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Turquie, Moyen-Orient, Communauté Européenne


Auteurs : |
Éditeur : L'Harmattan Date & Lieu : 1989, Paris
Préface : Pages : 410
Traduction : ISBN : 2-7384-0347-6
Langue : FrançaisFormat : 160x240mm
Code FIKP : Liv. Fre. Tho. Tur. N° 1665Thème : Général

Présentation
Table des Matières Introduction Identité PDF
Turquie, Moyen-Orient, Communauté Européenne

Turquie, Moyen-Orient, Communauté Européenne

Jacques Thobie
Salgur Kançal

L’Harmattan

Par sa position, par sa situation, par son poids spécifique, la Turquie est en train de devenir aujourd’hui une puissance régionale dont l’influence s’étend bien au-delà de son environnement immédiat. Tout en valorisant ses relations avec le Moyen-Orient, Ankara frappe hardiment à la porte de la Communauté Européenne. Dans quelle forme économique, politique et culturelle se présente le demandeur ? Pourquoi et comment introduit-il sa demande ? Quelles sont les réactions de divers partenaires tant en Europe qu’au Moyen-Orient ? Qu’en pense-t-on à Bruxelles ?
Dans ces ACTES du Colloque International de Chantilly, universitaires et chercheurs de diverses disciplines, diplomates, hauts fonctionnaires, journalistes, hommes d’affaires, apportent leurs réponses et posent de nouvelles questions. Tous les éléments du dossier sont évoqués ; leur analyse éclaire à la fois les atouts de la Turquie et les raisons des réticences de Bruxelles et d’ailleurs.
La Turquie ne désire nullement se limiter à jouer un rôle de pont entre l’Europe occidentale et le Moyen-Orient. Elle veut poursuivre et accroître ses activités dans les deux régions. L’écart entre la Turquie et la C.E. ne paraît pas si considérable qu’il ne puisse, à terme, être comblé. Que la Turquie ait sa place en Europe paraît bien inscrit dans l’histoire, mais une « longue marche » est sans doute nécessaire pour les deux partenaires : question de délai. Autour de l’an 2000 ?



PRÉSENTATION

Rappeler que la situation géographique de la Turquie, au contact, ou à la charnière, de l'Europe et du Moyen-Orient, a joué, de tout temps, un rôle important dans ses options de politique intérieure et extérieure est sans doute une banalité. Pourtant, une position de carrefour présente des avantages et des inconvénients. Avantage d'être, en quelque sorte, au centre, à égale distance de plusieurs entités ; inconvénient, par la nécessité, à un moment ou à un autre, d'avoir à faire des choix : soit se contenter d'être un pont entre deux régions, soit privilégier tel ou tel partenaire. Aujourd'hui, par sa position, par sa situation, par son poids spécifique, la Turquie est en train de devenir une puissance régionale dont l’influence s'étend, non seulement à son environnement immédiat, mais bien au-delà. Tout en sachant remarquablement valoriser ses relations avec les pays du Moyen-Orient, Ankara frappe hardiment à la porte du Marché Commun. Dans quelle situation économique, politique, culturelle se présente le demandeur ? Pourquoi et comment introduit-il sa demande ? Quelles sont les réactions de divers partenaires tant en Europe qu'au Moyen-Orient ? Qu'en pense-t-on à Bruxelles ? C'est de ces questions, et de quelques autres, que nous avons débattu pendant trois jours, à Chantilly, lors du colloque dont nous avons, ici, le plaisir de présenter les Actes.
Nous irons du particulier au général. Très succinctement, nous évoquerons d'abord les communications présentant plutôt des études sectorielles, tant dans le domaine économique que politique et culturel ; puis viendront les papiers tentant de faire le départ des avantages et des inconvénients, de l'éventuelle entrée de la Turquie dans le Marché Commun ; quelques communications illustrent les prises de position, gouvernementales ou non, de membres de la Communauté ; seront enfin présentés les papiers, disons engagés, d'auteurs turcs plaidant le dossier de l'adhésion, et d'un haut fonctionnaire de Bruxelles. Nous essaierons, pour finir, d'avancer quelques réflexions suggérées par l'apport très nouveau de ces études de grande qualité, et aussi par des débats fort nourris.

Précédées d'une mise au point méthodologique de R. Pérez, quatre communications présentent un bilan de divers secteurs de l'agriculture turque. H. Erdem constate que, malgré le grand nombre d'exploitations s'occupant d'élevage et l'existence d'un gros cheptel, le consommateur turc manque de protéines d'origine animale : les rendements, et en lait et en viande, sont trop bas, parce que l'on manque d’animaux reproducteurs, l'engraissement est inadapté et l'état sanitaire insuffisant ; néanmoins, les possibilités d'amélioration sont bonnes. Pour les fruits et légumes, S. Öncüoglu souligne une forte croissance, permettant de faire face à la demande intérieure et de nourrir une dynamique exportation, dont plus de la moitié en direction du Moyen-Orient. Les points faibles sont : un circuit de commercialisation archaïque, la quasi absence de conditionnement, des transports frigorifiques très insuffisants. La diminution des subventions gouvernementales, le poids des structures, l'insuffisance des marges des exploitants, laissent craindre qu'à long terme la production de ce secteur ne puisse plus suivre la démographie. Le secteur céréalier, blé en tête, ainsi que nous le montre J. M. Le Lan, est devenu auto-suffisant depuis 1976. La mécanisation, l’emploi des engrais, l'acclimatation de variétés à haut rendement, expliquent ce résultat heureux, qui n’a cependant guère touché les structures de la propriété, restée largement familiale. Ici, le désengagement de l’Etat est limité, réalisme électoral exige. Il revenait à Y. Tekelioglu de souligner le facteur de blocage représenté par les structures agricoles turques, dans l'éventualité d'une entrée dans la C.E.E. Depuis 20 ans, le nombre d'exploitations n'a cessé d'augmenter, et malgré une extension des surfaces cultivées, la surface moyenne par exploitation n'a fait que diminuer, évolution parfaitement inverse de celle des pays de la C.E.E. La timidité des réformes agraires et des remembrements a conduit les autorités à chercher une solution à travers l'énorme projet de GAP, nouvelle Mésopotamie turque, qui devrait doubler la production d’énergie et de nombreux produits agricoles. Reste à savoir si cette éventuelle réalisation rapprochera plus la Turquie de l’Europe que du Moyen-Orient.

Sur le plan industriel, les transports routiers sont étudiés par S. de Tapia. En effet, transports intérieurs et transit sont devenus une composante importante de l’économie turque. Des efforts remarquables ont été faits pour désenclaver les régions encore défavorisées, mais beaucoup reste à faire. La guerre Irak-Iran a considérablement accru le trafic vers l'est. Quant au parc automobile, il est l'object d’une véritable bataille où s'affrontent les constructeurs américains, européens, japonais. L'industrie turque en est restée au montage, et subit, depuis 1977, une grave crise qui ne semble pas émouvoir les autorités. A. Bourgey présente la cas particulier de l'émigration turque dans les pays arabes. Il émet l'hypothèse que l'énorme croissance des remises, enregistrées à la fin des années 1970, correspond à une forte émigration turque vers les pays pétroliers de la péninsule arabe : émigration masculine, temporaire, originaire principalement des régions les moins développées de Turquie, embauchée dans le bâtiment, sous couvert de contrats passés par des entrepreneurs turcs, relativement bien payée ; la décrue est constante depuis le début des années 1980, comme avec l'Europe : un défi pour la Turquie.

La santé de l'économie turque est révélée à travers trois exposés du commerce extérieur de la Turquie. S. İlkin présente un bilan très circonstancié de l'effort commercial de la Turquie en direction des pays islamiques : il en note l'importance, les fluctuations et la relative fragilité. O. Dikmen souligne que, depuis dix ans, la part du commerce extérieur dans le PIB a beaucoup augmenté. Les importations (certains produits agricoles, minerais...) ont beaucoup progressé, mais leur valeur a fluctué selon les variations des prix du pétrole. Pour les exportations, qui sont également en forte hausse, les produits industriels l'emportent sur les produits agricoles depuis 1981. Si la Turquie a diversifié la géographie de ses échanges, notamment en direction du Moyen-Orient, l’Europe est redevenue, depuis 1986, son premier partenaire, mais la balance commerciale reste fortement déficitaire. Etudiant, notamment, l'accroissement de l'engagement turc sur l'extérieur, S. Kançal souligne que tout en réalisant sa politique de substitution aux importations, la Turquie a su accroître l'importance relative de ses exportations et aussi de ses importations. Malgré le rôle croissant des échanges extérieurs dans l'économie turque, un retard, pourtant réduit, subsiste néanmoins par rapport à l'OCDE et à la C.E.E., dans l'ouverture de son marché intérieur à la concurrence étrangère, et, en dépit d'une progression constante, la Turquie a encore du chemin à faire pour atteindre les taux communautaires. La spécialisation internationale de la Turquie tend à s'établir dans la large gamme des produits entre les productions utilisant beaucoup de main d'œuvre et celles à haute intensité capitalistique, et dont la production exige une maîtrise de métier de plus en plus poussée.
Si nombre de papiers font allusion aux problèmes politiques en général, un seul exposé nous donne une étude d'une famille politique face à la demande d'adhésion de la Turquie. M. Güzel et D. Billion ont mené une enquête circonstanciée, avec toute la prudence souhaitable, auprès de gens de gauche résidant en Turquie, en comparant leurs positions à vingt ans de distance. Il en ressort une évolution selon laquelle une partie de la gauche, naguère opposée à l'adhésion, y est désormais favorable ; avec les hésitants, cette tendance est désormais majoritaire. Malgré ses doutes et ses craintes sur le plan économique, cette gauche estime qu'avec l'entrée dans la C.E.E., la démocratie sera mieux installée et les droits de l'homme respectés et consolidés.

Trois communications abordent les problèmes culturels, sous trois angles différents. G. Groc, qui a mené une vaste enquête sur les réactions de diverses tendances islamiques face à la demande de la Turquie, note d'abord que le gouvernement turc lui-même met l'accent sur l’Islam, pour se prévaloir, auprès de la Communauté, des bons termes qu'il entretient avec le Moyen-Orient ; aussi les courants islamiques se voient concurrencés sur leur propre terrain. Seul, le Refah Partisi adopte une attitude de refus absolu : l’occidentalisation a économiquement fait faillite, la Turquie est un pays musulman. Les autres groupes vont de la non-opposition indifférente à l'enthousiasme partisan, en passant par l’acceptation conditionnelle. La vision des groupes islamiques porte sur le très long terme, et l'Islam apparaît, avant tout, comme un moyen de prendre le pouvoir. Cela relativise l'importance attachée à l'adhésion à la C.E.E. Ahmet Insel distingue le libéralisme d'opposition au XIXe siècle, recherchant l'affaiblissement du pouvoir du Sultan, et celui du début du XXe siècle, qui s'oppose au pouvoir né du coup d'Etat du C.U.P., puis à celui de la République kémaliste : le premier est modernisateur, occidentaliste, élitiste : le second est conservateur, anti-occidentaliste et religieux. Arrivé au pouvoir, le libéralisme utilise les structures autoritaires de l'Etat pour ses propres fins. Dominé par le conservatisme de la société turque, le libéralisme est perçu dans l'ordre du retour au refoulé, et ne peut constituer l'expression d'un projet social.
C’est aussi une enquête, mais à Angers, cette fois, qu’a menée G. Léonard, pour sonder les réactions des Angevins face à la petite communauté turque locale. Etude d'un contact de civilisations, dans un contexte d'immigration. Les Turcs observés, à la ville et à la campagne, portent le poids des caricatures faites d'eux et de leur pays : incompréhension, dédain, mutisme, séparent deux prolétariats qui vivent en parallèle, mais sans frictions graves. Le rôle de l'école, la volonté farouche, chez les parents turcs, d'une ascension sociale de leurs enfants, laissant présager, au moins dans le cadre rural, une bonne intégration de la deuxième génération.

Nombre de ces communications ont, de par leur sujet même, fait ressortir le rôle avantageux d'intermédiaire que la Turquie joue entre l'Occident et le Moyen-Orient. Le symbole pourrait en être le pont sur le Bosphore. Mais les autres papiers se situent plutôt dans la problématique du choix européen de la Turquie.

Trois communications veulent présenter l'ensemble du dossier, pesant avantages et inconvénients pour les deux partenaires, Turquie et C.E.E. Erol Manisali y voit d'abord un problème d'identité auquel il ne donne pas de réponse, et un problème économique plus aisé à circonscrire. Il voit comme avantage à l'adhésion, un large marché, une amélioration du marché du travail, une stabilité économique, des aides financières, des investissements extérieurs ; comme difficulté accrue à la création de nouveaux secteurs, l'écart technologique, la détérioration des relations de la Turquie avec des pays tiers. L’auteur pense que l'économie et la société turques sont prêtes à affronter les épreuves de l’adhésion. M. Deger estime que, géographiquement, la Turquie est en Europe, mais que, culturellement, le problème est plus discutable. Retenons, parmi d'autres, les problèmes posés par l'intégration socio-politique : par exemple, le parti communiste restant interdit en Turquie, l'auteur voit mal comment on pourrait organiser des élections européennes en Turquie, puisque tous les partis représentés au Parlement Européen ne pourraient pas présenter officiellement des listes. C'est à travers un historique documenté que M. A. Birand nous présente toutes les implications de la demande turque. Il estime que c'est l'œil fixé sur la Grèce que les autorités turques ont fondé leur politique européenne depuis 1959. L'accord d'association n'a été réalisé que dans la mesure où il ouvrait la voie à l'adhésion pleine et entière. L'accord d'Ankara fut vite oublié, et donc fonctionna mal. Facteurs économiques et politiques se liguèrent pour entraîner la détérioratioon des rapports turco-communautaires. Le coup d'Etat militaire n'arrangea rien, mais paradoxalement M. Özal, plutôt tourné vers le Moyen-Orient, introduisit la demande turque, en fonction de l'attitude grecque. Jamais moment ne fut plus mal choisi. La Turquie attend avec une grande attention la réponse européenne, mais l’auteur laisse entendre qu'il ne nourrit aucun optimisme à cet égard.

Il est intéressant, vue la position géopolitique de la Turquie, de noter les réactions de pays intéressés par la demande de la Turquie. Trois papiers y sont consacrés. V. Morales-Lezcano trace brièvement l'histoire des relations hispano-turques depuis les années 1920, et note, pour les deux pays, la difficile marche vers la démocratie. Devant le problème de la C.E.E., l'auteur estime que les deux pays peuvent faire valoir un atout commun : l'Espagne est la porte de l'Afrique du Nord, et la Turquie celle du Moyen-Orient. A travers l’analyse des réactions de plusieurs organes de presse espagnols à la demande turque, l'auteur constate l'intêret croissant que la vieille Turquie éveille dans l'opinion publique espagnole, à un moment particulièrement important de l’histoire turque. Le cas de la Grèce est évidemment plus délicat. D. Kitsikis propose une solution : après avoir constaté que l'Europe géographique est tout à fait arbitraire et que l'Europe politique et culturelle n'a jamais existé, il prône une solution fédérale de nature canadienne. La solution du conflit chypriote sur cette base pourrait préfigurer l'avènement d'une Egéïde gréco-turque, confédération égalitaire susceptible, dans l'esprit d'Atatürk et de Vénizélos retrouvé, de constituer un môle régional que, et la Communauté et les pays islamiques devraient alors prendre en grande considération. Le rapport de la Turquie à la Grèce est envisagé, par M. Bozdémir, sous l'angle géostratégique de la sécurité. Le contentieux égéen et chypriote qui divise les Grecs et les Turcs est, certes, sérieux, mais les réalités de l'Alliance occidentale le maintiendront dans des limites tolérables pour les principaux acteurs. Du reste, Moscou ne s'oppose pas à l'entrée de la Turquie dans le Marché Commun, et les Etats-Unis ne peuvent voir aucun inconvénient à l'élargissement d'une Communauté très coopérative. Reste à savoir, dans ces conditions, si les antagonistes n'auraient pas intérêt à alléger leur dispute avant les échéances si importantes pour la Turquie.

Viennent les exposés des "engagés". Comme militant de l'intégration, B. Akarcali présente une évolution turque en trois phases. Tout va bien : le peuple turc a fait d'un Empire une République, d'une théocratie un système laïque, d'une monarchie une démocratie. Puis, tout va mal, au début des années 1980 : le pays est économiquement en faillite, politiquement en désordre, et le régime démocratique, condition sine qua non de l'adhésion au club, est en danger. Tout va bien de nouveau : la Turquie a réglé ses problèmes politiques et économiques internes, et il faut que tous les sacrifices consentis portent leurs fruits. Pour O. N. Zillioglu, l'adhésion de la Turquie à l'OTAN est l’acte international fondamental de ce pays, et sa politique européenne n'est que le signe d'une resserrement de ses liens avec les Etats Unis. Les relations de la Turquie avec la C.E.E., en dépit de difficultés passagères, sont sur la bonne voie. Même si l'ambiance parait plutôt défavorable à l'adhésion de la Turquie, le choix occidental de la Turquie est irréversible. Cette intégration apportera des avantages non seulement à la Turquie, mais aussi à la C.E.E., la variété des opinions et la richesse culturelle naissant de diverses rencontres. Il faut accélérer le processus.

T. Bleda plaide le dossier économique de la Turquie dans l'optique de l'intégration à la C.E.E. Cette analyse complète, quoique brève, souligne d'abord le désenchantement né du mauvais fonctionnement des accords d'associations. Il est naturel que les arguments favorables à la Turquie soient soulignés : efforts constants pour libéraliser l'économie turque ; taux de croissance annuel le plus élevé des pays de l'OCDE, avec comme contrepartie maîtrisée une forte inflation; un PIB global très honorable, dans une ambiance de fort dynamisme ; une baisse de la part du secteur agricole dans la formation du PNB ; une industrie qui pour 75% est capable de résister à la concurrence européenne. La Turquie ne sera pas une charge financière pour la Communauté, et elle apportera, en revanche, un marché de 50 milions de consommateurs. Outre divers avantages, les investissements de capitaux étrangers trouveront en Turquie un terrain particulièrement profitable. Les avantages seront donc bien partagés, et en acceptant la Turquie, l'Europe aura ainsi atteint ses frontières naturelles. Exposant les motifs politiques de la demande d'adhésion de la Turquie, P. Tacar passe d'abord en revue les réactions défavorables, favorables et mitigées. La raison déterminante de l'initiative d'Ankara gît dans la volonté exprimée par la quasi unanimité de l'opinion publique turque : malgré certaines différences, le choix d'une société de type occidental est induscutable. L'intégration consolidera une démocratie jeune et fragile, mais qui montre un rétablissement progressif. La Turquie ne pouvait rester indifférente à l'élargissement vers le sud de la Communauté, et à l'approche de celle-ci vers le marché unique. Membre de l’OTAN, la Turquie doit pouvoir bénéficier, à part entière, du jeu des solidarités fondamentales. Enfin, elle peut espérer, à travers l'intégration, régler les questions bilatérales qui l'opposent à la Grèce. L'adhésion de la Turquie à la Communauté sera bénéfique pour toutes les parties concernées.

Le point de vue de la Communauté est exposé par J. J. Schwed : il est à la fois sévère et nuancé. L'auteur constate que l'accord d'association a fort mal vieilli et a laissé s'accumuler un contentieux entre la C.E.E. et la Turquie. Marché commun, la Communauté ne peut qu'être très sensible à l'application, dans des proportions dérisoires, de l'accord d'Union douanière ; l'interprétation turque de la clause de la libre circulation des travailleurs ne peut qu'inquiéter une Communauté qui compte 16 millions de chômeurs ; les exportations de textiles turcs ont naturellement déclenché le processus de sauvegarde d'une industrie textile européenne moribonde, mais néanmoins la Turquie reste le premier fournisseur de la Communauté ; à la suite du coup d'Etat de 1980, la Communauté a bloqué tout nouvel engagement financier, le dernier protocole n'étant toujours pas honoré. Cela dit, la demande d’adhésion de la Turquie pose des problèmes particuliers. Le poids même de la Turquie a un côté dissuasif : comment mener parallèlement les négociations communautaires vers le marché unique et la négociation d'un nouvel élargissement ? Economiquement, la Turquie a un taux d'inflation très élevé, un chômage fort lourd, une dette extérieure en augmentation, accorde encore des subventions à certains secteurs industriels ; politiquement, malgré les progrès accomplis, la situation des libertés publiques en Turquie pourra être mise en cause. Aussi, conformément à la procédure habituelle, le chemin sera long, difficile et semé d'embûches pour la Turquie. Mais la Turquie appartient à l'Europe, personne n’en disconvient, et la Communauté a une politique méditerranéenne qui suppose, pour son achèvement, l'intégration de la Turquie.

Cette présentation - qui est aussi trahison - ne donne qu’une faible idée de la richesse des contributions, que le lecteur pourra apprécier directement à la lecture de ces Actes. Les communications donnèrent toutes lieu à des débats nourris et souvent contradictoires, où chacun a pu affiner ses arguments. Enfin, une Table Ronde, reproduite à la fin de l'ouvrage, a encore fourni l'occasion de sérieuses mises au point. Quelles réflexions peuton tirer des communications et des débats ?

Il s'avère, d'abord, que la Turquie ne désire nullement se limiter à jouer un rôle de pont entre l’Europe occidentale et le Moyen-Orient, mais, ainsi qu'elle le fait déjà, entend exercer une mission d'intermédiaire actif. A cet égard, la baisse des revenus pétroliers, en ralentissant la pénétration turque dans certains pays moyen-orientaux, a donné une dynamique nouvelle au choix de l'occident, à la demande turque d’intégration au Marché Commun. Du reste, les pays islamiques soutiennent la démarche de la Turquie, dans la mesure où ils espèrent qu’elle sera pour eux un avocat efficace.

Pas plus envers la Turquie qu'envers quelque autre pays, la Communauté n'a de vision politique géostratégique et c'est pourquoi la position géographique si avantageuse de la Turquie n'entre pas en ligne de compte dans l'argumentation de Bruxelles : c'est là affaire de l'Alliance Atlantique. Cela signifie-t-il que la Communauté ne serait qu’un marché, qu'une aire économique, sans aucun ressort politique ? On a fait remarquer, à juste titre, que, dans la mesure où elle fonctionne avec l'argent des contribuables, la Communauté ne peut rester insensible à l'opinion européenne dominante, lorsque celle-ci s'exprime, à travers ses élus, notamment en matière de droits de l'homme et de libertés politiques et syndicales. A cet égard, si cet aspect n’a pas dominé les débats du colloque, cela ne signifie nullement qu'il puisse être considéré comme complètement résolu.

L'aspect culturel reste, lui, largement ouvert. Il ne nous paraît nullement démontré que l'Europe doive s'identifier à une quelconque civilisation chrétienne, du reste bien entamée. Par ailleurs, n’y a-t-il pas, en France seulement, deux millions de musulmans ? Quant au poids des groupes tirant leur influence d'une dynamique résurgence de l'Islam, en Turquie même, cela reste, malgré de savantes études, pour une large part encore, une affaire d'appréciation.
Comme il est naturel, s'agissant du Marché Commun, le débat fut amplement économique. Cette constatation peut sembler rassurante, car elle situe l'argumentation sur une base quantitative, et donc plus scientifique. Et pourtant, dans le cadre, qui plus est, d'une prospective, les séries statistiques peuvent prendre, suivant l'angle d'observation, des significations parfois fort divergentes. Au demeurant, la confrontation économique n'est pas extérieure à toute considération politique : on le vit bien, à travers, par exemple, les problèmes de main d'œuvre, et donc ceux de la crise économique, dont le traitement a un aspect largement politique. Il semble, en définitive, qu'un quasi concensus ait pu s'établir sur la notion de délai, autour de Tan 2 000 : une "longue marche" est nécessaire, pour les deux partenaires, la C.E.E. et la Turquie. Si la Turquie poursuit au rythme actuel de sa croissance, ces délais pourront être mis à profit, par exemple, pour conforter ces secteurs encore fragiles de l'industrie turque au stade peu avancé de la substitution aux importations, mettre en route certains grands projets, maîtriser l'inflation. Le temps également permettra à la Communauté, affrontée à l'échéance du marché unique, d'en faire une expérience concrète, d’en mieux surmonter les contradictions, et de rendre ainsi moins brutal à la Turquie, le choc de l'intégration.

Salgur Kançal
Jacques Thobie



La Turquie au carrefour : approches économiques

Roland Perez

Les enjeux de la recherche agro-llimentaire En Méditerranée

Je voudrais seulement introduire les exposés préparés par mes collègues de l'Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier (Centre International des Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes) en présentant quelques réflexions générales sur les enjeux de la recherche agro-alimentaire en Méditerranée. *
Nous nous interrogerons, tout d'abord, sur l'intérêt que peuvent représenter des recherches sur la Méditerranée pour des organismes de recherche.
Nous présenterons ensuite un certain nombre de thèmes de recherche qui nous paraissent parmi les plus pertinents.
Nous terminerons enfin par quelques réflexions sur les méthodes de recherche dans le domaine référence.

1. L'intérêt de la recherche (Pourquoi étudier la Méditerranée ?)

Deux approches, que l'on oppose souvent, peuvent être proposées en se plaçant respectivement au niveau des objectifs généraux de la démarche scientifique ou dans une perspective plus contingente.

…..

* Cet exposé s'appuie sur une communication présentée par l'auteur sur le thème "La Méditerranée : fracture ou trait d'union entre l'Europe et les pays du Sud ?" à l'occasion d'une journée sur "Les relations économiques internationales dans le domaine agricole et agro-alimentaire", organisée par le Conseil Scientifique du Département Economie et Sociologie Rurales de l'INRA (Paris, le 26 mars 1987). La préparation de cette communication a été l'occasion d'un débat avec plusieurs membres de la communauté scientifique intéressée par le thème, notamment à 11AM Montpellier et à la Station ESR de l'INRA. L'auteur remercie les participants à ces discussions des observations et commentaires qu'ils ont bien voulu émettre. Il reste cependant responsable des analyses présentées et des positions exprimées.




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