Prologue
Quand le Toros Ekspresi, parti d'Istanbul en début de matinée, se présenta en gare d'Éréghli où je l'attendais, il était plus de minuit. Trois heures et demie plus tard, nous étions à Adana. Pour un bon moment. Puis le train reprit sa marche, osa une pointe de vitesse dans la plaine de Tchoukourova, aborda les monts de la Lumière, prit de la hauteur, s'engouffra dans une multitude de tunnels pour déboucher enfin de l'autre côté du massif.
Là, en gare de Fevzipacha, le convoi se sépara en deux. Le gros du train repartit en direction de Gaziantep, plus à l'est, toujours en Turquie. Le reste — quelques wagons seulement — se dirigea plein sud vers la Syrie, à une trentaine de kilomètres de là à vol d'oiseau. Passé la frontière, la voie ferrée pénétrait dans une région de moyenne montagne à laquelle les Ottomans avaient donné le nom de Kürt Dağı, ce qui, revu par les Français quand ils l'occupèrent, donna Kurd Dagh : la montagne Kurde (Çiyayê Kurmênc en kurde).
C'était l'automne. En 1997. Voilà des mois que je parcourais en tous sens aussi bien la Turquie que la Syrie. Un peu au hasard. La montagne Kurde, que je découvrais pour la première fois, me plut d'emblée et je devais y retourner maintes fois par la suite. Je m'attachais à cette région, à son climat, à ses oliviers, à ses villages. J'y rencontrais des gens fiers, généreux, curieux de tout. J'aimais les histoires qu'ils me racontaient. Des histoires d'un temps révolu peuplées de personnages hauts en couleur.
«En Occident, me dit un jour un chef de vil¬lage, on parle beaucoup des Kurdes de Turquie et d'Irak, mais pratiquement jamais des Kurdes de Syrie. Nous souhaiterions tellement qu'on sache à l'étranger qu'il existe des Kurdes en Syrie. Pourquoi n'écrirais-tu pas quelque chose sur la montagne Kurde ?»
En réalité j'avais déjà commencé à le faire... |