Dans la province du Botan, un jeune Kurde, Mem, s'éprend de la soeur du prince, la belle Zîn. Celle-ci partage son amour passionné, mais les intrigues du traître Bekir déclenchent l'hostilité du prince qui refuse leur union. Cependant, ni l'éloignement, ni la prison ne parviendront à briser leur amour qui survivra au-delà de la mort.
Autour des deux jeunes gens, Ahmedê Khanî dépeint les fastes et la grandeur d'une cour princière kurde du XVIIe siècle, avec ses fêtes, ses banquets, ses chasses, ses faits d'armes... Il dresse le tableau captivant de l'âme humaine où l'amour, l'amitié, le courage s'opposent à la médisance, la jalousie et la tyrannie. Tiré d'une légende populaire, ce chef-d'oeuvre est le premier manifeste national de la littérature kurde et un grand poème d'amour mystique. Ahmedê Khanî pose un regard pénétrant et visionnaire sur le destin de son peuple, déchiré encore aujourd'hui par ses divisions et ses faiblesses.
Cette oeuvre majeure de la littérature kurde n'avait jusqu'ici jamais été traduite en français.
Table des matières
Ahmedê Khanî et Mem et Zîn / 7 La traduction de Mem et Zîn / 11 Louange à Dieu / 13 Appel à Dieu et requête / 17 Louange au Prophète / 27 Intercession du Prophète et désir d'être pardonné par Dieu / 35 La question kurde / 39 Pourquoi l'auteur écrit en kurde / 45 Saki ! Verse le vin dans la coupe / 51 Eloge du prince du Botan et de ses deux soeurs Zîn et Séti / 59 Beauté et Amour / 67 Mem et Tajdîn / 69 La célébration du Newroz et du Nouvel An / 73 Les gens des villes se rendent à la campagne pour le Newroz / 77 Le prince donne la permission à ses jeunes gens de se rendre aux fêtes du Nouvel An / 79 Mem et Tajdîn rencontrent Séti et Zîn et s'évanouissent / 81 Mem et Tajdîn comprennent leur tourment / 89 Zîn et Séti, de retour de la fête, racontent leur aventure à la nourrice / 95 La vieille femme voit les anneaux de Mem et de Tajdîn / 101 La vieille femme se rend chez le devin / 105 Le devin voit les destins et la vieille femme revêt un habit de médecin / 107 La vieille femme parle à Mem et à Tajdîn / 113 La vieille femme retourne auprès de Séti et de Zîn / 117 Le prince donne Séti à Tajdîn / 121 Les noces de Séti et Tajdîn / 129 La bougie appelle Tajdîn à se rendre auprès de Séti / 139 Les mariés sont réunis / 145 Bekir médit de Tajdîn et Mem auprès du prince / 151 Zîn brûle du feu de l'amour / 161 Zîn s'adresse à ses chagrins / 167 Zîn adresse des plaintes à Séti / 169 Zîn parle à la bougie / 171 Zîn parle au papillon de nuit / 173 Le pauvre Mem / 175 Mem parle au Tigre / 177 Mem parle à la brise / 179 Mem fait des reproches à son coeur / 183 Le prince va à la chasse / 189 Le jardin du prince / 193 Zîn se rend au jardin / 197 Mem se rend aussi au jardin / 203 Le prince revient de la chasse et surprend Mem et Zîn / 209 Tajdin brûle sa maison pour sauver Mem et Zîn / 215 Bekir dénonce Mem et Zîn au prince / 219 Le prince joue aux échecs avec Mem, puis le jette en prison / 223 Mem en prison / 231 Zîn tombe dans le désespoir et fait des reproches à son destin / 237 Tajdîn et ses frères délibèrent pour sauver Mem / 241 Tajdîn envoie un émissaire au prince pour demander la libération de Mem / 245 Bekir a peur et fomente une nouvelle ruse / 249 Bekir montre la voie au prince / 253 Le prince donne à Zîn la permission de voir Mem, et Zîn s'évanouit / 257 Zîn dicte ses dernières volontés au prince / 265 Zîn se rend auprès de Mem / 273 La mort de Mem / 279 Le deuil de Mem et le meurtre de Bekir / 285 Zîn parle en faveur de Bekir / 289 Zîn meurt à son tour / 293 Chaque herbe croît sur ses propres racines / 301 La fin de l'histoire / 303 Le véritable amour / 309 Est-ce rêve ou imagination ? / 313 Post-face et propos à son calame / 323
Ahmedê Khanî et Mem et Zîn
Ahmedê Khanî est né en 1651 dans la province de Hakkari (actuellement Kurdistan de Turquie). Il vécut à Dogubayazit (au nord de Van) où il mourut en 1706. Il fut à l'origine d'une école littéraire, l'école de Dogubayazit, qui eut une production durant tout le 18° siècle. Son mausolée s'élève non loin de l'ancien palais des princes kurdes, et encore aujourd'hui, les Kurdes de tous les pays viennent le visiter. Plus que simple poète, il est d'ailleurs considéré comme un grand cheikh, un Baba.
La légende de "Mem et Zîn", extrêmement populaire au Kurdistan, est peut-être la continuation orale d'une antique légende anatolienne. Elle a .pu faire l'objet de maintes versions orales, car les chefs féodaux kurdes avaient souvent leur poète attitré (stranbêj ou dengbêj), qui connaissaient par coeur un très grand nombre d'oeuvres, des chants d'amour (delal) aux gestes héroïques très longues, telle donc la célèbre "Memê Alan", datant du XVème-XVIème siècle, et qui est la version populaire la plus connue de cette histoire. Mais à côté de cette littérature orale et populaire, une littérature savante, écrite, commença à se faire jour dès le XV° siècle, ainsi avec le poète Ali Hariri (1405-1495). Ces poètes de cours étaient naturellement influencés par les grands noms de la littérature arabe ou persane, surtout par les oeuvres des soufis, car l'islam des Kurdes fut largement travaillé par les courants mystiques et souvent hérétiques.
Lorsque Ahmedê Khanî (1650-1706) décide de mette en vers la légende de "Mem et Zîn", le choix du sujet n'est pas anodin. Avant lui, d'autres poètes avaient composé en kurde. Ainsi, la cour raffinée des princes de Djezireh (dans la ville-même où se situe l'histoire de "Mem et Zîn") avait eu comme poètes Malayê Djazîrî (1570-1640) et Faqiyê Tayran (1590-1640). Ces auteurs, Khanî les cite d'ailleurs dans son prologue et leur rend hommage. Mais il a conscience d'accomplir quelque chose de nouveau qui dépasse le cadre de la jeune littérature kurde. Car pour lui, il s'agit plus que de littérature, mais de la revendication d'une culture nationale comme moyen d'unité. Cette "kurdité" à défendre est un concept inouï dans le monde ottoman où vivait Khanî, dans lequel les subdivisions des millets ou distinguaient les peuples par leurs religions et non par leurs langues. Un Kurde musulman sunnite, comme Khanî, était d'abord le membre d'une tribu inféodée à un prince qui reconnaissait symboliquement l'autorité des sultans ottomans ou des chahs d'Iran selon les circonstances. Un Kurde kizil bach ou alévi était en rébellion ouverte ou secrète contre le sultan d'Istanbul et ne reconnaissait comme autorité temporelle et spirituelle que le chef des Kizil Bach, c'est-à-dire le Chah d'Iran.
Or ces tribus kurdes, Ahmedê Khanî sait qu'elles ne forment qu'un seul peuple, une nation écartelée entre deux empires et s'usant dans des luttes perpétuelles dont elle ne tire aucun profit pour elle-même :
221. De toutes parts, ils sont le bouclier De ces Persans et de ces Turcs, 222. Et les deux camps prennent les Kurdes pour cible De leurs flèches meurtrières.
A cela, il ne voit qu'un remède : un prince kurde qui saurait fédérer et diriger les tribus. Mais dans un trait de génie, Ahmedê Khanî pressent qu'une unité politique ne serait pas suffisante, si elle ne s'accompagne pas d'une unité culturelle, la seule propre à raffermir un sentiment national. Deux siècles avant l'explosion des nationalismes, Khanî voit la langue comme un facteur puissant d'unification de la société kurde, d'où, sans doute, le choix de Mem et Zîn, cette histoire si largement connue dans toutes les couches de la société kurde.
Mais s'il souhaite à son œuvre la plus grande diffusion parmi tous les Kurdes, Khanî vise aussi une autre audience, celle des milieux lettrés, savants, qui jusqu'ici versifient plus volontiers en persan ou en ottoman qu'en kurde. Qu'il choisisse d'écrire un tel poème en kurde en traitant de soufisme n'est pas anodin car cette langue nationale est toute nouvelle dans les sphères supérieures de la littérature mystique et philosophique, et face à ce monstre sacré qu'est la langue persane, ou même l'ottoman, qui est la langue de cour, Ahmedê Khanî sait que son choix peut surprendre, voire choquer.
235. Khanî, en littérature, est imparfait. Mais ce champ de la littérature, il le trouva vide. 236. Aussi, non par capacité et expérience, Mais par patriotisme et amour du peuple, 237. Aussi, par persévérance et nécessité, Il créa cette oeuvre nouvelle.
Ainsi la légende de "Memê Alan" devint "Mem û Zîn", et si cette oeuvre est la plus célèbre de la littérature kurde, et si son auteur est considéré comme le plus grand des auteurs kurdes, ce n'est pas un hasard. Ahmedê Khanî se hausse d'un coup au niveau des plus grands auteurs musulmans avec cette geste d'amour tragique de 2655 distiques, qui est à la fois, sous la plume géniale de son auteur, un roman d'amour, un poème d'amour mystique, et le récit animé et coloré de la vie quotidienne d'une cours princière dans le Kurdistan du XVII° siècle.
La traduction de Mem et Zîn
"Mem et Zîn" n'avait jamais été traduit en français, contrairement à la version populaire, "Memé Alan". Ce texte présente en effet plusieurs difficultés. Tout d'abord la langue qu'emploie Ahmedê Khanî est un kurde qui a trois cents ans et est difficile d'accès, même pour un Kurde aujourd'hui. Ahmedê Khanî, comme tous les lettrés de son époque utilise beaucoup de mots "savants" empruntés à l'arabe, au persan, au turc et emploie également des tournures qui appartiennent à la langue kurde du Botan, un des foyers culturels de l'époque. On se heurte aussi à des problèmes de compréhension du texte : l'oeuvre d'Ahmedê Khanî était à replacer dans la littérature mystique iranienne et une bonne connaissance du soufisme était indispensable pour comprendre la pensée de l'auteur. Une bonne connaissance de la vie traditionnelle kurde et de la culture du Botan était également nécessaire pour expliquer certaines coutumes, certains comportements.
Cette traduction a été établie à partir de la version kurde originale, éditée avec sa traduction en turc par Mehmet Amin Bozarslan en 1968. Cette version comportait cependant des passages qui avaient été censurés en Turquie et la version kurde traduite récemment en arabe par Jan Dost, grand spécialiste d'Ahmedê Khanî, a été également consultée, ainsi que son auteur, qui a collaboré à l'approfondissement de certains passages.
Enfin, il a paru nécessaire d'accompagner la traduction en français de "Mem et Zîn" d'un ensemble de notes et d'explications visant à rendre cette oeuvre accessible à des lecteurs français qui seraient peu familiers de la littérature musulmane et des Kurdes. Dans ce contexte, un système de retranscription des noms kurdes très phonétique et lisible en français a été adapté. Par contre, l'ordre et la numérotation des 2655 distiques que comporte le poème ont été strictement respectés.
Louange à Dieu1
1. Je commence ce livre par le nom de Dieu, Car sans ce nom, le livre ne serait pas complet2. 2. Ô Dieu, apparu dans la beauté de l'amour ! Ô Dieu, le bien-aimé réel et symbolique ! 3. Ecrire sur l'amour, c'est toujours écrire Ton nom Et l'ornement tracé par le calame3 de l'amour, c'est aussi Ton nom. 4. Sans cet ornement, les broderies du calame sont grossières, Et sans ce nom, le livre ne serait pas complet. 5. Ton nom est la destination de tous, En Ton nom, tous les écrits sacrés ont été rassemblés. 6. Ton nom est l'essence de tous les versets4, Le Créateur révélé mais non visible peut être vu dans Ton nom. .....
1 Les poètes iraniens débutaient leurs oeuvres par une louange à Dieu. 2 Selon un hadith "Tout ce qui commence sans le nom de Dieu est incomplet". 3 Roseau taillé servant à l'écriture. 4 Du Coran.
Ahmedê Khanî Mem et Zîn
L'Hartmattan
Traduction : Sandrine Alexie - Akif Hasan
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest Hongrie
L'Harmattan Italie Via Bava, 37 10214 Torino Italie
Sandrine Alexie a étudié l'art de l'islam à l'École du Louvre, ainsi que la langue et la civilisation kurdes à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales. Elle effectue des recherches au Kurdistan, et est l'une des fondatrices de l'Observatoire Franco - Kurde.
Akif Hasan, originaire du Botan, a poursuivi des études de langues et de littérature à l'université d'Alep (Syrie) avant d'exercer des fonctions politiques dans la résistance kurde.
Collection Lettres Kurdes dirigée par Maguy Albet
Yousif Ephrem - Isa, Parfums d'enfance à Sanate. Un village chrétien au Kurdistan irakien, 1993. Mala Ahmad, Zardek (poèmes traduits du kurde par Ismael Darwish), 1993. Ahmad Ibrahim, Mal du peuple (roman traduit du kurde par Ismael Darwish), 1994. Shêrko Bekes, Les petits miroirs (poèmes traduits du kurde par Kamal Maarof), préface de Guillevic, 1995. Nouvelles Kurdes, recueil établi et traduit par Ismael Darwish, 1995. Gurgoz Ali Ekber, La nuit de Diyarbakir, Être kurde en Turquie, 1997. Hussain Fawaz, Chroniques boréales, 2000.