal Lécaille, Sophie Manus, Stefan Müller, Cédric Patin, Magali Rouquier, Benoît Sagot et Andrew Spencer qui ont accompagné la conception, la rédaction et la mise en forme de cet ouvrage de diverses façons.

Cet ouvrage est accompagné d’une annexe en ligne, comprenantun ensemble d’environ cinq cents prédicats complexes construits avec le verbe zadan ‘frapper’ ainsi que les propriétés syntaxiques et sémantiques qui leur sont associées, encodées par un ensemble de traits et représentées dans un tableau à double entrée. Cette annexe est consultable à l’adresse suivante :

http://www.iran-inde. cnrs.fr/spip.php?article!87


Introduction

Comme le note Samvelian (2001), l’étude de la sous-catégorisation et de la structure argumentale des verbes en persan1 est confrontée à deux phénomènes a priori distincts, mais dont l’interaction aboutit à une situation complexe et confuse :

1) L’usage abondant de « locutions verbales », formées d’un verbe, généralement à contenu lexical faible (verbe support ou light verb), et d’un élément non verbal, le tout fonctionnant comme un prédicat sémantique, au détriment des verbes simples. Ainsi, pour référer à un événement, le persan privilégie régulièrement des séquences syntaxiques comprenant un verbe et un nom, ex. (1-a), un adjectif, ex. (1-b), une préposition ou un préverbe, ex. (1-c), ou une combinaison de ces éléments, ex. (1-d).

2) La possibilité pour les compléments d’objet des verbes lexicaux d’être non déterminés et non quantifiés (ou « nus ») et de manifester de ce fait certaines propriétés typiques des objets incorporés, qui forment un prédicat avec le verbe. Ainsi, des séquences telles que sâm xordan, ex. (2-a), et lebâs pusidan, ex. (2-b), fonctionnent comme une unité sémantique et signifient respectivement ‘dîner’ et ‘s’habiller’.

(1) a. Bacce-hâ bâ tup bâzi kard-and
enfant-PL avec ballon jeu faire. R2-3PL
‘Les enfants jouèrent avec le ballon.’
b. Maryam dar otâq derâz kesid
Maryam dans chambre long tirer.R2
‘Maryam s’allongea dans la chambre.’
c. Omid be xâne bar gašt
Omid à maison PV toumer.R2
‘Omid retourna à la maison.’
d. In nowzâd diruz be donyâ âmad
ce nouveau-né hier à monde venir.R2
‘Ce nouveau-né est né hier.’

(2) a. Bacce-hâ šâm xord-and
enfant-PL dîner manger.R2-3PL
‘Les enfants dînèrent.’
b. Maryam lebâs pusid
Maryam vêtement habiller.R2
‘Maryam s’habilla.’

Aucun de ces deux phénomènes n’est spécifique au persan. Les constructions dites « à verbe support » (ou light verb constructions), phénomène qui consiste en la combinaison d’un verbe sémantiquement vide avec un élément prédicatif (verbal ou non verbal), sont attestées dans de nombreuses langues génétiquement variées. Certaines, comme les constructions à verbe sum en japonais ou ha-ta en coréen, ont été largement débattues dans la littérature sur la structure argumentale au sein de différents courants de la syntaxe formelle (voir Grimshaw et Mester, 1988; Ahn, 1989; Mat-sumoto, 1996 ; Chae, 1997, parmi beaucoup d’autres). D’autres, comme les constructions à verbe support du français, ont fait l’objet de descriptions systématiques par les chercheurs du Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique (LADL) (voir notamment Giry-Schneider, 1978, 1987 ; Vivès, 1983 ; Gross, 1989).

De même, l’incorporation de l’objet, sous ses diverses formes (morphologique, sémantique ou quasi-incorporation), se rencontre dans de nombreuses langues (voir notamment Sapir, 1911 ; Mithun, 1984, 1986; Sadock, 1986; Baker, 1988; Rosen, 1989b ; Van Geenhoven, 1998 ; Massam, 2001).

La conjonction des deux phénomènes s’observe également dans certaines langues. L’usage abondant des prédicats complexes de différents types est un des traits caractéristiques des langues d’Asie du Sud2 (Verma, 1993 ; Mohanan, 1994; Butt, 1995). En effet, les constructions à verbe support dans ces langues englobent non seulement des séquences formées d’un verbe et d’un élément non verbal, désignées par l’étiquette conjunct verb (Masica, 1976), mais également de deux verbes, l’un fonctionnant comme un verbe support et l’autre comme un verbe lexical,.la séquence formée par les deux verbes étant alors désignée par l’étiquette compound verb (Hook, 1974 ; Masica, 1976). Or, ces dernières constructions sont inexistantes ou très rares en persan3.

La situation du persan n’est donc singulière ni quant aux différents types de prédicats complexes qui y sont attestés, ni quant à leur abondance. Si singularité il y a, elle réside dans le fait que les frontières entre les phénomènes décrits en (1), c’est-à-dire la formation des constructions à verbe support, et en (2), c’est-à-dire la combinaison d’un verbe avec son objet nu, sont brouillées à cause de la rareté des verbes simples. En effet, qu’il s’agisse des constructions à verbe support d’un côté ou de la « coalescence » (Lazard, 1982)4, de l’« incorporation » (Dabir-Moghaddam, 1995) ou encore de la « composition » (Samsam Bakhtiari, 2000) objet-verbe de l’autre, ces séquences manifestent des propriétés contradictoires, se comportant comme des unités lexicales à certains égards et comme des séquences syntaxiques à d’autres égards.

Sur le plan sémantique, les deux éléments forment un prédicat et « projettent » une seule structure argumentale. Ils peuvent ainsi alterner avec un verbe simple et se traduisent généralement par un verbe seul dans d’autres langues. Par ailleurs, plusieurs études (Ghomeshi et Massam, 1994; Goldberg, 1996; Karimi-Doostan, 1997 ; Vahedi-Langrudi, 1996, parmi d’autres) ont noté que ces séquences peuvent servir de bases à la dérivation morphologique et portent un seul accent lexical, deux propriétés qui les rendent comparables aux mots. Cependant, elles ne se comportent pas comme un atome syntaxique, dans la mesure où les affixes flexionnels, mais également différents constituants syntaxiques, peuvent séparer les deux membres de la séquence. Par ailleurs, l’élément nominal peut faire l’objet de quantification, de détermination ou de modification. Il peut également être extrait ou coordonné avec un autre élément nominal.

En somme, aussi bien les séquences formées par un verbe « support » et un élément non verbal que les séquences formées par un objet non déterminé et un verbe « lexical » peuvent être réunies sous l’étiquette « prédicat complexe », si l’on se réfère aux critères de Butt (1995), c’est-à-dire la combinaison d’une structure argumentale complexe résultant de la contribution de deux éléments et d’une structure fonctionnelle simple ou monoclausale5.

La question qui se pose est la suivante : si sâm xordan ‘dîner’ (litt. ‘dîner manger’), une séquence composée d’un verbe lexical et de son argument, et harf zadan ‘parler’ (litt. ‘parole frapper’), une construction à verbe support, se comportent toutes deux comme des unités lexicales, que contient alors le lexique verbal du persan ? Qui dit lexique, dit inventaire : faudrait-il donc établir une liste de toutes ces combinaisons ? La réponse à cette question paraît triviale au premier abord : la relation entre le verbe et le nom dans les séquences telles que sâm xordan ‘dîner’ est celle entre un prédicat et son argument. Même si la séquence se comporte à certains égards comme une unité lexicale, le sens de l’ensemble est compositionnel et peut être déduit par des règles d’interprétation qui ont été proposées pour le phénomène d’incorporation sémantique. Dans harf zadan ‘parler’ (litt. ‘parole frapper’), en revanche, c’est l’élément nominal qui est le prédicat. Le sens du prédicat complexe dépend donc en grande partie du sens de l’élément nominal dans ce cas. Le travail d’inventaire se limiterait alors à la mention du ou des verbes supports se combinant avec un nom dans l’entrée lexicale de ce dernier, à moins qu’il ne soit possible de prédire cette combinaison.

Cette solution, concevable pour une langue qui possède une classe de verbes lexicaux fournie, comme le français, et où la distinction entre verbe support et verbe lexical peut se faire sans trop de difficultés pour une majorité de verbes, ne s’applique pas avec une telle évidence au persan. Rappelons que le nombre de l’ensemble des …

1. La variété du persan étudiée dans cet ouvrage est celle parlée en Iran, connue également sous l’appellation de farsi.

2. Considérée comme une aire linguistique depuis Emeneau (1956) et Masica (1976), l’Asie du Sud réunit des langues appartenant à quatre familles génétiquement distinctes : des langues indo-aryennes de la famille indo-européennes (ex. le hindi et l’urdu), des langues dravidiennes (ex. le tamoul et le kannada), des langues tibéto-birmanes (ex. le tibétain et le newari), et des langues austro-asiatiques (ex. les langues munda). Outre ces quatre groupes, on peut également y noter la présence des langues iraniennes telles que le persan et le pachto.

3. Taleghani (2008) compare la construction progressive périphrastique avec le verbe dâstan ‘avoir’ aux verbes sériels de l’urdu et la considère comme un prédicat complexe. Même si l’on adhère à cette analyse, qui implique l’existence de conjunct verbs en persan, l’ampleur du phénomène n’est pas comparable à celle observée dans les langues d’Asie du Sud. Pour une analyse alternative de la même construction voir Bonami et Samvelian (2009).

4. Le terme « coalescence objet » a été utilisé par Lazard (1982, 1994) pour désigner le fait que le verbe et son objet non déterminé forment ensemble une unité verbale, sans pour autant donner lieu à une composition morphologique.

5. Il est difficile de fournir une définition consensuelle des prédicats complexes, dans la mesure où le terme désigne une variété de constructions. Pour Alsina et al. (1997), un prédicat complexe est formé de « plusieurs éléments grammaticaux », mots ou affixes, qui, au sein d’une même proposition, contribuent chacun à la formation d’un seul concept prédicatif, c’est-à-dire une seule structure argumentale et les mêmes fonctions grammaticales que dans une phrase simple. Butt (1995, pp. 1-2) définit les prédicats complexes comme: « a construction that involves two or more predicational elements (such as nouns, verbs and adjectives) which predicate as a single element, i.e., their arguments map onto a monoclausal syntactic structure ».
Cette condition de monoclausalité est essentielle, car elle permet la distinction entre les prédicats complexes, ex. les constructions causatives, et les phrases contenant deux propositions (donc deux prédicats), ex. les constructions à contrôle. Voici quelques exemples de constructions qui ont été analysées comme des prédicats complexes dans différentes langues : les prédicats aspectuels, permissifs et causatifs de l’urdu (Butt, 1995), les constructions causatives et les constructions à verbe auxiliaire du français (Abeillé et al., 1998 ; Abeillé et Godard, 2002), les constructions résultatives et les verbes à particules en allemand (Millier, 2002) et en néerlandais (Neeleman, 1994), les constructions à verbe support ou Light verb constructions (Butt, 1995).




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