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Le mouvement national kurde


Auteur :
Éditeur : Flammarion Date & Lieu : 1979-01-01, Paris
Préface : Pages : 398
Traduction : ISBN :
Langue : FrançaisFormat : 135x220 mm
Code FIKP : Liv. Fr. 366Thème : Politique

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Le mouvement national kurde

Le mouvement national kurde

Chris Kutschera

Flammarion


Chris Kutschera, né en 1938. Journaliste. Avec sa femme, photographe, il publie, dans la presse française et étrangère, des reportages politiques : le Biafra, 1969 ; le Golfe persique, 1970-1978 ; le Soudan, 1971 ; les Kurdes, 1971-1975 ; le Chili, 1976 ; les Palestiniens, 1976-1978.



Situé aux frontières de la Turquie, de l'Irak, de l'Iran et de la Syrie, le Kurdistan est-il, comme le Biafra ou le Sud-Soudan, un de ces pays condamnés à ne jamais accéder à l'indépendance ?

La population est pourtant beaucoup plus importante - 10 à 15 millions - que celle de nombreux peuples qui ont obtenu leur incdépendance depuis 1945 et sont aujourd'hui membres des Nations Unies.

La situation stratégique du Kurdistan explique peut-être, en partie, l'éhec de ces aspirations nationales : les Kurdes vivent sur un territoire situé en plein cœur du Moyen-Orient pétrolier et liguent contre eux les gouvernements des pays menacés par un éventuel démembrement...

Mais les raisons sont surtout internes au mouvement national. L'auteur qui a eu accès aux archives diplomatiques françaises et britanniques et a interviewé les principaux acteurs du drame kurde, a reconstitué l'histoire mal connue de ce mouvement pour replacer dans une perspective globale les soulèvements, les révoltes et les répressions qui se succédèrent, depuis la fondation des premiers clubs politiques à la veille de la première guerre mondiale, jusqu'à l'effondrement du mouvement du général Barzani.

Effondrement temporaire, car le problème kurde sera, selon l'auteur, la question cruciale des années 1980 au Moyen-Orient.



INTRODUCTION

Peuple dispersé dans cinq pays différents - la Turquie, l'Iran et l'Irak essentiellement, et accessoirement la Syrie et l'U.R.S.S. -, les Kurdes forment une des nations les plus contestées de l'histoire.

Leur nom même n'est pas reconnu partout : en Turquie, le mot « kurde » est proscrit, et les Kurdes sont désignés sous le nom d'Anatoliens de l'Est !

Leur nombre est partout l'objet de débats interminables : selon les auteurs kurdes, la population kurde serait d'environ 14 millions, répartis entre le Kurdistan turc (6 millions), le Kurdistan iranien (5,5 millions) et le Kurdistan irakien (2,5 millions), sans compter 1 million de Kurdes dispersés hors du Kurdistan. Pour les divers gouvernements des pays concernés, ces chiffres sont terriblement « gonflés »... En l'absence de recensements récents fiables, il est impossible de trancher ce débat.

Les limites géographiques du Kurdistan sont aussi contestées : en Irak, la frontière entre le Kurdistan et l'Irak arabe suit la ligne des crêtes qui séparent la plaine de Mésopotamie des montagnes du Kurdistan - mais quinze ans de guerre n'ont pas permis aux Kurdes de le faire reconnaître par le gouvernement de Bagdad !

En Iran, la province administrative du Kurdistan ne recouvre qu'une fraction du Kurdistan iranien.

En Turquie, le Kurdistan... n'existe pas !

Mais pour les Kurdes, le « Grand Kurdistan » va de la mer Méditerranée au golfe Persique.

Et pourtant, avec leur langue, leur culture, leur religion, leurs traditions, les Kurdes forment une des nations les plus anciennes du Moyen-Orient.

Peuple sans patrie, les Kurdes restèrent longtemps un peuple sans historiens !

Et les premières légendes sur les origines des Kurdes sont rapportées par des écrivains arabes, turcs et persans.

Pour le géographe Abou Ishak el Farsy, qui écrivit au Xe siècle de notre ère : « Ce sont effectivement des gens qui habitent dans nos contrées, mais qui sortent de la catégorie de l'espèce humaine : on a rassemblé des fragments du monde entier, que l'on a pétris, et dont on a formé le Kurde ! »

Selon une légende, citée par l'historien arabe Masoudi, dans les Prairies d'or, les Kurdes seraient les descendants des enfants des esclaves du roi Salomon et de... Satan ! Reléguées dans des montagnes lointaines, les concubines infidèles et impies, qui avaient cédé aux avances du Diable, y donnèrent le jour à des « enfants qui se marièrent, se multiplièrent, et donnèrent le jour à la race des Kurdes ».

Selon une autre légende, les Kurdes seraient les descendants des victimes d'un tyran extrêmement cruel, Zohak, qui gouverna la Perse à une époque reculée : ayant sur ses épaules deux chancres qui « levaient la tête comme des serpents », Zohak souffrait de douleurs atroces qu'aucun médecin ne sut soulager jusqu'au jour où Satan, lui apparaissant sous la forme d'un médecin, lui dit que la seule façon de soulager ses douleurs consistait à panser chaque jour ses chancres avec les cervelles de deux jeunes adolescents.

Le vizir chargé de préparer cet abominable remède réussit à épargner chaque jour un adolescent en mélangeant une cervelle humaine à celle d'un bélier. Ceux qui échappèrent ainsi à la mort allèrent fixer leur demeure « sur la crête des montagnes les plus désertes et entièrement inhabitées... Comme ils eurent soin pendant un temps infini de fuir avec horreur et d'éviter le commerce des hommes et la fréquentation des villes, ils se créèrent un langage et un idiome particuliers ».

D'emblée, les Kurdes sont donc vus par leurs voisins comme un peuple à part - le mythe du peuple de parias, issu de Satan, alternant avec celui du peuple de proscrits en butte à l'oppression la plus abominable.

Les Kurdes vivent aujourd'hui sur un territoire habité depuis la plus haute Antiquité - c'est près de Rowandouz, en Irak, qu'a été découvert dans la grotte de Shanidar le squelette du premier homme de Neanderthal -, et les historiens, archéologues et linguistes n'ont pas encore élucidé à quelle époque le mot « kurde » apparaît pour la première fois.

Les Kurdes sont-ils les descendants des Carduques cités par Xénophon dans la retraite des Dix Mille, ou des Cyrtiens, qui apparaissent pour la première fois en 220 avant Jésus-Christ ?

Sont-ils descendants des Mèdes, comme l'affirment volontiers leurs « cousins » persans actuels ? Ou s'agit-il d'un peuple autochtone, coloré par les vagues d'invasions qui ont balayé ce carrefour entre l'Asie et l'Europe ?

Le débat reste ouvert.

L'histoire des Kurdes est mieux connue à partir de leur islamisation par les troupes du calife Omar. Islamisation qui ne se fit pas sans peine : les chroniques arabes relatent en détail les révoltes kurdes qui se succédèrent pendant trois siècles, de l'occupation de Takrit, en 637, jusqu'à l'avènement des premières dynasties kurdes historiques : les Chaddides régnèrent de 951 à 1174 en Transcaucasie, les Hassanwayhides de 960 à 1015 sur ce qui est aujourd'hui le sud du Kurdistan iranien, et les Merwanides de 990 à 1096 sur la région de Diarbekir.

Saladin (1138-1193), fondateur de la dynastie ayyoubide, était kurde par son père, mais jamais son empire, qui s'étendit jusqu'en Égypte, ne revêtit un caractère kurde.

Au XIIIe siècle, les hordes mongoles déferlent sur le Kurdistan : elles sont à Chahrizour en 1247, à Diarbekir en 1252, à Kermanchah et Erbil en 1257, au Hakkiari et à Djéziré en 1259 ; le Kurdistan sombre dans la violence pour deux siècles et demi !

Et il faut attendre les premières années du XVIe siècle - avec la bataille de Tchaldiran (1514) - pour assister à une renaissance kurde : profitant de la rivalité qui allait dresser pendant quatre siècles le sultan ottoman contre le chah de Perse, les Kurdes affirment peu à peu leur autonomie par rapport aux pouvoirs centraux d'Istanboul et de Téhéran. C'est de cette époque - âge d'or de la féodalité kurde - que date le Charaf Nameh (1596), premier livre d'histoire kurde écrit (en persan) par un Kurde, le prince Charaf al Dine de Bitlis.

Pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, le Kurdistan allait rester le champ clos des rivalités turco-persanes, la frontière entre la Turquie et la Perse se déplaçant d'est en ouest et d'ouest en est à travers le Kurdistan, au gré des batailles et des traités.

Le traité de 1639 marque la fin d'une période d'expansion persane et, bientôt, presque tous les Kurdes sont sous la souveraineté ottomane. Un siècle plus tard, le traité de 1732 consacre un nouveau déplacement de la frontière, vers l'ouest, sous Nadir Chah, qui arrive aux portes de Bagdad. Mais un nouveau traité, en 1736, rétablit les frontières de 1639.

A l'aube du XIXe siècle, lorsque va apparaître ce phénomène tout à fait nouveau au Kurdistan qu'est le nationalisme, la société kurde n'a pratiquement pas évolué par rapport à celle qu'a décrite Charaf al Dine en 1596.

Dans des châteaux comparables aux châteaux féodaux du Moyen Age européen, des seigneurs de lignée plus ou moins ancienne gouvernent une population de paysans kurdes, kurdisés et chrétiens, à l'aide de tribus guerrières sédentaires, nomades ou semi-nomades. Dans ce pays de montagnes, sans voies de communications, le monde et le loyalisme des seigneurs et des paysans kurdes s'étendent rarement au-delà des limites de leur vallée.

Quelques seigneurs arrivent à fonder des principautés, plus ou moins autonomes, mais les mots « État » et « Nation » n'existent alors pas dans la langue kurde.

En 1975, après avoir obtenu l'autonomie et frôlé l'indépendance, les Kurdes ont à nouveau sombré dans le néant de l'oppression.

Ce n'est certainement pas faute de courage, mais peut-être, en partie, faute d'histoire !

Tout mouvement national se nourrit d'un certain passé, souvent amplifié et embelli : c'est autour d'une histoire commune que se forge une nation. Le dit compte autant que le vécu, le mot que la balle. Mais les Kurdes n'ont pas d'histoire : les « pechmergas » du général Barzani ne savaient rien de l'émir Bedir Khan, ni de cheikh Obeidalla, héros malheureux de l'indépendance kurde.

Les intellectuels kurdes qui ont rallié le général Barzani ne savaient rien des fondateurs des premiers clubs kurdes de Constantinople. Et celui qui étudie les révoltes kurdes de 1921, 1925, 1927, 1930, 1937, a l'impression d'être un archéologue cherchant les rares débris d'une civilisation vieille de cinq mille ans !

Certes, les Kurdes ont des excuses : une répression plus que centenaire a systématiquement tout fait pour éliminer toute trace écrite de l'histoire de la nation kurde.

Mais les Kurdes ne peuvent pas nier une certaine part de responsabilité : après la paix de 1970, les Kurdes irakiens n'ont pas su, ou voulu, profiter de l'occasion extraordinaire qui s'offrait à eux de faire enfin un immense travail d'information historique.

Mais peut-être est-ce parce que l'histoire doit être, aussi, critique.

Une étude approfondie de l'histoire du mouvement national kurde depuis le début du XIXe siècle - but auquel aspire ce livre, malgré ses lacunes et ses défauts - aurait certainement permis aux dirigeants et aux cadres de la dernière révolte kurde d'éviter de répéter un certain nombre d'erreurs qui jalonnent, hélas, l'histoire de ce qui reste des révoltes.

Quoi qu'en disent les partisans du général Barzani, la « révolution » kurde reste à faire. Et son manifeste à écrire !




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